Fédération des caves coopératives Bourgogne Jura
Porter du foncier pour installer

Cédric MICHELIN
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Le 24 mars dernier à Buxy, l’assemblée générale de la Fédération des caves coopératives Bourgogne Jura (FCCBJ) avait invité ses homologues du Vaucluse, la Safer Bourgogne Franche-Comté, la cave du Beaujolais, Agamy et le président du conseil coopératif Ardèche Vignobles, à venir expliquer et témoigner de leurs travaux et pratiques autour du foncier, pour notamment faciliter l’installation de futurs vignerons coopérateurs.

Porter du foncier pour installer
Le 24 mars à la Maison Millebuis à Buxy, les caves de Bourgogne Jura réfléchissaient ensemble pour mieux porter le foncier afin d'installer de jeunes vignerons coopérateurs.

Vu de l’extérieur, la filière viticole bourguignonne semble en grande forme. Ses vins renommés et ses ventes sont dynamiques. Pourtant, l’envers du décor n’est pas tout rose, loin de là. Les prix du foncier sont en hausse, les aléas climatiques se multiplient et la pyramide des âges sont quelques-uns des sujets qui posent questions lorsqu’il s’agit d’anticiper le renouvellement des générations. Face à cet enjeu majeur, les caves coopératives peuvent compter sur « la force du collectif pour trouver des solutions » afin de « sécuriser la cave et les vignerons adhérents », motivait François Legros. Afin aussi de « maintenir le potentiel de production et les volumes qui diluent les charges fixes », expliquait le président de la FCCBJ.
Ce qui amène très vite à la nécessité de réfléchir « à des outils et des solutions pour porter le foncier », notamment par la cave coopérative.

Portage du « candidat idéal »

À la Fédération des caves du Vaucluse, Cécile Jobard est une juriste spécialement dédiée à ces questions foncières pour les 30 caves adhérentes (23.000 ha, 1,25 million d’hl). Un travail qui commence en réalité par « lutter contre l’urbanisation et l’artificialisation des terres en sensibilisant les Communautés de communes » notamment et les instances agricoles (CDPenaf, CDOA, Safer). « Avant, au niveau de nos quatorze caves, nous n’étions pas organisées et on se faisait prendre des surfaces », reconnaît André Mercier, président de Vignoble Ardèche. Car encore fallait-il définir le profil « du candidat idéal », selon les critères du comité technique de la Safer (lire encadré) et rajouter ceux des caves coopératives, « un candidat qui respecte son engagement » à la cave. Derrière, pas question de se tromper. « Le marché foncier viticole est tendu et l’accès au financement aussi », rappelait André Mercier, avec un « prix de vente autour de 15.000 €/ha » en vigne IGP, donc « pas le même revenu » qu’en appellations de Bourgogne, relativisait-il.

La cave fait la banque

De longue date, les caves coopératives ont tenté de porter le foncier, via différentes formes juridiques, pour installer ou consolider les exploitations de coopérateurs. Mais ce n’est pas chose aisée et il faut des règles collectives claires. « Le portage est envisagé lorsque le coopérateur n’est pas à même de porter lui-même l’achat du foncier, souvent lorsque la banque ne le suit pas », met toujours en garde au préalable Cécile Jobard. C’est donc la cave qui prend le relais. La coopérative ou la société intermédiaire idoine achète généralement le foncier pour le rétrocéder à terme, « en moyenne une dizaine d’années ». L’exploitant, futur propriétaire, en attendant est « locataire » du terrain le temps du portage, sur la base d’un bail Safer dérogatoire au fermage ou d’un bail rural cessible. Les frais de la cave sont alors couverts par le loyer perçu. Enfin, la cave rétrocède les terres à l’issue du contrat.

Une société communautaire

Après ce rappel des bases, Cécile Jobard présentait surtout un nouvel « outil collectif » né de l’économie sociale et solidaire, qui peut servir à faire du portage foncier : la Société coopérative d’intérêt collectif, Scic. « Une société qui associe des personnes physiques et/ou morales autour d’un projet commun, qui met l’homme au cœur du projet, alliant développement local et utilité sociale », définissait-elle autrement. Juridiquement, il s’agit d’une société – SA, SAS ou SARL – inscrite au registre du commerce et soumise aux impôts commerciaux. Cette société a des règles issues des coopératives comme une personne, une voix en assemblée générale ou encore est « ancrée à un territoire géographique ou communauté professionnelle ». Surtout, une Scic associe « obligatoirement » des salariés ou en leur absence des producteurs (agriculteurs, artisans…), des bénéficiaires (clients, fournisseurs, bénévoles…) et un « troisième type d’associé selon les ambitions de l’entreprise » (associations, entreprises, financeurs…). Ces catégories ou collèges ont ensuite des droits de vote définis dans les statuts.

Faire participer les individus

André Mercier témoignait en prenant l’exemple de la Scic Terres et coop. Cette société anonyme a appelé la souscription de titres en direct auprès « d’investisseurs » pour permettre l’installation de jeunes coopérateurs ou conforter des exploitations existantes. Et ce donc, en levant des fonds issus de particuliers ou d’institutions pour le financement du foncier. « Avec la Safer, nous, les quatorze coops, avons ainsi pu acquérir un domaine de 25 ha d’un seul tenant financé par la Scic pour quatre vraies installations derrière déjà », se réjouissait-il. En deux années d’existence, cette Scic a su convaincre 250 sociétaires « engagés sur cinq ans ». Mais cela représente aussi un « mi-temps » pour les gérer. « Il faut savoir faire vivre la Scic, inviter les sociétaires à devenir des ambassadeurs, leur apprendre à tailler, vendanger… Ils sont fiers et ont l’impression d’être vignerons ». Et en plus, « leur souscription leur ouvre une déduction fiscale de 25 % dessus ».

Agamy Vignobles

Même dynamique du côté de la cave beaujolaise, Agamy. Pour Thomas Marandas, juriste et gestionnaire d’Agamy Vignobles, la Scic « n’est pas qu’un outil foncier, mais bel et bien un projet global pour capter de nouvelles générations de vignerons s’installant en Beaujolais et avec les valeurs de la coopération ». De quoi donner de l’espoir après avoir éprouvé tant de difficultés « à retrouver des repreneurs dans notre vignoble vieillissant en proie à une crise profonde de restructuration ». Agamy avait étudié en 2017 « la possibilité d’exploiter en direct » mais cela créait un « risque d’iniquité entre coopérateurs ». Étudié aussi, un GFV mais le « ticket d’entrée plus important ne s’adressait pas au grand public, mais à des investisseurs ayant une logique de rendement du capital ».
Le choix s’est donc porté sur une Scic, sous forme de SAS, aujourd’hui avec 905.000 € de capital cumulé, « dont seulement 5.000 d’Agamy » et avec 360 souscripteurs. La valeur de la part sociale est à 1.000 €. « Il y a dedans des grands-parents qui achètent dans l’optique de transmettre à leurs petits enfants, sous forme de cadeau de fin d’année ».
Pour l’heure, Agamy Vignobles a acheté 33,51 ha de vignes « cumulées » en AOC beaujolais village – « pour sécuriser le négoce » - et en crus avec trois objectifs : conforter les exploitations existantes, soutenir les projets d’installation – « plus avec des crus » - et exploiter en direct.

La réflexion débute bien en amont et « il faut du temps pour se poser et dire quels types de vignes on recherche ». Sans forcément savoir ce que les candidats voudront et de quoi l’avenir sera fait…

La valeur patrimoniale complique le foncier

La directrice de la Safer de Saône-et-Loire, Valérie Diagne présentait les « outils » de la Safer, notamment pour faire « seul ou en partenariat » du portage foncier, à court, moyen et long termes, comme avec des « apporteurs de capitaux » extérieurs. « Le prix des vignes reste attractif. Certains financeurs sont intéressés par des paiements en bouteilles, ce qui peut être adapté pour un jeune s’installant », rappelait-elle. Elle ne cachait pas que le marché reste néanmoins « très fermé, avec peu de disponibilité de libre en vignes ou terres à vigne, avec parfois vingt candidats ». Les critères d’attribution sont les mêmes pour tous les dossiers : projet viable, seuil de référence, l’âge, la proximité, la labellisation bio en cas de parcelles engagées en AB. Sur 22.400 informations de cessions en 2020 en Bourgogne Franche-Comté, seules 36 préemptions ont été « utilisées avec parcimonie car forcément douloureux » pour tous, soit à peine 2 % des surfaces acquises sur les 50.000 ha traités en moyenne par an.
Le président de la Safer BFC, Jean-Luc Desbrosses saluait les caves coopératives pour leur travail sur le portage foncier. « Il n’y a pas de concurrence avec la Safer, nous avons besoin de toutes les idées et volontés pour accompagner les transmissions, notamment sur le foncier ». Avec sa vision régionale, l’éleveur retraité le voit et alerte : « la viticulture bourguignonne se détache petit à petit des valeurs économiques, avec les Grands crus, sur une valeur patrimoniale, logique qui redescend dans l’ensemble des crus. 15.000 €/ha, c’est presque un pied de vigne en Côte-d’Or. La période est faste, mais cela n’a pas toujours été ainsi », concluait-il, en invitant à « anticiper les événements. C’est toujours mieux qu’appeler la Safer quand il y a le feu ».