Jardin-forêt
Plants d’aménagement rural !

Françoise Thomas
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La Forêt Gourmande de Fabrice Desjours se concrétise par une parcelle de 2,5 ha quelque part dans la campagne de Diconne. Ancien infirmier ayant parcouru le monde pour son travail, il a rapporté de ces différentes missions des semences et des savoir-faire sur la culture des arbres et des plantes qu’il teste lui-même depuis dix ans dans la Bresse. Des connaissances originales, parfois aux portes de l’oubli, mais qui pourraient pour beaucoup être transposées au monde agricole et ce pour différents usages.

Plants d’aménagement rural !
Le millier d’espèces végétales présent dans la Forêt Gourmande créée par Fabrice Desjours permet une cueillette toute l’année.

Croquant en passant, tout au long de la visite, une feuille de ci une autre par-là, Fabrice Desjours prouve par le geste que sa forêt est vraiment gourmande. Même au cœur du mois de décembre, alors que la période de repos végétal s’est installée ici comme ailleurs, on peut ainsi découvrir des saveurs salées, anisées, poivrées, etc. de tout un ensemble de végétaux. Évidemment rien à profusion en ce moment, « mais du printemps à l’automne, on mange fruits, feuilles, fleurs, racines, graines, baies, champignons, épices, sève, sirops, noix et pulpes de certains fruits », détaille le jardinier-chercheur.

Peu d’intervention

En tout, plus de mille espèces végétales se côtoient sur les 2,5 ha de ce qui n’était encore qu’une prairie il y a dix ans. Depuis, l’ensemble a été aménagé en plusieurs espaces pour tester une multitude de variétés végétales et des associations entre elles, différents types de terrain et divers projets de productions.
Ce qui est implanté l’est cependant de manière très consciencieuse et s’il faut l’aide d’un support, d’une claie ombragère ou d’un arrosage, ceux-ci ne sont présents ou apportés que le temps nécessaire, souvent les deux-trois premières années de la vie du jeune plant. Ensuite, aucune fertilisation ni arrosage, « on veut reproduire ce qui se passe dans une forêt naturelle où tout pousse grâce à la présence protectrice et aux apports des végétaux environnants », explique Fabrice Desjours. Ainsi tout se poursuit naturellement, la croissance des végétaux comme leur essaimage. Seule un peu de taille s’avère parfois nécessaire... « On laisse même les monticules de terre témoignant de la présence de certains petits animaux, car cela permet aux graines qui ont besoin d’un terrain nu de s’implanter », explique le jardinier-chercheur au détour d’une allée.

De l’ombre à la lumière

Sur la parcelle, nombreux sont les arbres associés à des lianes pour leur servir de support. Certains ne serviront qu’à cela, d’autres produisent eux-mêmes des fruits ou des feuilles exploitables. Il se trouve également plusieurs arbres têtards servant de trogne alimentaire. « Pour passer de la 2D de la prairie originelle à la 3D actuelle, nous avons donc eu besoin de plantes et arbres AFI, pour architectural, fertilisant, ingénieur, détaille Fabrice Desjours, cela nous permet notamment de jouer avec les jeux d’ombre et de lumière ». Ainsi outre un parcours entre différents fruitiers, la Forêt Gourmande compte également une mini butte asséchante, une clairière potagère avec des légumes anciens, voire oubliés (beaucoup sont pérennes comme le poireau perpétuel), des mares hébergeant des plantes aquatiques alimentaires mais aussi des végétaux semi-aquatiques sur leurs berges. D'ailleurs, certaines de ces mares s’assèchent en été ce qui permet de tester diverses variétés qui pourraient s’avérer intéressantes dans les zones inondables…

Des productions à repenser

Si le concept intéresse tout propriétaire d’un terrain « dès 200-300 m² », sa déclinaison dans un contexte agricole peut tout à fait s’envisager et surtout être multiple. Avant de se lancer cependant, « il faut bien déterminer ce que l’on recherche : une forêt jardin pour soi, donc pour une production vivrière familiale, pour du fourrage ou pour une production à commercialiser, etc. », énumère Fabrice Desjours.

Ensuite, autre élément primordial : assurer le débouché. « Cela peut être notamment de s’entendre avec un restaurateur intéressé pour proposer sur sa carte des légumes et des saveurs qui sortent de l’ordinaire. Ce peut être également des plantes médicinales, des plantes tinctoriales permettant les teintures naturelles », la production de tuteur, de bois de chauffage, ou encore une production réputée exotique : « nous faisons venir des grenades de l’autre bout du monde alors que l'asiminier, un arbre résistant jusqu'à -25 °C produit un parfait équivalent de ces fruits », donne-t-il comme autre exemple, voire, cela pourrait concerner la production des plants eux-mêmes tant le concept commence à avoir le vent en poupe et la demande (de la part des particuliers, des collectivités, des professionnels) explose pour ces variétés d’arbres atypiques, oubliées, exotiques.

Si l’on souhaite développer une production commerciale, l’aménagement peut tout à fait ne compter que quelques dizaines de variétés, « la mise en place en linéaire ou par zone est possible, puisqu’il faut aussi dans ces cas-là penser l’implantation qui facilitera les récoltes ». Le principe est ainsi basé sur une véritable réflexion en amont pour avoir le moins possible à intervenir ensuite, en gros, juste pour la récolte. De ce fait « chaque jardin-forêt est unique, adapté au sol, au budget, au temps que l’on peut y consacrer, aux objectifs », rappelle-t-il.

Vignes de Syrie

Dans un contexte de réchauffement climatique, il faut surtout pour Fabrice Desjours trouver des solutions dans la nature. Ainsi, revenir uniquement aux espèces ou provenances locales est en partie une erreur : « il vaut mieux planter 30 % d’espèces - ou provenances- locales, 30 % d’espèces originaires de pays nordiques car avec la baisse d’influence du Golf Stream on risque de connaitre des hivers particulièrement froids et 40 % d’espèces du sud, habituées aux conditions climatiques plus chaudes et plus sèches que nous commençons à connaitre ».
Fabrice Desjours teste notamment ce principe avec de la vigne : « nous avons ici des ceps qui viennent du Japon, d’autres d’Ouzbékistan, de Syrie, etc. ; forcément ces plants ne réagiront pas de la même façon les uns les autres et que nos plants historiques. Le climat change, il faut changer nos plants et s’inspirer de ce qui pousse ailleurs »…
Par ailleurs, avec des floraisons décalées, dont en plein hiver, cela garantit aux insectes butineurs de la nourriture tout au long de l’année lorsqu’un redoux en pleine saison froide les fait ressortir.

Les solutions végétales que proposent Fabrice Desjours sont certes à raisonner à l’échelle d’une parcelle, mais elles obligent à aborder notre rapport au végétal sous un autre angle, en se basant sur les capacités intrinsèques du végétal plutôt que de faire en sorte que ce soit au végétal de fournir ce que l’on attend de lui.

Inviter la 3D

Inviter la 3D

« Quand on est arrivé, c’était une prairie de 2,5 ha avec seulement des arbres en bordure. C’était donc un espace en 2D… ». Depuis, Fabrice Desjours a rajouté cette troisième dimension avec des plantations à tous les étages. Le principe du jardin-forêt comprend jusqu’à sept strates depuis les arbres pouvant dépasser les 10 mètres jusqu’aux légumes-racines et plantes tuberculeuses en passant par les petits arbres, les arbustes, les lianes, les plantes couvre-sol et les champignons.

« Au début, ici comme ailleurs, nous avions une vraie problématique limaces. Nous avons dû intervenir en les prélevant, se rappelle Fabrice Desjours. Mais désormais la présence des oiseaux et des autres prédateurs est suffisante pour les contenir ». Et il en est ainsi pour tous les autres parasites et maladies, le contexte général permettant un équilibre de l’ensemble, une saine régulation des problèmes.

Si l’on trouve des ruches, il n’y a en revanche aucun nid préfabriqué pour les oiseaux « ils trouvent naturellement ici le gîte et le couvert, on constate désormais énormément d’espèces différentes ».

Beaucoup de demandes

Le problème, car il y en a un, c’est que Fabrice Desjours croule sous les demandes : « mon urgence est désormais d'instruire à mon tour des formateurs car nous n’arrivons pas à répondre à toutes les sollicitations ». Avec des centaines de personnes sur liste d’attente et des visites de la parcelle de la Forêt gourmande désormais uniquement réservées à un public influenceur (porteurs de projets communautaires, scientifiques, médias, etc.), il est temps en effet d’intensifier le réseau. Montée en association, la Forêt Gourmande peut compter sur de nombreux bénévoles, et certains d’entre eux sont donc en formation.

Peu de temps après notre visite, Fabrice Desjours et plusieurs bénévoles installaient haie et parcours boisés chez des éleveurs de chèvres du Clunisois : « l’idée est ici d’implanter une trentaine d’espèces ligneuses (arbres et lianes) dans le but de fournir du fourrage aux chèvres avec des variétés permettant de renforcer leurs défenses immunitaires », en plus de l’aspect brise-vent et rafraichissant.

Une approche qui commence peu à peu à se faire connaître et à intéresser les chambres d’agriculture : « nous avons des contacts du côté de la Bretagne, du Jura ou de la Sarthe pour monter différents projets ». De nombreuses communes cherchent également à installer des mini-forêts urbaines, pour leur côté nourricier bien-sûr mais aussi pédagogique, rafraîchissant, apaisant, séquestrant carbone…