Cessions d’exploitations bovines en Brionnais
Des cédants qui anticipent pour mieux transmettre

Cédric MICHELIN
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Le 3 mai à Saint-Christophe-en-Brionnais, une cinquantaine de chefs d’exploitation avaient répondu présents pour une réunion de présentation sur la façon de bien céder son entreprise. La MSA Bourgogne et la chambre d’agriculture n’ont qu’un conseil à donner : il faut s’y prendre tôt. Car les exploitants, avec ou sans repreneur déjà repéré, ont beaucoup d’étapes à franchir.

Des cédants qui anticipent pour mieux transmettre

Le Comité d’orientation transmission installation qui compile les informations sur le renouvellement des générations est formel : il faudra au minimum 1.500 repreneurs pour simplement combler les départs des plus de 56 ans qui vont bientôt faire valoir leurs droits à une retraite amplement méritée. Le service à la chambre d’agriculture avait invité les agriculteurs et agricultrices de plus de 57 ans des communes proches de Saint-Christophe-en-Brionnais à une réunion sur les étapes à suivre pour bien céder son exploitation. Avec la MSA Bourgogne, le message était clair : il faut du temps pour bien transmettre, et pour soi (lire encadré) et pour le repreneur. Dans ce secteur du Brionnais où l’élevage bovins allaitants domine, plus de temps à perdre donc.
La première chose à faire est assez simple : « savoir à quel âge vous pouvez partir en retraite » et à quel âge, vous en avez envie ou la possibilité, suggérait, tout au long de son intervention, Éric Gaillard. Ce conseiller de la MSA Bourgogne est le spécialiste des retraites agricoles. Un temps certain est à prendre pour rassembler les éléments et « pour signaler les manques ou corrections » à apporter à son dossier. « Nous gérons en priorité ceux qui partent actuellement à la retraite, donc le mieux est de prendre tôt un rendez-vous », invite-t-il. Il est ensuite possible d’avoir accès à son dossier sur le site web de la MSA (bourgogne.msa.fr). Mais, au vu des questions de la salle, les nombreuses « subtilités administratives » ne sont pas du goût des chefs d’exploitation. Parcelles de subsistance, cumul emploi-retraite, retraite anticipée, retraite progressive, assurance accident, pension de réversion… le numéro de téléphone (09.69.36.20.50) risque de sonner longtemps. « Nous répondons obligatoirement à tous les messages mails, écrits », préférait orienter Éric Gaillard. Il est possible de prendre rendez-vous avec les conseillers spécialisés dans les antennes MSA aussi ou dans les maisons France Services.

Suivre les étapes

Au fond de la salle des fêtes, la question posée résonnait comme une crainte collective : « qu’est-ce qu’on fait si on n’a pas de repreneur ? » Beaucoup d’éleveurs allaitants rappelaient les crises, difficultés économiques et aléas climatiques (sécheresses) qui sont venus saper la rentabilité et l’attractivité de leur métier.
N’ayant pas LA réponse, Manon Jasserand les invitait à bien préparer leur projet pour mettre toutes les chances de leurs côtés. « Fixez-vous déjà une date de retraite. Votre repreneur en aura aussi besoin », insistait la conseillère. Mais c’est avec son comptable ou conseiller de gestion qu’il faut déterminer la date la plus « opportune », en fonction de ses objectifs, de ses emprunts, de la fiscalité… Voir son notaire également pour le volet patrimonial (maison d’habitation…) s’il y a des donations. « Pour ceux en société, il faut parfois le faire dix ans avant pour les comptes courants entre associés ; recréer une société… », rajoutait sa collègue juriste, Céline Le Liard. EARL, Gaec, SCEA, mais aussi la gestion immobilière des GFA, SCI ont chacun leurs avantages et inconvénients au moment de la transmission. Mais les choix peuvent avoir des conséquences financières importantes notamment en vue « d’optimiser les abattements fiscaux ». Usufruit, Pacte Dutreil, parts sociales… « parlez-en avec votre comptable ».

Apprendre à bien transmettre

La deuxième grande étape est aussi facile, puisqu’en réalité, il s’agit de démarches « non obligatoires », celles de prendre des informations régulièrement auprès du Point accueil transmission, lors de réunions collectives comme ce jour, ou lors de formations sur la transmission. Car oui, transmettre peut s’apprendre. « Ce n’est pas évident. Il faut clarifier votre projet, savoir en parler positivement, savoir faire venir des repreneurs potentiels, lever les problèmes… », expliquait Manon Jasserand.
Pure formalité sans conséquence, deux-trois ans avant l’âge de retraite, un courrier (Cerfa) est envoyé, la Déclaration d’intention de cessation d’activité (DICA) a des fins statistiques sur les intentions de cessation d’activité. « Cela n’engage en rien si vous déclarez vouloir cesser en 2024 et que finalement, vous ne pouvez pas », dédramatisait Éric Gaillard.

Déterminer la juste valeur

Beaucoup plus important, l’étape consistant à « déterminer la juste valeur de son exploitation ». Comme tout marché, l’offre et la demande jouent, les références passées voisines… « mais il n’y a pas qu’une seule méthode : valeur, rentabilité, EBE des cinq dernières années, valeurs économiques pour un investisseur, valeur sentimentale pour vous… À vous de trancher ». La chambre d’agriculture propose des diagnostics transmission, pour vérifier la transmissibilité de l’exploitation. Et pas question de rajouter des éléments au dernier moment. Car, il y a aussi la réalité financière du repreneur potentiel en face.
Pour Céline Le Liard, il est impératif aussi de « mettre dans la boucle vos propriétaires pour s’assurer de la maîtrise foncière si l’outil est transmis dans sa globalité ». Compter ici 12 mois à l’avance pour les locations.

La recherche du candidat

Enfin, il y a l’étape la plus incertaine, car vous ne la maîtrisez pas vraiment, celle de la recherche de candidats. Tous les moyens sont bons ici, à commencer par le bouche-à-oreille et son entourage à qui il faut en parler largement. Sans certitude toutefois… « D’où la nécessité de s’y prendre tôt surtout en cas de recherche d’associé(s) ». La conseillère se chargera de rédiger avec vous l’annonce « de la façon la plus attractive possible ».
Manon Jasserand attirait là l’attention sur un point particulier : « Déterminez bien le profil du candidat que vous recherchez, si vous êtes prêts à d’autres productions, des productions atypiques… et si vos propriétaires le sont aussi ! ». Manon Jasserand a malheureusement déjà vu des projets ainsi refusés alors qu’ils étaient bien avancés.
Dernière phase, « créer un lien de confiance » avec le repreneur. Il existe plusieurs possibilités (salariat, stage de parrainage Start Agri…) ou de façon informelle, sorte de « tuilage » pour « bien transmettre vos compétences, pour l’insérer auprès de vos partenaires, prestataires, propriétaires et pour bien transmettre vos connaissances sur la ferme : animaux, électricité, investissements à faire… ». De quoi partir ensuite en retraite l’esprit libre, tranquille, avec le sentiment du devoir accompli.

 

Mises en garde extra-professionnelles

La cessation de son exploitation ne revêt pas que des côtés professionnels, juridiques, économiques… cela englobe une vie, une passion, une famille… Bref, plein d’histoires qu’il s’agit de bien solder. La première est ancrée au plus profond de vous : êtes-vous prêt mentalement à la retraite ? « Certains se projettent très bien après une vie bien remplie, ils savent ce qu’ils vont faire à la retraite. D’autres ont plus de mal. Chaque année, j’ai des chefs d’exploitations qui refusent des candidats, car ils ne sont finalement pas prêts », témoigne Manon Jasserand. Idem, la notion de « coup de main » autorisé sur l’exploitation est réglementée, expliquait la MSA, qui met en garde qu’en cas d’accident, « vous n’avez alors plus d’assurance accident » au travail, pouvant compromettre et votre retraite et l’exploitation du repreneur… Il ne faut donc pas en abuser.
Important également de bien évaluer vos ressources et besoins futurs, en faisant un prévisionnel de vos dépenses courantes… « à faire finement, car certaines charges qui étaient prises dans l’exploitation vont revenir alors dans les charges du ménage ».
Mais la toute première chose à faire, ou à refaire, est d’en parler avec sa famille. « Il y a comme un droit de regard, ou tout du moins un droit d’en discuter, dans les fermes familiales. Pour les enfants aussi, cela peut ne pas être évident que ce soit un tiers extérieur qui la reprenne ». D’ailleurs, parfois, à ce moment-là, des vocations refoulées ou enfouies peuvent remonter à la surface…

Se former pour bien partir en retraite

Pour les cédants, le Point accueil transmission est le passage obligé pour obtenir de précieux conseils à l’heure de « solder » une carrière. « Compter deux à quatre heures la première fois et il faut souvent un second rendez-vous », explique Manon Jasserand. En 2021, le pôle Transmission de la chambre d’agriculture a fait 70 premiers accueils. Étonnamment, chacun peut constater que « parler de sa ferme » ou « préparer sa retraite » ne va pas toujours de soi et là encore, un accompagnement collectif est possible (Formation "Parler de ma ferme pour la transmettre ou m’associer" le 17 juin prochain à Charolles).