Vignoble bourguignon
Dans le vignoble bourguignon, le défi du passage en bio
Alors que les conversions pourraient bientôt doubler les surfaces viticoles bio en Bourgogne, les maisons Laroche à Chablis et Champi à Beaune témoignent des enjeux agronomiques et climatiques inhérents à la région et prônent une politique fondée sur l’observation et l’expérimentation.
Le vignoble bourguignon vit actuellement une révolution silencieuse. En Côte-d’Or, qui abrite les grands crus bourguignons les plus prestigieux (Chambolle-Musigny, Clos-Vougeot, Corton-Charlemagne, etc.), 1.500 hectares de vignes sont en cours de conversion à l’agriculture biologique selon l’Agence Bio, soit plus de 15 % de la surface viticole départementale, qui recouvre 9.500 hectares au total. Si l’évolution engagée était menée à son terme, la certification bio doublerait pour atteindre un tiers du vignoble du département, longtemps relégué en queue de classement en matière de bio. Un phénomène d’autant plus notable que des trajectoires comparables sont annoncées dans les départements voisins de Saône-et-Loire (900 ha en conversion) et de l’Yonne (720 ha).
La suppression des traitements de synthèse dans les vignes pentues et régulièrement arrosées du nord de la Bourgogne constitue pourtant une gageure agronomique et économique. C’est ce dont ont témoigné le 20 juin dernier les responsables des domaines Laroche à Chablis (89) et Champi à Beaune (21) lors d’une présentation des pratiques de viticulture durable menée au sein de ces deux maisons appartenant au groupe Advini, leur propriétaire respectivement depuis 2010 et 2016. Le groupe viticole (ex-Jeanjean), issu des vignobles du sud de la France (Languedoc-Roussillon, Rhône, Bordelais) a dû adapter ses pratiques et sa politique de certification aux conditions géologiques et climatiques très particulières de ces deux vignobles.
« L’une des premières décisions que nous avons prise en arrivant chez Laroche en 2010 a été de convertir cette propriété de 90 hectares en bio », se souvient Antoine Leccia, p-dg d’Advini. « Tout se passait bien jusqu’à ce que, au printemps 2013, les vignes deviennent inaccessibles pendant plusieurs semaines, en raison de pluies continuelles. En quelques heures, il a fallu choisir de traiter avec des produits de synthèse pour sauver la majeure partie de la récolte. Bien que nous soyons en dernière année de conversion, nous nous sommes résolus à le faire, pour assurer la pérennité de l’exploitation, de ses équipes et de ses clients, ce qui était en l’occurrence la véritable solution de durabilité ».
Fort de cette expérience, le domaine chablisien s’oriente alors vers le label HVE niveau 3, conservant un filet de sécurité en cas de risque majeur tout en poursuivant le travail du sol. « Les sols sont ouverts en début de campagne, fertilisés avec du compost de déchets animaux, ce qui permet un meilleur enracinement des pieds », estime Anthony Blescher, chef de culture du domaine. « La pratique du labour induit également une meilleure absorption de l’eau, ce qui est une des clés de la réussite dans un environnement humide », abonde Amélie Tupinier, chargée de développement durable du domaine, qui veille également à la mise en place de pratiques biodynamiques.
De l’empirisme en fonction des situations
Le groupe viticole fait preuve du même empirisme depuis son arrivée chez Champi, en Côte de Beaune, où il exploite 21 hectares de vignes, la plupart situées autour du village de Pernand-Vergelesses. En fonction des terroirs, les vignes sont conduites pour partie en bio (12 ha certifiées ou en cours) et pour l’autre en HVE. « L’objectif n’est pas de faire du bio pour faire du bio, mais de conduire durablement des vignes qui sont exploitées ici pour certaines depuis plus de mille ans », se justifie Antoine Leccia, le patron d’Advini. « Toutes ces démarches visent également à préserver l’authenticité des terroirs, de magnifier la qualité des vins et enfin d’accroître la compétence agronomique des équipes ».
Si chacun des domaines conserve une grande part d’autonomie sur les pratiques et le rythme de leur évolution, le groupe fixe les grandes orientations sur les sujets environnementaux. « L’avantage de notre présence sur l’ensemble du territoire et même à l’étranger (en Afrique du Sud notamment, N.D.L.R.), c’est de pouvoir faire du partage d’expérience », précise Carmen Etcheverry, qui dirige l’équipe en charge du développement durable chez Advini. « Nous expérimentons par exemple des traitements naturels à base d’ortie et de valériane qui s’avèrent très efficaces. La valériane, notamment, aide à la cicatrisation des plantes lors du rognage ».
La responsable du développement durable du groupe ne désespère pas de tenter une nouvelle conversion du domaine Laroche au bio. « La marche à franchir pour y prétendre est chaque année plus basse », estime Carmen Etcheverry. « Notre gestion est de plus en plus différenciée selon les parcelles et le savoir acquis au fil des expérimentations fait qu’il sera de moins en moins possible de se retrouver dans la situation d’avoir à traiter brutalement un jour ». À ce jour, 60 % des surfaces d’Advini en France sont certifiées en bio, 7,5 % sont en cours de certification, le reste étant classé en HVE 3. « Hormis la Bourgogne, c’est dans le Bordelais que nous rencontrons encore des difficultés, principalement pour des raisons de main-d’œuvre », souligne Antoine Leccia, le patron du groupe.
Le groupe Advini en chiffres
Le groupe Advini, héritier depuis 2010 du groupe familial Jeanjean, est présent dans les principaux bassins viticoles de France : en Languedoc (Jeanjean), Roussillon (Maison Cazes), Vallée du Rhône (Clos de l’Oratoire des Papes, Ogier), Provence (Château Gassier), Bordeaux (Antoine Moueix) et Bourgogne (Laroche et Champi). Il a également investi en Afrique du Sud à Stellenbosch. Le groupe compte 950 collaborateurs et pèse environ 300 M€ de chiffre d’affaires.