La crise du Covid-19 a accentué la prépondérance du haché sur le marché de la viande bovine, tirant les prix vers le bas. Le point, alors que l’interprofession doit bientôt publier ses chiffres sur le coût de production du steak haché.

Plébiscité, mais mal valorisé
Le paradoxe du steak haché : être à la fois plébiscité et mal valorisé.

L’interprofession bétail et viandes Interbev devrait bientôt communiquer ses résultats sur le coût de production du steak haché, a-t-elle annoncé. L’aboutissement d’un long travail de transparence lancé avant les États généraux de l’alimentation et rendu urgent par la crise sanitaire du Covid-19. La consommation de steak haché a explosé depuis le début du confinement , au point d’accaparer des pièces de viande " nobles " ou mixtes, normalement vendues en piécé. Ce phénomène a aggravé le déséquilibre de valorisation des carcasses, la viande pour haché étant payée moins cher. Faire la lumière sur la construction du prix de la viande hachée « devient donc un enjeu majeur », a martelé le ministère de l’Agriculture le 4 mai.

Le ministère de la rue de Varenne indique que la « part du steak haché dans la valorisation d’une carcasse » atteint 70 %. « La réalité est très disparate selon les types d’animaux », nuance Philippe Chotteau, chef du service économie de l’Idele (Institut de l’élevage). Selon l’étude "Où va le bœuf" (qui porte sur l’année 2017), 72 % de la viande issue des femelles laitières est effectivement transformée, essentiellement en steak haché. Mais cette part est réduite à 36 % pour les femelles de races à viande, et même 24 % pour les jeunes bovins allaitants, avant tout destinés à l’export.

La transformation s’impose

Toutefois, quel que soit le type de bovin, la transformation s’impose de plus en plus : « en 2019, on doit être autour de 85 % pour une femelle laitière et 40 ou 45 % pour une femelle allaitante », estime Philippe Chotteau. Cette tendance lourde, qui avait commencé bien avant le Covid-19, s’explique notamment par la progression de la restauration et par l’explosion des ventes de burgers. En temps de confinement, cette prépondérance du haché s’est encore accrue, et ce paradoxalement à cause de la fermeture des restaurants et du confinement des enfants et parents.

Alors que la consommation s’est massivement reportée vers les grandes surfaces, celles-ci ont eu « tendance à simplifier leur gamme à outrance, notamment par manque de main-d’œuvre », constate l’économiste de l’Idele. Or, le plan de filière viande bovine visait une montée en gamme ambitieuse, avec un objectif de 40 % en Label rouge. « Cette stratégie a été complètement percutée par la crise sanitaire du Covid-19 », affirme M. Chotteau.

Effet domino européen

La fermeture de la restauration a aussi provoqué un deuxième effet dévastateur. « Environ 85 % de la viande bovine importée par la France provient de vaches laitières de réforme de nos voisins européens », rappelle Philippe Chotteau. Des volumes qui fournissent notamment les restaurants, en piécé comme en haché. Avec la fermeture généralisée des restaurants en Europe, « ce marché s’est complètement arrêté et le prix de ces vaches s’est effondré, analyse Philippe Chotteau. On importe beaucoup moins de volumes, mais le prix des femelles laitières chute aussi en France et, par capillarité, celui des femelles allaitantes ».

Cruel paradoxe du steak haché, plébiscité par les consommateurs mais accusé de tirer à la baisse les prix payés aux éleveurs. À quelle hauteur ce produit pèse-t-il dans la baisse des prix à la production ? Une étude de l’AHDB (organisme de développement britannique) fournit quelques pistes. Au Royaume-Uni, la viande hachée représente 43 % du volume d’une carcasse, mais seulement 39 % de sa valeur. Si cette part de haché passait à 63 %, la valeur de la carcasse fondrait de 8 à 9 %. « En hachant la totalité de la viande nette commercialisable, la perte de valorisation atteint près d’un tiers (-31 %) », prévient l’Idele, qui a partagé cette étude. En France, l’impact serait encore plus important, car, d’après Philippe Chotteau, « il y a plus d’écart de prix entre le haché et le piécé qu’au Royaume-Uni ».

Revaloriser le steak haché

« Le drame, c’est que l’on n’arrive plus à segmenter suffisamment et donner de la valeur à la viande hachée, résume l’économiste. Aujourd’hui, une hausse – raisonnable – du prix est incontournable », estime-t-il, à condition de « s’assurer qu’il y ait une répercussion aux éleveurs ». Selon lui, « actuellement, très clairement, les GMS sont gagnantes ». Des producteurs aux industriels, la nécessité de revalorisation semble faire consensus dans la filière. De son côté, la FNB (éleveurs de bovins viande, FNSEA), demande – comme avant la crise du Covid-19 – une revalorisation de 1 €/kg au producteur, soit « une hausse théorique du prix consommateur de 15 centimes par steak ».

« Nous avons besoin de revaloriser la viande hachée », reconnaît Guy Hermouet, le président de la section bovine d’Interbev. « Mais ça ne veut pas forcément dire que le prix au consommateur va augmenter », prévient-il, plaidant pour une « répartition équitable de la valeur ». Les résultats d’Interbev sont donc attendus, à la fois pour savoir à quel stade de la filière et de combien il sera possible de revaloriser le steak haché. « Nous voulons faire approuver ce travail par toutes les familles d’Interbev », indique M. Hermouet, « et nous comptons si besoin sur le ministre pour jouer le rôle d’arbitre ».

Surgelé ou frais, quelles différences ?

Pour Philippe Chotteau, chef du service Économie de l’Idele (Institut de l’élevage), « le steak haché n’est pas une commodité ». Autrement dit, il faut bien distinguer les marchés du frais et ceux du surgelé. D’après le panel Kantar, le prix moyen d’achat du steak haché frais par les consommateurs était de 11,44 € en mars-avril 2019. Un chiffre qui englobe les différents segments de qualité (5, 10, 15 ou 20 % de matière grasse) et ne concerne que les achats des ménages (hors restauration). Le surgelé est bien en dessous, avec un prix moyen de 6,98 €. Mais surtout, qu’elle soit surgelée ou fraîche, la consommation de viande hachée ne répond pas de la même façon aux variations de prix. De manière contre-intuitive, « le prix du haché frais peut augmenter sans faire baisser la consommation », affirme l’Idele, en se basant sur les chiffres de Kantar sur la période 2008-2018. À l’inverse, le surgelé est plus sujet à « l’élasticité prix » : sur la même période, la consommation faiblit alors que le prix augmente.

Filière bovine en porte-à-faux

En France, « la croissance des ventes de viande de boeuf hachée en grande surface continue semaine après semaine à impacter le marché. Alors que la question de la valorisation de la carcasse reste posée ». L’évolution récente des cours traduit ces deux tendances. Portée par la consommation de viande hachée, la vache O est mieux valorisée. Les carcasses issues du troupeau allaitant le sont moins. Les cours des animaux dépendent aussi du niveau de l’offre. Ainsi les cours des gros bovins maigres ont été reconduits. Par exemple, le prix du Charolais U de 450 kg s’était établi à 2,52 €/kg vif, selon l’Idele. À l’étranger aussi, les changements des habitudes alimentaires impactent la filière bovine. « En Irlande, l’abattage des vaches de réforme s’est contracté de -27 % consécutivement à la fermeture des McDonald dans toute l’Europe, souligne l’Idele. Or, le groupe originaire des États-Unis est l’un des plus gros acheteurs de viande bovine irlandaise avec 40.000 tonnes achetées en 2019. Un hamburger sur cinq vendu à travers l’Europe est d’origine irlandaise ! ». En Italie, le confinement avait boosté à la fin du mois de mars, la consommation de viande bovine à domicile, d’origine française notamment. Mais la baisse des revenus des ménages, consécutive à l’arrêt de l’activité économique en Italie, réduit l’appétit des Italiens. Par ailleurs, les importations de viande polonaise très bon marché (85 % de la production nationale est exportée) pèsent sur l’ensemble des cours. Avant la crise, elles étaient destinées à la restauration hors domicile aujourd’hui fermée.

Didier Guillaume monte au créneau

« Je réunirai dans les jours qui viennent l’ensemble des acteurs de la filière », a annoncé le 4 mai, le ministre de l’Agriculture. Malgré le dynamisme de la demande, les prix à la production ne suivent pas. La rémunération des éleveurs continue de se dégrader et les cotations entrée abattoir des carcasses bovines baissent encore. « Cette évolution nous impose de nous questionner sur la construction de ce prix, qui doit impérativement parvenir à couvrir le coût de production de l’éleveur », plaide Didier Guillaume. D’où l’initiative du ministre pour « voir comment la transparence et les efforts faits par chacun des maillons de la chaîne auront comme conséquence une meilleure répartition de la valeur, en permettant aux éleveurs de vivre décemment de leur travail », en lien avec Interbev bovin. « Cette mécanique perdante n’est ni admissible, ni soutenable pour les éleveurs, comme pour toute la viande bovine française à très court terme ». Et « mieux évaluer la part du prix payé par le consommateur sur le steak haché qui revient à l’éleveur devient un enjeu majeur », estime-t-il.

Très forte hausse de la demande en œufs

Très forte hausse de la demande en œufs

Les achats d’œufs ont très fortement progressé dans le commerce de détail pendant le premier mois de confinement des Français, indique l’interprofession du secteur (CNPO). La hausse a atteint +44 % du 16 mars au 12 avril derniers, par rapport à la même période de 2019, avec un pic de +72 % dans les circuits dits « de proximité ». Les ménages, considérant les œufs comme des produits de première nécessité, en ont acheté 611 millions en un mois. Pour répondre à la demande, « les centres d’emballage tournent à plein régime, avec un renforcement des équipes et des horaires élargis en 2x8, voire même en 3x8 dans certains cas », indique le CNPO. Les centres se sont également réorganisés pour réorienter vers les magasins les œufs à coquille brune mais également à coquille blanche habituellement destinés à la restauration.

Le paradoxe de la farine

Le paradoxe de la farine

Le confinement des Français depuis près de deux mois a mis en évidence une situation paradoxale en matière d’approvisionnement en farine. Plus de repas pris à domicile et d'achats de précaution ont vidé les rayons de la grande distribution pour la farine conditionnée en paquet de 1kg. Pourtant « évoquer une pénurie en France, deuxième pays européen en production de farine, relève de la pure fiction », assure Jean-François Loiseau, président de l’Association nationale de la meunerie française. La France a produit 4 millions de tonnes dont 190.000 tonnes destinées à alimenter le marché des paquets de 1kg commercialisés en GMS. Mais ce volume est insuffisant aujourd’hui pour faire face à l’emballement de cette demande. En fait, c’est beaucoup de farine allemande qu’on trouve dans les rayons des grandes surfaces. Pendant longtemps, la grande distribution française a préféré s’approvisionner outre-Rhin où les prix étaient plus compétitifs au détriment des opérateurs français qui ont été chassés des rayons. Les difficultés logistiques (transport, conditions de travail…) ajoutées à la priorité donnée au marché intérieur en Allemagne, impactent les approvisionnements et peuvent donner l’impression d’un sentiment de pénurie. Alors que dans le même temps, la demande en farine de la part de la boulangerie artisanale et des industries agroalimentaires s’est écroulée dans le sillage de l’activité économique actuelle et représente 90 % de la farine vendue.