EXCLU WEB / Droit des agricultrices : c’est aussi l’affaire des hommes

Christophe Soulard 
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L’Association française des journalistes agricoles (AFJA) a organisé le 8 mars, à l’Académie d’agriculture de France à Paris, une table-ronde consacrée au thème : « Femmes en agriculture. Des avancées, mais encore des défis à relever ».

Féminiser les métiers et notamment ceux de l’agriculture ; Faire en sorte que les agricultrices cassent le plafond de verre et prennent plus de responsabilités et de pouvoir au sein des organisations professionnelles agricoles (OPA) : syndicalisme, coopératives, etc. ; Lutter contre un machisme et un sexisme encore latent ; Parvenir à une égalité professionnelle, notamment en termes de droit et de rémunération… Si chacun des intervenants s’accorde sur l’essentiel, les droits acquis au fil des ans, tous s’interrogent sur la manière de traduire ce catalogue de bonnes intentions dans les actes. « Il existe une réelle volonté de faire bouger les lignes et je pense que c’est aussi l’affaire des hommes », explique Christophe Leschiera, responsable de la communication de Tête de réseaux pour l'appui méthodologique aux entreprises (Trame). Pour Clémentine Comer, sociologue, la sous-représentation des femmes au sein des instances dirigeants agricoles s’explique par des « causes exogènes et matérielles, notamment la responsabilité domestique et parentale qui est réservée aux femmes ». Plus concrètement, si les hommes participaient plus aux tâches ménagères et s’occupaient plus souvent des enfants, les agricultrices pourraient plus s’investir dans les OPA et y prendre toutes leur part. Françoise Liebert, haute fonctionnaire en charge de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation relate l’histoire de ce couple d’ingénieurs qui a passé dix ans à Bruxelles. « Tout était fluide, le partage des tâches réelles entre le père et la mère. La ferme familiale du côté de Madame allait être cédée. Le couple a décidé de la reprendre et de s’installer. Les vieux réflexes ont alors repris le dessus. Madame a été reléguée aux travaux domestiques quand Monsieur était plus souvent sur le tracteur et dans les champs », a-t-elle témoigné. 

« Vouloir faire notre place » 

« Il y a un gros travail à faire sur le partage de la parentalité », soutient Françoise Liebert. L’accès aux responsabilités tient aussi au fonctionnement même des OPA. Surreprésentées au plan local, les agricultrices disparaissent à mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie des responsabilités. Prendre un poste de secrétaire générale ou de présidente d’une association nationale est « très chronophage et demande davantage de disponibilité. Ce qui renvoie aussi à l’organisation au sein de la sphère familiale et peut créer des tensions », souligne Clémentine Comer. « Il faut aussi vouloir faire notre place », affirme en substance Michèle Boudoin, éleveuse, présidente de la Fédération nationale ovine qui souligne un écart sémantique : « Dans notre milieu, on dit souvent d’une femme qu’elle est autoritaire et d’un homme qu’il a de l’autorité ». Véronique Marchesseau, éleveuse et secrétaire générale de la Confédération paysanne lui emboîte le pas : « notre société est restée patriarcale. Il n’est pas toujours facile de trouver notre place sauf si on a un fort caractère », dit-elle. Sans doute les mentalités commencent-elles à évoluer. Aurore Paillard, productrice en grandes cultures et secrétaire régionale des JA Bourgogne-France-Comté, rapporte « être soutenue » par ses collègues masculins. « Ça dépend où l’on tombe. J’ai bien été guidée par les JA et quand on est dans un bon groupe, ça aide ». « Il n’y aura pas de progrès sans la volonté des hommes pour nous faire de la place. C’est aussi un problème de la société toute entière et pas seulement agricole », conclut Michèle Boudoin qui, à l’image d’Aurore Paillard et des autres intervenantes, compte bien « ne pas rester sur les acquis » et « gagner d’autres droits ».

Un sexisme ambiant ?

Les intervenantes ont narré quelques anecdotes sur le sexisme dont elles sont parfois l’objet. Nombre d’entre elles tournent autour de l’identité du chef d’exploitation. « Un commercial est venu trois fois sur l’exploitation en me demandant où était le patron. La troisième fois, il est tombé sur mon mari qui lui a répondu : voyez ça avec ma femme, c’est elle la patronne », témoigne Michèle Boudoin. « Quand je suis sur mon tracteur qui a des jantes roses, les hommes sont souvent ébahis de voir une femme conduire un si gros engin », ajoute Aurore Paillard. Ce sont ces types de remarques et de comportement qui ont amené des jeunes agricultrices à publier, en mai 2021, une bande-dessinée sur un ton humoristique : « Il est où le patron ? » (Éditions MaraBulles).