Zones d'activités
"Il n'y a pas de modèle unique"

Florence Bouville
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Dans le cadre du projet de renouvellement des générations en Beaujolais, la chambre d’agriculture du Rhône a animé une journée de présentation et d’échanges autour des Zones d’activités (ZA), le 24 octobre au Domaine Normand, à la Roche Vineuse. Les collectivités souhaitent toutes aller plus loin sur ce sujet et pourquoi pas implanter une première ZA viticole sur le secteur. Pour cela, elles doivent davantage mobiliser leurs compétences économiques et foncières, en s’appuyant bien sûr sur les connaissances terrain des OPA.

"Il n'y a pas de modèle unique"
Les collectivités sont de plus en plus nombreuses à acquérir du foncier dans le but de construire des Zones d'activités à destination des vignerons.

L’habitat des vignerons est jusqu’à présent resté implanté au cœur des vignobles. Seulement, au vu de la pluralité des dynamiques d’installation, cela risque d’évoluer. À commencer par une volonté accrue de séparer vie professionnelle et vie privée. D’après l’enquête menée par Marc Robin, conseiller installation-transmission viticulture à la chambre d’agriculture du Rhône, le troisième frein à la transmission concerne le bâti : « je ne veux pas quitter ma maison ». Les craintes vis-à-vis d’un nouveau repreneur extérieur étant multiples. Dans le cadre d’une installation, l’accès au bâti est donc d’autant plus difficile que 72 % des cuvages sont liés à la maison d’habitation. Du côté des candidats, 50 % portent un premier projet (avec 65 % des récents installés en hors cadre familial), 35 % cherchent à s’agrandir ou changer de locaux et 15 % sont des investisseurs privés.

Des hameaux 100 % techniques ?

Le projet de "hameau agricole", porté par la Communauté d’agglomération Hérault Méditerranée (CAHM), est un des seuls exemples en France d’espace concentrant bâtis agricoles et logements particuliers. Après dix ans d’opérationnalité, c’est l’heure des premiers bilans, entre innovations et dérives. Au lancement du projet, une enquête avait été menée quant à l’utilité de coupler, ou non, habitations et lieux de stockage. Le oui l’avait emporté. Malheureusement, cela a conduit à des effets d’aubaine. Certains agriculteurs ont par la suite revendu leur maison pour acheter d’autres parcelles à proximité. Ils ont ainsi « privilégié l’intérêt foncier plutôt que les aspects logistique et agricole », explique Jacques André, responsable du projet. Bien que garanti pour 18 ans, l’usage agricole pourrait être remis en question après le bail. « Il n’y a pas de visibilité », souligne-t-il, ce qui questionne quant au risque de « dénaturation » du hameau de Saint-Thibéry.

Âgés de 50 à 65 ans, les candidats actuels (viticulteurs, céréalier et conchyliculteur), tous déjà actifs, faisaient malheureusement état de trop nombreux conflits avec le voisinage et souhaitaient changer de modèle. « Je ne pense pas aujourd’hui qu’on repartirait sur ce type de projet, qui s’est avéré plus difficile que ce l’on avait anticipé », confesse Jacques André. La CAHM ne baisse pour autant pas les bras. D’autres projets sont en cours. Seulement, il est clair que le modèle "bâti technique + habitation" ne sera pas renouvelé. La collectivité a l’intention de construire un hameau 100 % technique ; « l’absence de logements simplifiant beaucoup de choses ». Douze candidats ont déjà été identifiés au cours d’une assemblée générale de cave coopérative et les plans d’un bâtiment en forme de fer à cheval ont été dessinés, intégrant des panneaux photovoltaïques.

Direction maintenant le Centre-Val de Loire, où un "village vigneron" verra a priori le jour au sein d’une ZA. L’idée est née en 2020, devant le vieillissement du lycée agricole d’Amboise. Les réflexions étaient initialement tournées « non pas vers le chai, mais vers le bâtiment du futur, en englobant bien sûr les process de production », explique Florence Veilex, présidente du Vinopôle d’Amboise. En 2022, les élus valident le financement d’une étude de faisabilité, en dissociant le projet de nouveau chai du lycée et le village technique. Au vu des besoins similaires des filières, il est prévu d’y installer aussi bien des viticulteurs que des brasseurs et pourquoi pas une cidrerie. Même si l’appel à candidature n’a pas encore été lancé, les jeunes sondés penchent surtout pour de la location et non de l’achat ; impliquant la recherche d’un investisseur privé. Par ailleurs, le projet ne rendra pas possible les micro-installations (sur un ou deux ha). Daniel Bulliat, vice-président d’Inter Beaujolais intervient : « beaucoup de jeunes ici aimeraient accéder à ce type d’installations […] il y a également de nombreux doubles actifs, au démarrage de l’activité ». Sauf qu’en Touraine, la situation est différente ; un foncier de 5-10 ha se trouve relativement facilement. La moyenne du territoire dépasse même ce chiffre, s’élevant à une vingtaine d’ha.

Le terrain de 3 ha appartient à la Région, ce qui devrait logiquement faciliter les démarches de construction. Le "village vigneron" ciblera un périmètre de vignes assez étendu, couvrant, entre autres, l’AOC Touraine. Pour ce secteur, une distance de 20 km entre parcelles et chai se gère sans problème. En revanche, gros sujet en suspens : la gouvernance de la structure, qui s’inspirera sûrement de l’organisation de pôles artisanaux et industriels classiques.

« Réussir à faire coïncider les agendas »

Pour Jacques André, il n’est parfois pas étonnant que des agriculteurs, malgré leur intérêt pour un projet collectif, se reportent finalement sur des démarches individuelles. Vu que « le temps de la collectivité n’est pas celui de l’entrepreneur ». La Communauté de communes de la grande vallée de la Marne (CCVGM) a récemment acquis quatre terrains, sur la zone de Trouilly, à Aÿ-Champagne, proches d’un giratoire, au pied de coteaux historiquement classés. Cinq années se sont écoulées entre la naissance du projet et la viabilisation des parcelles. Malgré la manifestation en amont de trois vignerons et d’une maison de négoce, il faut « jongler avec les projections de chacun ». D’où l’importance de cibler tôt des candidats, « pour ne pas créer une zone dans le vide », déclare Dominique Lévêque, président de la CCVGM. Il reste convaincu qu’il n’y a que « la puissance publique de la collectivité pour porter ce genre d’opération, [capable de] se rendre maître du foncier ».

Entre autonomie et mutualisation des usages

Au sein du "hameau agricole", l’aire de lavage est ouverte aux vignerons alentour. Malgré cela, cette aire n’est pas rentable et plombe le modèle économique ; surtout depuis que l’Agence de l’eau a mis fin à ses subventions. Pour le futur projet de hameau 100 % technique, les coûts et les espaces seront davantage optimisés. C’est aussi ce qui motive les futurs candidats. Au Vinopôle d’Amboise, tout ce qui concerne le processus de vinification sera difficilement mutualisable. En revanche, tout ce qui relève du stockage et de la préparation des bouteilles sera fait en commun. Autrement dit, la gestion des flux entrants et sortants (canalisation du CO2, traitement des déchets…), « un peu comme dans un immeuble en copropriété », résume Florence Veilex. D’abord pensé « comme des modules autonomes », le bâtiment sera en un seul bloc, mais il comportera plusieurs chais. Attention, l’architecture demeure contrainte par la proximité avec le château d’Amboise. Toutefois, tous les projets n’optent pas forcément pour une mutualisation des usages. Il arrive que seul le foncier soit partagé, et c’est déjà beaucoup. Du côté des terres acquises par la CCGVM pour son troisième projet de ZA, les activités seront diverses : stockage viticole, centre de pressurage, vitrine et vente. Au bilan, ce sera « chacun son lot, chacun son usage », conclut Dominique Lévêque.

Cette journée aura finalement soulevé plus de questions qu’elle n’a apporté de réponses immédiates. Néanmoins, les pistes de travail ne manquent pas, nourries par une multitude de cas existants. En comparaison de précédentes réunions sur la thématique du foncier viticole, Nathalie Chuzeville, directrice de l’Union des crus du Beaujolais, déclare : « il était très intéressant d’élargir les témoignages et la question du bâti à tous les âges et de ne pas se limiter aux jeunes installés ». Voilà, il ne reste plus qu’à lancer un projet pilote, quitte à ce qu’il serve d’exemple. Se posera ensuite la question de la reproductibilité, soumise à l’épreuve de freins bien connus : pression foncière, raréfaction de la main-d’œuvre, temps longs de l’administration…