Énergie
Chauffage : « Le recours au délestage électrique n’est pas le plus probable »

Depuis cet automne, l’État prépare les Français à réduire leur consommation d’énergies durant les prochains mois. Le spécialiste de l’énergie et professeur à l’École du pétrole et des moteurs, Jean-Pierre Favennec, se veut néanmoins rassurant, mais alerte sur la nécessité de trouver d’autres sources d’approvisionnement pour l’hiver 2023-2024.

Chauffage : « Le recours au délestage électrique n’est pas le plus probable »
Selon Jean-Pierre Favennec, consultant et spécialiste en énergies, « cet hiver se passera sans trop de difficultés », mais « l’inquiétude se situe plus pour l’hiver 2023/2024 ». Photo fournie par Jean-Pierre Favennec

Quel est le pourcentage de gaz russe utilisé par la France habituellement ?

Jean-Pierre Favennec : « En 2019, les importations russes ont représenté 40 % de l’approvisionnement européen, soit 200 milliards de m3. Au fil des années, ce chiffre a fini par s’étioler. Pour rappel, au moment où le conflit entre la Russie et l’Ukraine a démarré en février 2022, le gazoduc Nord Stream 2 venait tout juste d’être terminé, il n’a donc que très peu fonctionné. »

Depuis quelle date l’Europe achète-t-elle du gaz à la Russie ?

J-P. F. : « Dès la fin des années 1970, les Européens se sont intéressés au gaz russe. L’achat remonte aux années 1980 et les tuyaux ukrainiens constituaient la principale voie d’acheminement. Jusqu’en 2005, les Russes vendaient à l’Ukraine le gaz à un prix très bas, égal à 25 % du niveau mondial. Mais lorsque la "révolution orange" a éclaté en Ukraine, les Ukrainiens ont dû payer le prix fort et n’ont pas pu en acheter suffisamment. Ensuite, le gazoduc Nord Stream 1 a été inauguré et a relié la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique, sans croiser d’autres pays. »

La France dispose-t-elle d’assez de stocks en gaz pour tenir cet hiver ?

J-P. F. : « La bonne nouvelle, c’est que nos stocks de gaz sont pratiquement pleins. Nous avons de quoi tenir environ deux mois et demi durant cet hiver. Certes, nous n’aurons plus d’approvisionnements venant de la Russie, mais l’arrivée de gaz par les gazoducs venant de la Norvège, de l’Algérie, du Qatar et des États-Unis continue. Les États-Unis ont augmenté leur capacité de production de gaz naturel liquéfié (GNL) et le Nigeria nous en fournit également. Cet hiver se passera sans trop de difficultés. L’inquiétude se situe plus pour l’hiver 2023-2024, puisque aucun approvisionnement de gaz russe n’aura pu être fait d’ici là. »

Les Français doivent-ils s’attendre à des coupures ponctuelles d’électricité (délestages) ?

J-P. F. : « Le recours au délestage électrique n’est pas le plus probable. Si elles doivent intervenir, ce sera durant des vagues de froid en janvier ou février et il s’agira de coupures de deux heures qui se feront progressivement sur tout le territoire. »

La production d’électricité via les centrales nucléaires françaises sera-t-elle suffisante ?

J-P. F. : « Actuellement, 24 réacteurs nucléaires sur 56 sont à l’arrêt en France. Une partie d’entre eux le sont à cause de ce que nous appelons le grand carénage : beaucoup de réacteurs ont été construits entre 1975 et 1990, mais la durée d’une vie d’une centrale est de 40 ans maximum. Il faut donc les entretenir avant de les prolonger. Quant aux réacteurs les plus récents, ces derniers sont frappés par des problèmes de corrosion où la rouille fragilise les tuyaux. Or, des grèves au sein d’EDF ralentissent la remise en service de ces centrales. Entre les maintenances et les réparations dues à la corrosion, de nombreux réacteurs sont à l’arrêt. Normalement, 80 % de l’électricité utilisée en France provient du nucléaire. Mais avec les problèmes précédemment cités, ce pourcentage est actuellement plus faible. »

La France achète-t-elle de l’électricité à l’Allemagne ?

J-P. F. : « Pour l’instant, la France vend du gaz à l’Allemagne qui, en échange, vend de l’électricité à la France. La France a recours à une électricité très chère et tout le monde en pâtit, c’est pour cela que le gouvernement a mis en place le bouclier tarifaire pour les particuliers. Mais le problème touche également les artisans et les petites sociétés qui renouvellent leur contrat d’approvisionnement en énergie cette année. »

Propos recueillis par Léa Rochon

ÉcoWatt

Connaître sa consommation électrique en temps réel

Disponible gratuitement sur internet ou via une application depuis le 19 octobre, Écowatt est un dispositif développé par le Réseau de transport d’électricité (RTE) et l’Agence de la transition écologique (Ademe). Cet outil fonctionne comme une météo de l’électricité : Écowatt informe en temps réel sur le niveau de consommation des Français, région par région. En cas de couleur orange, signe d’un système électrique tendu, l’application encourage le particulier à effectuer des écogestes pour minimiser son impact sur le réseau. La couleur rouge symbolise, quant à elle, un système électrique très tendu. Un message sera alors envoyé sur l’application indiquant "coupures inévitables si nous ne baissons pas notre consommation". Afin que cet outil soit le plus précis possible, RTE prévoit le niveau de consommation des Français, la production d’électricité disponible et le niveau d’import possible. Pour rappel, l'observatoire statistique de la demande en énergie (Ceren) estimait qu'en 2017 le chauffage représentait 66 % de la consommation d'énergie des ménages au sein de leur logement, suivi par l'électricité spécifique (17 %), la cuisson (11 %) et l'eau chaude (5 %).

L.R.