Crise viticole nationale
Maintenir la pression : Non, la mobilisation n’est pas terminée

Ariane Tilve
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À l’occasion des assemblées générales de l’Union viticole 71 et de la Commission d'emploi, mardi 5 mars à la cave de Lugny, le vice-président de la FNSEA, Jérôme Volle a rappelé que le syndicat va s’assurer que les promesses gouvernementales soient tenues et compte maintenir la pression pour y parvenir.

Le vice-président de la FNSEA à la Cave de Lugny mardi 5 mars.
Le vice-président de la FNSEA à la Cave de Lugny mardi 5 mars.

Vigneron dans le Sud-Ardèche, Jérôme Volle est en charge de l’Emploi et des questions sanitaires au sein de la FNSEA. C’est pour parler de la mobilisation qu’il a fait le déplacement, mais aussi et surtout pour évoquer la méthode et les enjeux d’un mouvement qui a quitté le devant de la scène médiatique pour agir plus efficacement en coulisse. Pour rappel, le mouvement encadré par la FNSEA a atteint son apogée à la fin janvier. Après des annonces fortes du gouvernement, la Fédération a décidé de lever les blocages. « Nous ne pouvions pas continuer à manifester. Nous sommes entrés dans une phase de discussions, de négociations, en maintenant la pression pour aller jusqu’au bout de nos revendications. À l’heure actuelle, des groupes de travail pour la simplification administrative au niveau départemental sont à l’œuvre. Nous continuons donc à travailler au niveau local, national et européen pour faire avancer les choses, faire appliquer nos revendications ». Une volonté partagée par Patrice Fortune, président de l’Union viticole 71, qui renchérit : « tous les objectifs sont travaillés aujourd’hui. Certains sont déjà atteints, d’autres avancent grâce à plusieurs jours et plusieurs nuits de mobilisation qui ont démontré une très forte cohésion du monde agricole. C’est pour aller au bout de cette démarche que les blocages ont été levés mais que la pression reste maintenue ». Pour rappel la FNSEA a listé 122 revendications dont voici un échantillon non exhaustif.

Les mesures d’urgence


Parmi les revendications prioritaires, le gazole non-routier (GNR). Une avance de trésorerie, avec guichet ouvert depuis le 1er février pour en demander le versement, a d’ores et déjà été acquise. « Au lieu de faire des demandes administratives, nous aurons le décompte de la livraison dans nos entreprises agricoles et/ou viticoles, précise Jérôme Volle avant d’ajouter : tant que le décret n’est pas en application, le remboursement sera fait en avance à hauteur de 50 % ».

Côté viticulture, un fonds d’urgence à hauteur de 80 M€ est créé en 2024 avec des mesures structurelles concernant, notamment, l’arrachage temporaire à hauteur de 150 M€ sur deux ans pour 2024 et 2025. « Nous souhaitons également mettre l’accent sur la recherche, dans la lutte contre les maladies notamment », détaille le vice-président de la FNSEA. L’État compte en outre investir 50 M€ supplémentaires sur l’agriculture biologique. À surveiller, puisque la définition des critères est en cours.

Autre priorité, trois mesures de rehaussement de seuils d’exonérations ont d’ores et déjà été arrêtées lorsqu’il y a transmission pour une installation. En outre, le budget de l’Accompagnement pour l’installation et la transmission en agriculture (Aita) passe de 13 à 20 M€ dans le cadre du futur guichet France service agriculture. Mais il faut aller plus loin avec l’engagement de mener un travail approfondi sur la transmission et créer de nouveaux outils.

La question des "conflits" de voisinage est un véritable enjeu pour la viticulture mais aussi pour la filière élevage. Un projet de loi devrait être adopté définitivement, avec le soutien du gouvernement et d’autres partis politiques. Cette proposition transpartisane sur les troubles anormaux de voisinage dispose d’un amendement qui vise à protéger l’évolution de l’activité agricole dans des conditions normales.

Phytosanitaires et environnement

Parmi les objectifs du mouvement agricole on trouve l’inscription du principe ʺPas d’interdiction sans solutionʺ dans la loi. Christian Bajard, président de la FDSEA 71, insiste, bien sûr « il faut continuer à faire des efforts en matière d’environnement, c’est évident. Mais c’est la recherche qui nous permettra de trouver des solutions. Vouloir changer les choses trop rapidement met les gens en difficulté. On voit aujourd’hui une administration prête à la discussion au niveau départementale sur ces questions, ce qui est encourageant. Encore faut-il aboutir à des résultats concrets dans les mois qui viennent. Certaines administrations pensent nous avoir à l’usure, d’où l’intérêt de maintenir la pression ». Grâce à la mobilisation, le plan Ecophyto a été mis à l’arrêt pour rediscuter des indicateurs (Nodu actuellement), des zonages et des mesures de simplification, par exemple sur le registre numérique. Autre victoire, la suppression de la possibilité de délation dans phytosignal et la suppression du conseil stratégique, dans sa forme actuelle, ainsi que l’engagement de travailler à un conseil réformé, simple et sans surcharge administrative. Les agriculteurs ont également obtenu le principe d’un réalignement du calendrier de l’Anses et de l’Efsa sur l’autorisation des produits phytosanitaires. Sachant que l’Anses devra intégrer les dernières connaissances scientifiques et techniques dans les conditions d’utilisation des produits.

ÉGAlim

Comment faire appliquer les règles de la loi ? La réponse de la FNSEA est claire : plus de contrôles et de sanctions. Le syndicat majoritaire demande un doublement des contrôles d’application d’ÉGAlim, avec 150 contrôleurs supplémentaires déployés sur le tout le territoire pour vérifier, entre autres obligations, les indications d’origine, sachant que l’année dernière il n’y a eu que quatre cas de sanctions enregistrés pour non-respect d’ÉGAlim et plusieurs centaines de contrats conclus contrôlés, y compris pour des Marques de distributeurs (MDD). Des régions viticoles en crise en France ont demandé la fin de la dérogation viticole.

Les contrôles sont insuffisants pour le monde agricole qui constate des manquements quasi quotidiennement. Des sanctions qui doivent être renforcées et représenter 2 % du CA pour non-respect de la loi et 10 % en cas de tromperie sur l’origine. Enfin il devient urgent de respecter les exigences législatives en matière d’achat de produits durables et de qualité par la Restauration hors foyer (RHF) dans le cadre d’Égalité. Une adresse e-mail, dédiée aux signalements des pratiques abusives a d’ailleurs été créée : signalement-egalim-amont@dgccrf.finances.gouv.fr.

Au-delà du respect des règles existantes, là aussi le syndicat agricole veut aller plus loin avec le lancement d’une mission parlementaire sur l’évaluation et l’évolution d’ÉGAlim, pour examiner notamment l’encadrement des centrales d’achat européennes mais aussi interdire à un industriel de négocier avec la GMS avant d’avoir négocié avec les agriculteurs. Il est également nécessaire d’intégrer des références aux indicateurs des interprofessions et des instituts techniques. Un rapport sur ces évolutions est attendu pour le printemps 2024.

Pour une meilleure efficacité, il faut porter une extension de la loi ÉGAlim au niveau européen mais aussi organiser un réseau intégré de contrôle et de répression contre les fraudes en modifiant la directive actuelle sur concurrence déloyale. À cette quête de changement sur le fond s’ajoute un changement sur la forme avec la promotion du ʺmanger françaisʺ, en portant au niveau européen la généralisation de l’étiquetage de l’origine des produits agricoles et des produits transformés en poussant à la révision du règlement concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (INCO).

Simplification

Toujours au niveau européen, un chantier va être lancé sur une simplification des démarches administratives au niveau européen. En attendant ce chantier, il est essentiel d’harmoniser les seuils d’évaluation environnementale avec les seuils européens, y compris pour les sous-produits. Mais il ne s’agit pas uniquement d’harmoniser, il faut également réduire les délais de recours contre les projets agricoles avec, par exemple, un délai de droit commun de deux mois demandés par le monde agricole pour former un recours contre les Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et la nomenclature IOTA (concernant les installations, ouvrages, travaux et activités ayant une incidence sur l’eau et les milieux aquatiques), contre quatre mois aujourd’hui. Autre réduction de délais essentielle, celui des contentieux concernant des projets relatifs à la gestion de l’eau et aux bâtiments d’élevage, en supprimant purement et simplement un niveau de juridiction réglementaire. S’ajoute à cela la ʺprésomption d’urgenceʺ qui permet de réduire les délais à dix mois, hors recours en cassation au niveau législatif. Il est également urgent de simplifier les normes sur les bâtiments agricoles avec une mesure de dérogation aux obligations de mise aux normes d’accessibilité pour tous les bâtiments agricoles. Enfin, au niveau départemental, des groupes de travail s’attellent à la simplification du plan de contrôle annuel avec le préfet, hors contrôle judiciaire, sachant que le mois de février a été le "mois de la simplification en département" avec une première avancée, la simplification du curage pour les cours d’eau. Le décret a été publié au JO le 1er février 2024.

Europe et international

La France doit défendre une véritable réciprocité des normes et exiger des clauses miroirs effectives dans le cadre du commerce international. Paris doit, de surcroît, s’opposer au Mercosur et prévoir une clause de sauvegarde sur les produits agricoles contentant des résidus de thiaclopride. Les syndicats demandent la création d’une force de contrôle sur la concurrence déloyale en agriculture aux frontières de l’Union européenne. Toujours au sein de l’UE, la France s’engage à porter une évolution de la réglementation sur la conditionnalité relative aux prairies permanentes en faisant évoluer le ratio des prairies (BCAE1) et les prairies sensibles (BCAE 9). Notre pays doit oeuvrer pour l’adoption rapide du règlement sur les nouvelles techniques génomiques (NGT), concourant à la transition écologique. Le texte a été adopté en première lecture au Parlement européen, le 7 février dernier. Le règlement relatif aux NGT doit à présent être examiné au Conseil européen pour une adoption définitive.

Dans le cas de l’Ukraine il faut, là encore, mettre en place des clauses de sauvegarde dans le cadre commercial adopté en soutien à ce pays en guerre. Ces clauses concernent la volaille, les œufs et le sucre. Dans les négociations en cours, la France défend une évolution de l’année de référence et l’inclusion pleine et entière des céréales dans la clause de sauvegarde.

Conclusion


Pour conclure, le nombre de dossiers actuellement négociés est impressionnant, à la hauteur des besoins que le monde agricole réclame à cor et à cri depuis longtemps, trop longtemps peut-être. D’où ce besoin de maintenir la pression qui fait l’unanimité, même si les idées divergent sur la méthode. « D’ici trois semaines (fin mars), et avant ma rencontre avec le Premier ministre Gabriel Attal, la FNSEA mettra en place une nouvelle stratégie de mobilisation sur le revenu et sur la simplification », rappelle Jérôme Volle. Pas question, pour l’heure, de "monter à Bruxelles avec nos tracteurs". Rien de précis n’est acté, mais tout n'est pas exclu pour autant. D’autant plus que « la population est derrière nous, insiste Christian Bajard. Nous sommes à plus de 80 % de soutien de la population ». Le président de la FDSEA 71 en profite pour apporter quelques précisions sur le mouvement en Saône-et-Loire. « Certains nous demandent pourquoi nous avons quitté les autoroutes. Il y a deux raisons : d’abord nous n’allions pas tarder à recevoir la facture des autoroutes (Vinci), que nous ne pouvons pas et ne voulons pas payer. Enfin, au bout d’une semaine, la situation devient compliquée pour les exploitations qui, elles, ne s’arrêtent pas de tourner pour autant. J’étais pour ma part en plein vêlage au fort de la mobilisation. Bien sûr nous maintenons la pression ». Patrice Fortune, lui, s’agace de ceux qui, après avoir critiqué, cherchent à tirer profit du mouvement. « Si aujourd’hui, comme certains l’ont déjà fait dans le passé, alors qu’ils ne nous appelaient pas à manifester il y a deux mois, cherchent déjà à s’attribuer les bénéfices et les acquis. Cet égocentrisme m’agace. Je pense que je ne suis pas le seul. "C’est uniquement la puissance du collectif qui fait avancer les choses. La réussite appartient à tout le monde, c’est au travail d’équipe qu’en revient le mérite", c’est une citation de Charles Picard et mon seul mérite est de l’avoir cherché », ironise-t-il.

Eau

·       Planifier les investissements hydrauliques et les financements nécessaires dans chaque bassin pour adapter l’agriculture au changement climatique, et en particulier les retenues avec une révision de l’arrêté de 2021.

·       Faire en sorte que les collectivités départementales puissent participer au financement des dispositifs de sécurisation hydraulique.

Chantiers à lancer

·       Ouverture d’un chantier sur les zones humides (BCAE 2).

·       Lancer un chantier sur la clarification de l’articulation des différents zonages environnementaux.

·       Unifier le régime applicable aux haies en passant de plusieurs corpus règlementaires à une réglementation unique.

·       Lancer un chantier sur les dégâts de gibier et les Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD).

·       Lancer un chantier sur la meilleure protection du foncier agricole dans la politique de l’urbanisme, incluant la question des compensations.