EXCLU WEB / Négociations commerciales : le ton monte d’un cran

Un mois après la signature de la charte d’engagement à rouvrir les négociations commerciales, les industriels accusent les distributeurs de jouer la montre ou d’ignorer tout simplement leurs demandes. De son côté, la FNSEA signale des premières hausses de tarifs en viandes.

EXCLU WEB / Négociations commerciales : le ton monte d’un cran

Au fil des semaines, les échanges ne cessent de se tendre entre industriels et distributeurs. Alors que les premiers ne cessent de marteler qu’il y a urgence à faire passer des hausses de tarifs dans le cadre de la réouverture des négociations commerciales, ils accusent les seconds de freiner des quatre fers. « Les renégociations [commerciales] doivent aboutir rapidement », ont une nouvelle fois appelé les industriels de l’agroalimentaire de l’Ania (privés) et de la Coopération agricole (LCA) dans un communiqué commun du 28 avril, à l’issue de la réunion hebdomadaire de suivi du même jour. « Il y a urgence à se ressaisir, au risque de voir demain, certaines de nos entreprises faire faillite », alertent les présidents des deux organisations, Jean-Philippe André (Ania) et Dominique Chargé (LCA). Et les deux organisations de pointer le « comportement des distributeurs qui jouent la montre ou qui ignorent les demandes de renégociations des industriels ». D’après les industriels, « neuf entreprises sur dix font remonter [des] difficultés » d’approvisionnement, sur fond de « désorganisation logistique mondiale, accentuée par la guerre en Ukraine ou par la récente paralysie du port de Shanghai ».

« Logique de marché noir »

Dans ce contexte, les passes d’armes se succèdent. Invité sur BFMTV le 27 avril, Michel-Edouard Leclerc a suscité la polémique en reprochant à « des coopératives » de spéculer sur le marché du blé et de profiter de la situation créée par la guerre en Ukraine. Plus précisément, le patron des magasins Leclerc a accusé « des boîtes » de faire « des enchères à l’envers » en promettant aux distributeurs des stocks en échange d’importantes hausses de tarifs. « C’est une logique de marché noir », a-t-il acquiescé, reprenant les mots employés par la journaliste Apolline de Malherbe. Des propos jugés « peu responsables » par le représentant des coopératives Dominique Chargé. « M. Leclerc a toujours besoin d’un bouc émissaire pour expliquer au consommateur que ce n’est pas lui, ce sont les autres, déplore le président de LCA, interrogé par Agra Presse. Il serait le grand défenseur du pouvoir d’achat et les autres des tricheurs. » Celui qui est aussi administrateur de Terrena explique que la rareté du blé est créée par le blocage des ports en mer Noire, qui fait « mécaniquement » flamber les prix. « Oui, nous avons du blé dans nos silos, mais tout est déjà vendu », clarifie-t-il.

Le patron des magasins Leclerc a donc une nouvelle fois exprimé sa défiance envers les industriels, plaidant pour la mise en place d’une « commission d’investigation » d’initiative gouvernementale afin d’objectiver les hausses demandées par ses fournisseurs. Ce qui n’a pas manqué de faire réagir Dominique Chargé : « Pour investiguer quoi ? Que le pétrole et le blé coûtent plus cher ? Il y a les cotations des organismes indépendants pour ça ! » Un mois après la signature d’une charte d’engagement pour la réouverture des négociations commerciales, sous l’égide du gouvernement, « la position et les discours de certains distributeurs sont inacceptables », insistent l’Ania et LCA, dans leur communiqué, paru au lendemain de l’interview de M.Leclerc. « Il n’y a pas d’effets d’aubaine de la part des industriels. »

Loin d’un discours d’apaisement, le patron de Leclerc a assuré, au micro de France Info le 3 mai, que les distributeurs avaient « accepté des hausses trop facilement » dans le cadre des négociations commerciales. Il était invité pour annoncer la mise en place un « bouclier anti-inflation » à partir du 4 mai et jusqu’au 31 juillet sur 120 produits de consommation courante dans les magasins Leclerc (épicerie, produits frais et primeurs, boissons, détergents et produits d’hygiène). Les hausses éventuelles sur ce panier de produits seront compensées par le distributeur sous forme de bons d’achat. Michel-Édouard Leclerc a indiqué, sur l’antenne de la radio publique, exclure de cette liste « tout ce qui est spéculatif » dont l’huile de tournesol.

Premières hausses en viandes

Au-delà des positions publiques, les industriels ont fait passer des premières hausses en viandes, d’après Christiane Lambert. En réunion hebdomadaire de suivi des renégociations commerciales, « certains industriels annoncent qu’ils ont réussi à passer des hausses », notamment sur les viandes, a-t-elle indiqué, le 26 avril. Lors d’un échange avec la presse, la présidente de la FNSEA a cité les volailles, pour lesquelles des hausses de tarifs de 16 % auraient été actées, alors qu’« il faudrait 25 % pour certaines espèces ». En steak haché, produit phare du rayon viandes rouges, des hausses « sont en train de passer ». La responsable syndicale décrit une « foire d’empoigne épouvantable » entre industrie et grande distribution, notamment avec la poursuite de l’application des pénalités logistiques par certaines enseignes, malgré leur interdiction. Des pénalités qui ont représenté 250 M€ en 2021, d’après un récent rapport du Sénat.

« Certains distributeurs osent parler de réversibilité des hausses », s’offusque-t-elle, tandis que « Michel-Édouard Leclerc conteste la flambée des coûts due à la guerre en Ukraine. » « Cela fait des mois qu’on me dit que le plus mauvais distributeur en termes d’achat, c’est Carrefour », tacle encore Christiane Lambert, notant que l’enseigne n’a « pas changé de logiciel ». Et la présidente de la FNSEA de donner l’exemple des producteurs de carottes de la Manche, contraints d’investir dans du stockage à la suite de l’interdiction du dichloropropène (un nématicide). « Carrefour a d’abord promis qu’il leur resterait fidèle, avant de menacer de se fournir en Italie pour 2 ct€/kg de moins ! » Plus largement, la présidente de la FNSEA estime toutefois que les lois Egalim 1 et 2 ont « produit des effets », tout en soulignant le « courage » du gouvernement dans son arbitrage des négociations commerciales.