Viande bovine
Pérenniser l’embellie dans les vaches

Marc Labille
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Le prix de la vache R vient de prendre 50 centimes d’euros en deux mois. Un signe encourageant pour la profession qui y voit une conséquence directe de la "rétention" en ferme des animaux et un impact de la crise du Covid-19. Mais encore loin de couvrir le coût de production, cette embellie doit être pérennisée en imposant une construction des prix juste et équitable.

Pérenniser l’embellie dans les vaches
« Avec 10 % d’animaux en moins sur le territoire et une consommation qui se tient, les cours de la viande bovine doivent continuer de remonter », estiment Michel Joly et Guillaume Gauthier.

Plus de 4 € : c’est le prix au kilo de carcasse payé actuellement aux éleveurs pour les vaches « R = ». Un tarif qui a pris + 50 centimes d’euros depuis le début du mois de mai après des années de tassement des cours. Une hausse qui fait du bien aux éleveurs qui ont des vaches grasses à commercialiser en ce moment. Ce rebond est une conséquence de l’appel à retenir les animaux en ferme à la fin du mois d’avril, observent Michel Joly, président de la FRB et Guillaume Gauthier, responsable groupe viande à JA national. En plein confinement, alors que les prix étaient déjà 25 % inférieurs au coût de production, le cours de la vache R avait perdu en moyenne 20 centimes. Une baisse incompréhensible puisque les abattages avaient rapidement retrouvé leur niveau habituel et que la consommation de viande hachée bondissait même de + 60 %, bénéficiant à la grande distribution et aux bouchers. Le marché avait manifestement profité de la panique des premiers jours d’épidémie pour peser sans raison sur les prix. Face à cette baisse sans fondement, la profession (bassin allaitant, FNB) a voulu frapper fort en lançant le mot d’ordre de bloquer les animaux en ferme.

Impact du blocage en ferme

En pleine crise du coronavirus, l’affaire a fait grand bruit au point que les médias s’en sont émus… Dès le milieu du mois de mai, l’abatteur Bigard consentait le premier à augmenter le prix de la vache. La hausse de la part de viande hachée risquant de déprécier le prix de la carcasse, une augmentation des prix était indispensable pour le plus gros opérateur de la filière. Dans le même temps, comme si tout se précipitait tout à coup, les acteurs de la filière ont été réunis au ministère et un accord était trouvé pour une revalorisation des prix. Une autre réunion suivait à Bercy où la nécessité d’augmenter le prix au consommateur a été actée (finalement tout devenait possible). « Une hausse du prix du steak surgelé doit être appliquée à compter du 1er juillet. Ce qui incite à augmenter le prix des femelles allaitantes », rapporte Guillaume Gauthier.

Plusieurs gros abatteurs ont donc enfin consenti à faire remonter les prix des vaches ; certains plus ou moins que d’autres… « Le prix des génisses a suivi moins vite et la situation est plus inquiétante pour les jeunes bovins : les prix ne bougent pas et les stocks augmentent. On ne comprend pas », confie Guillaume Gauthier.

L’enjeu aujourd’hui est que cette embellie sur les vaches ne s’essouffle pas et ne s’arrête pas en si bon chemin. Car les 4 € sont encore loin de couvrir le coût de production d’une vache R, fait valoir Michel Joly indiquant que le coût de production calculé par l’Institut de l’Élevage est entre 4,80 € et 4,90 €. « À 4 €, on paie les charges mais on ne se verse toujours pas de salaire », informe le représentant de la FRB. Les investissements sont suspendus depuis quatre ou cinq ans et les prix des broutards sont actuellement inférieurs de 15 centimes d’euros par rapport à l’année dernière, rappellent les deux responsables.

Grande distribution, label, restauration

Pour que le mouvement enclenché perdure, « il faut que le prix soit le fruit d’une réelle construction avec prise en compte totale du coût de production », estime le président de la FRB. Le premier impératif est « d’arriver à tenir la pression sur la grande distribution et qu’elle accepte de jouer le jeu – autrement dit qu’elle répercute les hausses, notamment sur le steak haché », avance Michel Joly. Le second levier concerne le label Rouge. La montée en gamme prônée par les ÉGAlim doit être appliquée. « Pourtant rendus obligatoires par la loi, peu de contrats ont été signés pour l’instant », déplore Guillaume Gauthier et malgré la nouvelle règle de calcul du prix intégrant le coût de production, la plus value est restée la même. « Interbev a mis en œuvre tout un plan de communication pour promouvoir la viande label », poursuit Michel Joly. « La montée en puissance du label (objectif 40 % du volume en 2023) doit se mettre en place dans le respect des accords cadre. Nous y veillerons », ajoute le représentant JA.

Enfin, et c’est peut-être le point le plus important, il faut que la restauration suive, estiment Michel Joly et Guillaume Gauthier. « La restauration hors foyer (collectivités, cantines…) doit arrêter d’importer des viandes étrangères et au contraire consommer de la viande française. C’est essentiel pour l’équilibre matière », argumente le président de la FRB. Quant à la restauration commerciale, « elle pourrait en profiter aussi pour surfer sur le local ». Pour aller dans ce sens, la profession a rencontré toutes les chaines de restauration collectives et commerciales, informe le responsable JA national.

Renverser le rapport de force

Si elle est encore insuffisante pour rémunérer le travail des éleveurs, cette embellie du cours de la vache est tout de même un symbole encourageant. Le signe d’une prise de conscience après la crise du covid, espère-t-on. Et surtout, pour les producteurs, cette hausse des cours semble traduire malgré tout un renversement du rapport de force avec l’aval qui, confronté au blocage des animaux en ferme, a pris peur de manquer de marchandise.

« Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a moins d’animaux, moins d’éleveurs et la consommation se tient, donc il n’y a aucune raison qui justifie de poursuivre la baisse des cours », recadre Guillaume Gauthier. Car pour les deux responsables bovins, il faut que cessent les mauvaises rumeurs répandues dans les cours de ferme par des oiseaux de mauvaise augure… « À la FNB, nous analysons les chiffres, nous avons toutes les données d’abattage, stockages en abattoir, données de consommation, nombre de têtes en ferme… », fait valoir Michel Joly. Ce sont donc à ces chiffres officiels et véridiques qu’il faut se fier et non plus aux fausses rumeurs entretenues pour peser artificiellement sur les prix, mettent en garde les deux responsables. Un mot d’ordre qui vaut aussi pour les broutards en ce moment alors que des opérateurs entretiennent l’illusion que le marché irait mal en Italie, ce qui est faux, recadrent Guillaume Gauthier et Michel Joly.