Cerfrance 71 – Vitiscopie 2021
Des résultats économique en recul, depuis plusieurs années et à venir, craint le Cerfrance 71

Cédric MICHELIN
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Le 2 février à Sennecey-lès-Mâcon, Cerfrance 71 livrait la dernière édition de son étude économique Vitiscopie pour l’année 2021. L’occasion de passer au crible les comptabilités de plus de 240 exploitations viticoles, divisées selon trois modèles. Pas de surprise, après le gel 2021 et la moitié de récolte générale, les comptables alertent sur les difficultés à venir. Un défi qui en cache un autre : celui de produire car les rendements se dégradent lentement mais sûrement. Le changement climatique n’y est pas pour rien.

Des résultats économique en recul, depuis plusieurs années et à venir, craint le Cerfrance 71
« Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console », citait Éric Jeannin, conseiller CERFrance 71. Les revenus des « grandes » filières de Saône-et-Loire se situent entre 16.000 €/Utaf pour les laitiers, 18.000 € pour les bovins viandes, 41.000 € pour les céréaliers à égalité donc avec les viticulteurs de Saône-et-Loire en 2021.

Avant les interventions des comptables et conseillers du CER, ou l’intervention du Vinipôle Sud Bourgogne, le président de Cerfrance 71, Vincent Landrot, était visiblement heureux de retrouver la cinquantaine d’invités, après une Vitiscopie en visioconférence l’an dernier. Après avoir synthétiquement brossé l’année 2021 – « gel, excès d’eau, hausse des charges, marchés des vins qui s’emballent… » -, Vincent Landrot préférait prévenir sur les présentations : « il n’y aura pas de solution magique. Les forces et les faiblesses dépendent surtout de la cohérence entre l’exploitation et les objectifs de son chef. Une performance globale passe par de multiples facteurs : économique, qualitatif, social, sociétal, environnemental, innovation, communication… ».
Les conseillers Émilie Golin et Arnaud Carbonnier se lançaient donc dans l’analyse. Comme à l’accoutumée, l’échantillon avait été scindé en trois grands modèles de vente : les coopérateurs en AOC régionales majoritairement, les viticulteurs vendant en vrac en grande partie et enfin les vignerons principalement en vente directe d’AOC communales. En préambule, Émilie Golin rebondissait sur les propos de son président : « Prudence sur vos investissements, attention à tous vos intrants… même si la qualité de la récolte 2021 est là, elle a été amputée de moitié. Les transactions sont certes dynamiques avec l’envolée des cours mais vos marges de manœuvre se réduisent avec, aussi, des cours se répercutant sur la valorisation de vos stocks ». Le ton était donc donné. Et son analyse à plus long terme était du même acabit : « vos revenus sont durablement en retrait », avec l’effet volume surtout des rendements en baisse, non compensé entièrement par la montée en gamme et les cours du vrac. Elle nuançait cependant pour ne pas trop noircir le tableau général : « la santé des exploitations viticoles est plutôt rassurante pour 80 % d’entre vous », au regard de l’efficacité économique, les annuités/produits bruts, le taux d’endettement ou encore la solvabilité.

L’inertie des lourds capitaux

Alors pourquoi tant de messages de mise en garde ? « En raison de l’inertie de vos systèmes qui engagent de grands capitaux ». Les jeunes installés étant forcément en première ligne. Pas d’inquiétude excessive pour l’heure, « vos performances en 2021 rassurent avec des résultats solides ». Mais des signes avant-coureurs sont à surveiller. En vente bouteilles bio par exemple, malgré un « 8 €/col bien valorisé » et des charges comparables au conventionnel, les investissements nécessaires sont plus conséquents, pesant au final sur le taux d’endettement, venant même jusqu’à « grignoter le résultat à 25 k€/Utaf ». Autre exemple avec une exploitation qui a enregistré régulièrement des baisses de rendements (-10 à -30 %), « derrière, vos charges opérationnelles et de structures augmentent, tout comme pour la main-d’œuvre et les fermages. Résultat : un recul conséquent des revenus/Utaf », surtout lorsque les cours du vrac stagnent. Les « plus performants » au sens comptable sont finalement les domaines en AOC régionales grâce à « plus de productivité et plus d’amortissement des charges », avec la possibilité de valoriser le vrac. Même si les comptables le répètent : « le prix d’équilibre dépend beaucoup plus de l’effet volume ».
En conclusion de leurs présentations (lire dans notre prochaine édition), Émilie Golin et Arnaud Carbonnier attiraient l’attention de toutes et tous sur la gestion future des stocks et de la trésorerie. « Regardez la cohérence de vos charges pour qu’un euro investi soit le mieux engagé et vous serve en retour au mieux ». En ce début mars 2022, la hausse des charges se poursuit surtout sur l’énergie (gasoil, électricité des entreprises de la filière…) et même si « les cours du vrac ont doublé en un an, la Bourgogne aura des difficultés à répercuter toutes les hausses de charges, notamment les ventes aux caveaux aux tarifs plus progressifs ». À l’heure des allotements pour les clients sur le millésime 2021, et en espérant de belles vendanges 2022, le meilleur conseil reste de « diversifier vos gammes, vos secteurs de vente, vos distributeurs, vos pays exports… pour sécuriser ».

Encore 10 jours d’avance sur la date des vendanges

« Tout hectolitre produit supplémentaire permet de diluer vos charges ». Derrière cette réalité comptable, le Cerfrance donnait la parole à Florent Bidaut, du Vinipôle Sud Bourgogne, pour comprendre et chercher des solutions à la baisse des rendements observés en Bourgogne. Fini le climatoscepticisme, « la cause du changement climatique vient des activités humaines qui dégagent du CO2 ». Avec des températures qui augmentent « en dents de scie » en Bourgogne depuis les années 1980. Les rendements bourguignons ont tendance à « plafonner ». Les causes sont toutefois multiples – « vieillissement, dépérissement des vignes… » -, y compris « la flavescence dorée et le retrait des produits nous permettant de lutter contre les maladies et ravageurs », grommelaient plusieurs vignerons dans la salle qui ne comprennent pas de se retrouver sans arme face à tant de défis.
Températures et eau sont au centre des préoccupations. « À Mâcon, on risque de prendre entre +1 °C d’ici 2050 et +3 °C d’ici la fin du siècle », sachant que les efforts « consentis » pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui en 2022 ne commenceront à se faire sentir qu’en 2050… du fait de l’inertie du climat et la persistance du CO2 dans l’atmosphère principalement. Même si le risque de gel aura tendance à diminuer, le débourrement des vignes devrait se croiser « plus fréquemment » avec le dernier jour de gel. Les cumuls d’eau, eux, devraient rester stables mais pas la répartition mensuelle des pluies, avec des déficits hydriques l’été et de gros orages ponctuels. Au final, la maturité a « déjà gagné 10 jours et pourrait encore en gagner 10 ». Des vendanges en août donc, voir mi-août…
Si « depuis dix ans, nos vins sont plus solaires – et moins acide qu’il y a 20 ans – et qu’ils plaisent car offrant des pinots plus mûrs et colorés, il faut voir ce futur lointain » et les conséquences sur les vins aussi, prévient Florent Bidaut.
Avec la profession agricole et viticole, les équipes du Vinipôle construisent un guide de solutions. « Une innovation est une adaptation des pratiques » : gestion des couverts, gestion du feuillage, maturité différente des vendanges, techniques de vinification… sont des leviers à court terme. À moyen terme, la plantation de haies, d’arbres, l’agroforesterie… sachant qu’à plus long terme, les techniciens continuent d’étudier les porte-greffes, clones, cépages, densité, orientation parcelles, versants non explorés… « à condition que les réglementations évoluent ». Et vont même jusqu’à réfléchir sur des pistes de « diversification » des ateliers sur les domaines. Un retour aux sources en définitive.