EXCLU WEB / Climat : après le Giec, le modèle agricole reste à débattre

Cédric MICHELIN
-

Dans son nouveau rapport paru début avril, le Giec se penche sur les mesures permettant de réduire les émissions. Principale nouveauté : les experts s’intéressent à la consommation, encourageant notamment une part plus importante de protéines végétales. En revanche, ils ne tranchent pas clairement en faveur d’un modèle agricole, pointant les limites climatiques des systèmes extensifs et intensifs.

EXCLU WEB / Climat : après le Giec, le modèle agricole reste à débattre

Une chose est certaine : les efforts doivent être rapides. Le rapport publié le 4 avril par le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec) est le dernier du sixième cycle commencé en 2015. Exercice unique de compilation des données scientifiques disponibles, il se penche sur un aspect essentiel de l’urgence climatique : les moyens de réduire les émissions. Car pour espérer limiter le réchauffement à 1,5 °C d’ici 2050 par rapport à l’ère pré-industrielle, le pic d’émissions devra être atteint avant 2025, soulignent les scientifiques.

Le secteur des terres, de la forêt de l’agriculture (Afolu), qui représente actuellement 20 % des émissions mondiales des gaz à effet de serre d’origine humaine, pourrait être l’une des clés du succès. Car, note le rapport, ce secteur à lui seul pourrait offrir 20 à 30 % des réductions d’émissions et du stockage nécessaire d’ici 2050 « à un coût relativement modéré ».

Le secteur agricole à lui seul aurait un potentiel de réduction d’émissions de 4,1 Gt de CO2/an sur un total d’émissions mondiales de 56 Gt de CO2/an. Principaux leviers évoqués dans le résumé rédigé à l’attention des décideurs : augmenter les stocks de carbone dans les sols, et améliorer la gestion des rizières et des élevages. Côté consommateurs, « une transition vers des régimes plus riches en protéines végétales » et la réduction du gaspillage pourraient diminuer les émissions mondiales d’environ 2 Gt supplémentaires de CO2/an. La restauration des écosystèmes tels que les forêts ou les zones humides, aurait enfin un potentiel encore plus important : 7 Gt de CO2/an.

Mettre au pas les aides publiques

Afin de mettre en œuvre ces changements, les auteurs du Giec plaident pour « une réorientation progressive des aides publiques existantes à l’agriculture et aux forêts ». Car seuls 700 millions de dollars seraient dépensés annuellement, selon eux, pour des réductions d’émissions dans le secteur, loin des 400 milliards nécessaires. Une enveloppe qui, soulignent-ils, demeure « inférieure aux subventions distribuées aujourd’hui ».

Pour les Européens et les Français, ce chantier sera évidemment celui de la Pac, rappelle Cyrielle Denhartigh, responsable agriculture au sein du Réseau Action Climat. « Nous sommes encore dans la fenêtre de tir pour ajuster le PSN » (déclinaison française de la future Pac), insiste-t-elle. Une transition que l’on envisage également du côté de la FNSEA et des Chambres, bien qu’à un horizon moins proche. « En 2030, nous savons que cet aspect sera dans la Pac », reconnaît Olivier Dauger, référent climat des deux organisations.

À plus court terme, souligne-t-il, c’est l’avantage fiscal consenti aux agriculteurs sur le carburant qui disparaîtra, en application des dispositions européennes sur les aides aux énergies fossiles. « Nous commençons à regarder dans quelle mesure le gasoil pourrait être remplacé par du biocarburant B100, et quelle pourrait être la place de l’électrique ».

Changer les régimes alimentaires

Du côté des consommateurs, « une transition vers des régimes avec une part plus importante de protéines végétales, un apport modéré de produits animaux, et des apports réduits en graisses saturées pourraient conduire à des réductions substantielles d’émissions », souligne le rapport du Giec. Pour encourager ce changement, un mélange de politiques serait nécessaire selon le Giec, allant de campagnes de promotion à la révision de l’affichage sur les produits, en passant par des encouragements « fiscaux ».

Ces recommandations vont dans le sens des arguments développés par les ONG depuis plusieurs années. Au sein du réseau Action Climat, Cyrielle Denhartigh estime cependant que « les campagnes de promotion auront leurs limites, tant qu’on ne touchera pas à la publicité ». Pour elle, il faudra par ailleurs « travailler avec les collectivités, les cantines scolaires, ou encore les caisses d’assurance maladie et leurs centres de protection infantiles ».

Du côté du syndicalisme majoritaire, la réduction de consommation de viande reste difficile à envisager. « Manger de la viande tous les jours n’est pas une bonne idée », admet Olivier Dauger, tout en soulignant que « certains pays ne parviennent pas à couvrir leur demande ». L’un des chiffres mis en avant par le Giec, observe-t-il, ne manquera pas de faire réagir : la viande des systèmes laitiers serait selon le Giec sept fois moins émissive que la viande issue des cheptels spécialisés en viande.

Un flou sur le modèle agricole sous-jacent

En matière de pratiques agricoles, les recommandations des experts sont moins claires. Selon les chiffres retenus, chacun pourra trouver dans ce rapport de quoi conforter sa propre vision du modèle agricole. Tout en confirmant que la déforestation en Amérique Latine ou en Asie est causée par une agriculture « intensive », les auteurs indiquent un peu plus loin que les émissions liées aux déjections animales sont les moins importantes « dans les systèmes de productions plus intensifs et en bâtiment ».

De même, soulignent les auteurs, les émissions agricoles ont fortement augmenté avec l’utilisation généralisée des engrais de synthèse. Pour autant, la conversion à l’agriculture biologique, qui interdit ce type d’engrais, « pourrait conduire à l’augmentation des émissions absolues » face au besoin de terre accru en raison de moindres rendements.

Les chercheurs reconnaissent également les bons résultats d’innovations aujourd’hui controversées comme les additifs ou vaccins anti-méthane, ainsi que « les technologies alimentaires émergentes comme la fermentation, la viande de culture, les alternatives végétales, ou l’agriculture en environnement contrôlé ». Des pistes sur lesquelles la FNSEA tout comme le Réseau action climat se disent « sceptiques ». Sur la viande cellulaire notamment, « l’investissement au kilo produit reste inatteignable », juge Cyrielle Denhartigh.