Vins de Bourgogne
Une tour pour (re)calibrer les flux de carbone

Cédric Michelin
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C’est une première mondiale qui a été dévoilée le 27 mars au salon VinEquip. Une tour à flux pour mesurer les émissions et le stockage de carbone sera cet été installée dans le vignoble expérimental de la chambre d’Agriculture à Rully (Saône-et-Loire). Ce dispositif s’inscrit dans un programme de recherche plus large, Mocca qui vise à atténuer le changement climatique par le stockage de matière organique dans les sols viticoles de Bourgogne, conformément au plan de l’Interprofession visant la neutralité carbone à l’horizon 2035.

Présents aussi à la présentation, le Département de Saône-et-Loire qui financera le matériel et son installation à hauteur de 50.000 €. L’IFV suivra 96 itinéraires techniques et estimera avec précisions leurs empreintes carbones. Le laboratoire de biogéoscience de l’Université de Bourgogne analysera les stocks de carbone dans les sols… En tout, le budget du projet Mocca - pour Matière Organique Changement Climatique et Atténuation – s’élève à 210.000€ sur trois ans de recherche, avec un cofinancement du BIVB, le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne. Même les Shifters (les membres du Shift Project) sont impatients. Car cette tour, plus haute qu’une station météo, est un bijou de technologies embarquées. C’est la première en France et réjouissance supplémentaire, elle sera installée dans le vignoble expérimental de la chambre d’Agriculture qui suivra ainsi méthodiquement la moindre intervention pour la vigne.

L’entreprise américaine, Carbon Space va ainsi « objectiver les flux de carbone à l’échelle de la parcelle pour dire si elle stocke ou déstocke », débute Benjamin Alban, directeur du Vinipôle Sud Bourgogne. Pour lui, cela va permettre de « recaler les algorithmes » et revoir les « datas » que l’entreprise collecte dans les vignes du monde entier – et partout sur terre – depuis le début des années 2000. Il sera ainsi possible de remonter dans le temps !

Autant dire que l’Institut français de la vigne et du Vin suit de très près ce dossier. Pour Émilie Adoir, spécialiste des bilans carbones à l’IFB du Rhône voisin, « on va rajouter à nos calculs des combinaisons pratiques », selon les itinéraires, de façon à savoir plus précisément les flux entrants et sortants d’un couvert végétal, du broyage de sarment, d’apport d’intrant organique sous le rang uniquement… Pas encore installée, la tour sera inaugurée officiellement le 11 juillet.

Comment fonctionne une tour à flux ?

Un capteur de CO2 est disposé au-dessus du feuillage des vignes, à environ 3 ou 4 mètres du sol. Ce capteur est associé à un anémomètre 3D qui va mesurer les micro-turbulences du vent dans les trois dimensions. À partir de mesures statistiques, il est alors possible de calculer les échanges de CO2 entre l’écosystème et l’atmosphère. C’est donc bien via un modèle d’intelligence artificielle, avec les données issues de tours à flux disposées dans le monde (réseau fluxnet) que l’entreprise Carbon Space arrive à travailler les données satellitaires, les images aériennes et les données des tours pour calculer les vrais flux à l’échelle d’une parcelle. Des données qui seront analysées en continu toute l’année, en période végétative ou non donc. Elle quantifiera les émissions de CO₂ issues de la photosynthèse et de la respiration des vignes, mais également la décomposition par les organismes du sol, les amendements en carbone ou les pertes et exportations de matière organique. Seront aussi comptabilisés, la fabrication et transports des phytos, engrais, carburant, tracteurs et outils, semences… La tradition de bruler des sarments en Bourgogne risquent donc de faire un pic régional.

Ce modèle pourra par la suite être proposé aux viticulteurs du vignoble comme un outil d’aide à la décision de gestion des stocks de carbone de leurs parcelles, imagine déjà Camille Buissière, en charge du suivi du projet Mocca au BIVB. « Des géosciences fondamentales à la sociologie des pratiques viticoles, les équipes rassemblées autour de ce programme vont se pencher sur un réseau d’une cinquantaine de parcelles représentatives. D'ici à deux ans, cela devrait donner des clefs aux viticulteurs pour piloter leurs pratiques dans l’objectif d’optimiser le stockage du carbone dans les sols ».

Comment passer de l’observation à la préconisation ?

Grace à un calculateur ! Mocca va venir conforter les modèles. 96 combinaisons vont être évaluées, soit vingt-quatre situations pratiques, deux types de sols extrêmes et deux types de densités de plantations (5.000 et 9000 pieds/ha). Ce qui donne 96 si l’on croise les choix. L’IFV se focalisera sur les pratiques ayant un effet sur la matière organique comme la gestion des sarments justement, l’entretien du sol (nu ou enherbé permanent ou enherbé engrais vert) et la fertilisation organique ou minérale.

Même si ces pratiques favorables au stockage du carbone dans les sols sont identifiés, cela risque de mettre du temps avant de voir tous les vignerons se les approprier. C’est pourquoi l’Unité mixte de rechercher Cesaer et l’Institut Agro Dijon vont étudier l’angle socio-économique pour lever les freins à l’évolution des pratiques. Plus de 30 entretiens ont été réalisés au printemps 2023 auprès des viticulteurs de Bourgogne, concernant leurs pratiques actuelles et les changements qu’ils ont opérés dans le passé, en fonction de choix ou d’injonction agroécologique.

L’Interprofession des vins de Bourgogne s’est en effet fixé pour objectif d’être neutre en carbone à l’horizon 2035. Pour Manuel Olivier, vice-président de la commission technique du BIVB, « on sait très bien que la matière organique est un paramètre majeur dans nos sols. Ces derniers offrent par ailleurs une forte marge de progression en matière de stockage carbone. Ce projet apportera des éléments concrets aux viticulteurs pour agir sur plusieurs axes : le stockage du carbone sous forme de matière organique, la capacité de rétention d’eau de la matière organique et ainsi la résistance à la sécheresse de nos sols et enfin la fertilisation de nos sols grâce à la minéralisation de la matière organique ». Le plan Objectif Climat du BIVB viseune réduction de 60 % des émissions de la filière et devant compenser les 40 % restants.