FDSEA et JA de Saône-et-Loire
Acte II de la visite préfectorale

Cédric Michelin
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Après avoir visité le Gaec de la Ferrière à Jugy le matin du 4 juillet (lire notre précédente édition), le préfet de Saône-et-Loire, Yves Séguy a poursuivi sa journée au Gaec Comeau à Saint-Eusèbe. La prédation du loup a occupé une grande partie des débats, tant la problématique est immense depuis les incessantes attaques en Saône-et-Loire. 

Acte II de la visite préfectorale

« Tellement de gens pensent qu’on va résoudre les problèmes environnementaux en un claquement de doigts », déplore Christian Bajard. Mais, le président de la FDSEA n’est pas du genre à baisser les bras, bien au contraire. Et c’est donc une énième fois qu’il interpellait le préfet, Yves Séguy sur la détresse et la colère des éleveurs – bovins, ovins, caprins, équins – qui sont victimes des attaques de loups. Des attaques de plus en plus fréquentes en Saône-et-Loire, front de colonisation du prédateur.

Le Gaec Comeau figure parmi ces « victimes ». Les deux fils, Cédric (2000) et Stéphane (2013) ont pris la suite de Gilles sur cette exploitation de sélectionneurs inscrite au HBC et à l’OS Mouton Charollais. Le petit-fils, Kylian s’est installé en 2019 avec un poulailler label en plus du côté de Blanzy. Tout ceci fonctionnait bien jusqu’à l’arrivée du où plutôt des loups. La première attaque est survenue en septembre 2020. 27 agnelles ont péri et deux moutons « dans un lot sélectionné ». Même perte incommensurable en novembre 2021, avec 50 agnelles de perdues et autant d’années de génétique, si ce n’est plus. Élue à la chambre d’agriculture, Sandrine Meunier expliquait au Préfet, ce « travail génétique dont on se passe le flambeau de génération en génération ». Et surtout, à l’inverse, en plus de la perte des agnelles – ou bovins charolais – tués, « on est obligé de garder des agnelles qu’on n’aurait peut-être pas sélectionnées sinon. La valeur de nos lots en prend un sacré coup ». Se voulant complète, et interpellant le DDT, Jean-Pierre Goron, elle faisait remarquer que les brebis de plus de 7 ans d’âge ne sont pas indemnisées « alors que parfois, elles ont une forte valeur génétique ». Trépignant sur son siège, Kylian reprenait la parole, visiblement ému, « de perdre plus que de l’argent » et Sandrine de finir sa phrase, « ce sentiment de perdre des filles qu’on a fait naître ». On ressentait leur amour et vocation d’éleveuse et d’éleveur à tous les deux. Pour Stéphane, il en va donc « d’un préjudice moral » que la protection du loup fait subir aux éleveurs.

Où est le bien-être animal avec le loup ?

À la détresse morale et psychologique, se rajoute la fatigue physique. Acheter et poser des filets de protection, se lever toutes les nuits, broyer les haies dans les filets… en se demandant toujours : pourquoi ? « Car les autorités ont décidé de protéger un prédateur » ? Une ineptie d’autant plus grande dans nos zones herbagères et bocagères, « avec souvent des topographies parcellaires » rajoutant autant de contraintes, voir l’impossibilité de protéger tous les lots dans toutes les parcelles. « On sort tôt les matins et on rentre tard tous les soirs. On rajoute les nuits, l’administratif… et on entend les écolos parler d’élevage intensif », se désole Stéphane. Alors que dans le même temps, la panique provoquée par le loup oblige « pour un seul animal – le loup - à en rentrer des milliers – les brebis - en bâtiments ». Incompréhensible. « Les paysans sont là pour nourrir la population. Si vous n’avez plus besoin de nous, il faut nous le dire », questionnait Cédric en regardant droit dans les yeux le préfet.

Yves Séguy se disait sensible à tous ces témoignages et même, « partageant les difficultés » des éleveurs, face à ce plan Loup. Pour le modifier, « c’est du registre des parlementaires ». Sans se défausser, le préfet et le directeur de la DDT, Jean-Pierre Goron rappelaient les autorisations de tirs de défense, les arrêtés de non-protégeabilité… qui font grincer les dents des ONG pro-loups. Le préfet, Yves Séguy s’interrogeait aussi sur le décompte des loups « qui sert d’étalonnage à la politique menée pour stabiliser la population ». Le DDT, Jean-Pierre Goron craint donc « le passage de plus en plus de loups » sur le département.

Avoir plus de moyens de se protéger

La situation empire. Pourtant, le récent décompte des loups officialisé ne reflète toujours pas la réalité selon la profession agricole, qui y voit là plutôt « un signal inadmissible envoyé aux ONG pro-loups leur redonnant des arguments, alors que pourtant partout les attaques augmentent ».

De la commission Prédation - regroupant chambre, FDSEA, JA71 -, Thibaut Renaud n’en démord pas. Alors que le plan Loup se termine et que le prochain pour 2024 est en cours d’écriture, les éleveurs veulent demain avoir « plus de moyens de se défendre ». Outre des caméras thermiques, pour lui, « les louvetiers doivent être indemnisés ». Quant aux chiens de protection, les patous, la profession est « mitigée » et demande a minima de changer son statut (domestique) car il s’agit pour les éleveurs « d’un outil de travail bien que ce soit un animal ». Il en va de la responsabilité juridique des éleveurs sinon. La commission réclame aussi le comptage des pertes annuelles et mensuelles, « avec les pertes indirectes comme avec la peur » (avortements…). Enfin, mais cela n’est plus dans le plan Loup, les organisations professionnelles veulent revoir la convention de Berne pour que le loup soit déclassé d’espèce strictement protégée à un statut « en dessous » via la directive Habitat.

Faire son deuil

Une dernière demande était formulée par Cédric Comeau. « Nous, éleveurs, on aimerait pouvoir faire le deuil. Voir le loup tué, dans les journaux ». Yves Séguy lui répondait avec compassion, « s’être posé la question, mais ne pas vouloir nourrir la surenchère et jouer la discrétion », car un loup ressemble à un chien. Il ne fermait néanmoins pas la porte… devant vérifier les autorisations nécessaires à faire venir les éleveurs prédatés à la Dreal. « Tant qu’on n’a pas vécu une attaque, on ne peut pas le ressentir comme un éleveur », rajoutait Christian Bajard.

Après deux heures d’échanges, un éleveur mettait les pieds dans le plat : « à un moment, il faudrait savoir qui commande dans ce pays ? », lui qui se considère - à juste titre - un « éleveur écolo car je suis le premier à voir mes vaches vêlées et le premier à devoir faire attention à elles qui subissent le changement climatique », pendant que d’autres « veulent commander depuis les villes ».

Faire respecter la loi Egalim2

Une transition parfaite pour Christian Bajard qui faisait alors le point sur la filière bovine de Saône-et-Loire, « plus grand département allaitant de France » mais qui en l’espace de 5 ans est passée de 230.000 bovins à un cheptel de 200.000. Les sécheresses mais surtout la pyramide des âges des éleveurs expliquent cette conjoncture. « Mais aussi, toutes ces attaques illégitimes comme le dernier rapport de la Cour des comptes » ou la promotion d’alternatives à la viande par le ministre de l’Économie, Bruno le Maire. Christian Bajard demandait donc au préfet de rappeler partout, surtout aux Ministères, « l’importance de l’élevage dans nos territoires ». Et pour prouver que l’élevage est nécessaire à la souveraineté alimentaire de la France, le président de la FDSEA réclamait de faire respecter la loi Egalim2 - « en lait comme en viandes » - qui oblige de construire les prix à partir des coûts de production agricole. Une bonne chose qui ne doit pas être tuée dans l’œuf par une autre menace, celle des accords internationaux, et autres importations, « très négatifs pour l’environnement en plus », faisant venir des viandes ou autres de l’autre bout de la planète. Les clauses miroirs, imposant les mêmes règles environnementales, permettraient d’éviter ce dumping.

Quatre victoires pour les retraites agricoles

La présidente de la section départementale des anciens exploitants agricoles de Saône-et-Loire, Danièle Jaillet avait des motifs de satisfaction à faire valoir avec « quatre victoires syndicales » obtenues en 2022. La première est évidemment de voir enfin la grande injustice réparée pour les chefs d’exploitations qui pourront toucher au minimum 85 % du Smic à carrière complète. Un combat vieux de 18 ans. Pour leurs conjoint(e) s ou pour les aides familiaux, une revalorisation a été obtenue passant de 550 à 741 € mensuels. « Ce n’est pas suffisant », estime Danièle Jaillet. En revanche, les agriculteurs qui ont eu des mandats d’élus locaux pourront bénéficier d’une retraite complémentaire. Enfin, les futures retraites agricoles seront calculées sur les 25 meilleures années, comme les autres (du secteur privé).

Néanmoins, la SDAE ne se satisfait pas pleinement de ces avancées, certes importantes, car la section a encore d’autres revendications. À savoir, obtenir un minimum de 1.200 € par mois ; que les conjoints et aides familiaux arrivent au moins à 85 % du Smic, que les pensions de réversions soient exclues du calcul des retraites, que la bonification pour enfant soit forfaitaire dans la loi… Bref, la SDAE a encore de nombreux combats syndicaux à mener et pas que sur les retraites. Danièle Jaillet déplore l’agrandissement des déserts médicaux, le manque de spécialistes médicaux et Ehpad dans le département, sans oublier le « tout numérique » qui pénalise les plus anciens dans leurs démarches administratives.