Ferme expérimentale de Jalogny
Mise en évidence des vertus de l’efficacité alimentaire

Marc Labille
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La ferme expérimentale de Jalogny a participé pendant trois ans à un programme de recherche sur l’efficacité alimentaire. Véritable levier pour améliorer l’autonomie alimentaire des exploitations par une meilleure valorisation des fourrages, l’efficacité alimentaire sera demain un critère supplémentaire de choix des taureaux pour des animaux moins consommateurs de concentrés.

 

Mise en évidence des vertus de l’efficacité alimentaire
« La meilleure connaissance de la mécanique prédictive de l’efficacité alimentaire permettra demain de choisir les taureaux en fonction des régimes alimentaires et selon les débouchés commerciaux », estiment Julien Renon et Jérémy Douhay.

De 2016 à 2019, la ferme expérimentale de Jalogny a été le support, pendant trois campagnes, du programme de recherche Beef Alim 2020. Encadré par l’Institut de l’élevage en partenariat avec l’Inrae, Allice et les chambres d’agriculture, il impliquait quatre fermes expérimentales. À Jalogny, trois bandes de 54 jeunes bovins charolais ont été suivies dans le cadre de cette expérimentation nationale portant sur plus de 650 animaux. Son objectif était de mieux exploiter l’efficacité alimentaire qui est la capacité d’un animal à produire plus ou moins de viande à partir d’une ration. Il s’agissait notamment d’étudier l’héritabilité génétique de ce caractère en s’appuyant sur deux régimes alimentaires différents. Recrutés dans des élevages du bassin charolais, les animaux étaient des produits de taureaux d’insémination dont l’efficacité alimentaire a été évaluée en station de contrôle individuel. Deux lots d’animaux équilibrés en fonction des pères étaient ainsi systématiquement comparés, le premier nourri avec une ration à base de cellulose (ensilage d’herbe) ; le second nourri avec une ration à base d’amidon (ensilage de maïs). Sur une période de contrôle comprise entre 11 à 15 mois d’âge, « on regardait comment réagissaient les animaux en termes de transformation du régime en gain de poids vif  face aux deux types de rations à volonté », explique Julien Renon, responsable de la ferme expérimentale. Autrement dit : « si l’efficience d’un animal avec une ration à base de maïs se retrouvait avec une ration herbe », poursuit-il. Ce travail visait à mieux « comprendre la mécanique prédictive de l’efficacité alimentaire ». L’efficacité alimentaire des pères est mesurée sur un régime à base de concentrés. Aussi, le travail mené à Jalogny permettait-il de voir ce que devenait cette efficacité alimentaire d’origine paternelle connue quand les descendants étaient soumis à des régimes contrastés en amidon, notamment sur des régimes à base d’herbe.

Stabilité du maïs, variabilité de l’herbe… 

Des observations réalisées à Jalogny, il est ressorti que les JB étaient globalement plus efficaces sur le régime au maïs. Les GMQ sont meilleurs ; les durées d’engraissement plus courtes pour un même objectif de poids carcasse. Mais à la différence de l’ensilage de maïs dont les récoltes sont en principe stables d’une année sur l’autre, l’ensilage d’herbe pâtit d’une forte variabilité en matière de qualité. « Entre 2016 et 2018, les récoltes ont été extrêmement contrastées », confirme Jérémy Douhay de l’Institut de l’élevage. Lors de la première campagne, le printemps humide a donné un fourrage de piètre qualité. Les performances des JB s’en sont ressenties et elles étaient nettement inférieures à celles obtenues avec du maïs, rapporte l’ingénieur de l’Idele. Les deux autres années, des récoltes réalisées à un stade optimal ont permis d’atteindre le même niveau de performances qu’avec la ration à base de maïs (1,6 à 1,7 kg de GMQ). Un enseignement qui montre que l’engraissement des JB à l’herbe est tout à fait pertinent lorsque l’herbe récoltée est de qualité.

Des taureaux plus efficients avec le régime herbe ?

Ces essais ont aussi livré quelques enseignements en matière de génétique. Si les efficacités alimentaires des pères se retrouvent chez les JB nourris au maïs, les performances obtenues modifient cependant le classement des taureaux testés. Pour l’un d’entre eux, il s’est même avéré que ses descendants étaient plus efficaces avec une ration cellulosique. Ce serait la marque d’une interaction génétique avec le régime alimentaire, commente Jérémy Douhay. De son côté, l’Inrae a réalisé des prélèvements sanguins afin de mettre en évidence des biomarqueurs susceptibles de prédire l’efficacité alimentaire des animaux sans forcément recourir à des auges peseuses, un dispositif de phénotypage coûteux, informe l’ingénieur qui précise que tous ces JB ont été génotypés. 

En étudiant la transmission du caractère, le but est de créer un véritable index génétique sur l’efficacité alimentaire. « Il doit permettre, en le combinant avec un index croissance, de sélectionner à la fois l’efficience alimentaire et la croissance sans détériorer l’un des deux », explique Julien Renon. En particulier, on attend beaucoup de cet outil pour sélectionner des animaux valorisant des rations plus riches en fourrages.

Un gain de 23 € par JB

Quand on sait que l’alimentation représente 25 à 30 % du coût de production (hors main-d'oeuvre) d’un naisseur-engraisseur, on mesure l’importance de l’efficacité alimentaire. « Un gain de 5 % d’efficacité alimentaire équivaut à une économie de 23 € par JB », fait valoir Jérémy Douhay. Autre intérêt, l’amélioration de l’efficacité alimentaire fait baisser les émissions polluantes, en premier lieu, les gaz à effet de serre. Et elle permet une meilleure valorisation des ressources alimentaires. Une propriété qui a son importance dans les débats sociétaux, notamment vis-à-vis de la problématique "feed-food", compétition alimentaire entre l’homme et les animaux d’élevage (moins de céréales, plus de fourrages).

À l’herbe et rien qu’à l’herbe…

Ces travaux sur l’efficacité alimentaire ouvrent de nouvelles pistes en matière d’autonomie alimentaire avec la possibilité jusqu’alors écartée d’engraisser des animaux rien qu’à l’herbe. Cela s’inscrit dans un travail démarré à Jalogny dès les années 2000. Après avoir planché sur la simplification de l’engraissement, la ferme expérimentale a cherché, à travers des fauches précoces, à atteindre une meilleure utilisation de l’herbe tout en réduisant la part des concentrés. « Par exemple, il a été démontré que l’on pouvait finir des vaches grâce à de l’enrubannage d’herbe issu de fauches précoces (récolté à 800 degrés jours) avec seulement 6 kg d’orge par jour sans apport de tourteaux au lieu de 9-10 kg "d’aliment concentré" dans le cas d’un régime foin », rappelle Julien Renon. D’autres essais ont porté sur l’usage de la luzerne enrubannée qui permet de se passer de tourteaux et de réduire la part de céréales. La ferme de Jalogny a même expérimenté un nouvel itinéraire d’engraissement des mâles avec une ration à base d’enrubannage de qualité.

 

Auges peseuses "high tech"

Pour les besoins de cette expérimentation, la ferme de Jalogny s’est équipée d’auges peseuses en 2016. Dotées de technologies électroniques, elles permettent de mesurer en instantané la consommation individuelle de chaque animal. Cet équipement high tech est un plus pour la ferme saône-et-loirienne. D’autres expérimentations ont suivi depuis : par exemple, des essais pour comparer de nouvelles variétés de maïs fourrage. La mesure de l’efficacité alimentaire est un outil pertinent pour améliorer la valorisation des fourrages et parfaire la constitution de stocks.

 

Rations expérimentales

Les JB du programme Beef Alim ont reçu « des rations de nature expérimentale », insistent Julien Renon et Jérémy Douhay. Le protocole imposait une composition à deux tiers de fourrages (amidon/maïs ou cellulosique/herbe) et un tiers de concentrés. "Ces rations expérimentales ne permettaient pas forcément d’atteindre de hauts niveaux de GMQ dans le cas du régime à base d’ensilage d’herbe et elles n’ont pas été rééquilibrées avec des concentrés à un niveau aussi élevé comme on aurait pu le conseiller en élevage", précisent les deux ingénieurs.