Forêt
Quel peuplement pour demain ?

Françoise Thomas
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Le troisième été caniculaire et sec successif que l’on vient de vivre a laissé des traces dans de nombreuses forêts, partout en France. Plus que jamais le Centre régional de la propriété forestière, le CRPF, se mobilise pour préserver les massifs forestiers de demain. La journée technique organisée dans le Brionnais s’est déroulée dans un bois relativement épargné qui peut, à ce titre, indiquer quelques pistes à suivre.

Quel peuplement pour demain ?
Une vingtaine de personnes étaient présentes à l'après-midi technique proposée par le Centre régional de la propriété forestière.

L’accélération du changement climatique impacte les forêts et questionne les professionnels du secteur. Ainsi, concernant les solutions pour aider les bois à faire face, « il ne faut pas avoir honte de dire que l’on ne sait pas car il n’y a pas de réponses simples ni de recettes miracles ! », a revendiqué Louis-Adrien Lagneau au cours de la visite technique organisée dans le bois de Riollot mi-septembre, à Saint-Aubin-en-Charollais. Car si des pistes existent bien évidemment, il reste encore beaucoup à apprendre.
C’est la raison pour laquelle le CRPF a lancé un appel aux différents propriétaires forestiers et gestionnaires présents qui seraient tentés par des expériences pour créer en quelque sorte la forêt, ou plutôt les forêts, de demain.
Le constat actuellement est clair et sans débat, « la forêt souffre du réchauffement climatique et nous avons vingt ans de retard en termes d’adaptabilité ».

Petit retour en arrière

« Il y a vingt ans, nous sortions de la tempête de 1999 », rappelle le technicien du CRPF. La priorité était donc de dégager les chablis et replanter, en général, avec les essences qui avaient fait leurs preuves sur place jusqu’alors ou de laisser faire un repeuplement naturel. « À l’époque, personne n’avait anticipé le réchauffement climatique que nous connaissons actuellement ».
Aujourd’hui, la stratégie vers laquelle les techniciens forestiers souhaitent s’orienter est celle de tester diverses espèces, « c’est pourquoi nous recherchons des propriétaires et des gestionnaires intéressés pour faire des essais, sur des parcelles limitées à 2 ha ou deux fois 1 ha, d’un mélange d’essences originales », détaille-t-il. Et ceci, en totale concertation avec le CRPF, tant pour le choix des espèces à planter en fonction du sol que pour leur suivi. « Nous vous accompagnons et des subventions sont prévues, le tout sans avance de frais. Mais il n’y a en revanche aucune garantie de résultat et de valorisation possible in fine ». Louis-Adrien Lagneau insiste : « nous n’avons pas d’essence définies, nous sommes plutôt sur un principe d’innovation et d’expérimentation ».

Les cousins du sud

Par espèces atypiques, l’établissement public pense plutôt à des essences jusqu’à présent plus utilisées en ornemental qu’en gestion forestière, type séquoia, cèdre de l’Atlas, cyprès, tulipier, liquidambar, etc., ou également des individus issus de nouvelles provenances.
Et c’est là l’une des nouveautés de ces derniers temps : alors qu’il y a encore quelques années les chênes implantés provenaient, par exemple, de Vancouver, « désormais nous souhaitons voir comment se comportent chez nous leurs cousins de Californie », évolution climatique oblige...
Ces "îlots d’avenir" ont ainsi plus une vocation pédagogique et peuvent bénéficier de dérogation si nécessaire, via un avenant au plan simple de gestion. « Nous en sommes au tout début du test », insiste le technicien forestier, tout en rappelant l’urgence.

Carte d’identité connue

Carte d’identité connue

Le bois de Riollot à Saint-Aubin-en-Charollais est apparu comme exemplaire pour les techniciens du CRPF : « cette forêt est atypique en Saône-et-Loire par sa grande diversité ».
168 ha au total dont 124 pour le massif principal. Située à 300 m d’altitude, cette forêt présente un mélange intéressant d’essences entre pins, douglas, chênes rouge d’Amérique, chênes sessile, etc. ; elle est constituée de taillis sous futaie pour beaucoup via un peuplement naturel spontané mais aussi par un enrichissement, le tout devant composé avec un sol hydromorphe qui limite l’enracinement. Mais au final, l’ensemble parait pour l’instant s’adapter à l’évolution du climat.
Ici deux essences de production : le chêne rouge et le douglas, lesquelles sans présenter de spécimens exceptionnels présentent malgré tout des sujets sains et facilement valorisables.
Le gestionnaire Bruno Ramage a insisté sur le fait que « pour le propriétaire, la base est de bien connaître sa forêt en identifiant les différents peuplements présents » et cela va même au-delà car « 18 types de zones ont été répertoriées, permettant ensuite d’établir parfaitement le programme de travaux. L’idée étant de conserver toutes les essences présentes ».
Cette délimitation précise établie dans ce bois est ainsi là aussi une piste à suivre : en définissant précisément les différentes zones de terrain présents sur une parcelle, des plus argileux au plus sableux, on gère d’autant plus facilement le peuplement entre type d’essence et renouvellement, surveillance spécifique et intervention ou non, potentiel de valorisation.

La forêt sur le ring !

En multipliant les coups de chaleur, les longues périodes de chaleur, du vent et des orages de plus en plus violents, des gels tardifs, etc., la forêt souffre et pour certains arbres la cumulation de ces conditions climatiques extrêmes sont fatales. « Nous appelons cela la théorie du boxeur, présente Romain Lachèze, technicien CRPF : à force de prendre des coups, certains arbres peuvent ne pas s’en remettre et dépérir ». D’où certains chênes qui présentent, à l’issue de ce troisième été caniculaire, des signes de dépérissement alors qu’ils semblaient bien supporter jusqu’à présent. Ainsi de très beaux spécimens vont rester KO…

Évolution climatique

Évolution climatique

Plus d’ensoleillement, plus de chaleur, moins de pluie, en tout cas une pluie beaucoup moins bien répartie avec un allongement des périodes sèches. On assisterait donc progressivement à la fin des intersaisons et à la « remontée de l’équateur thermique », nous orientant petit à petit vers un climat à deux périodes : saison sèche et saison des pluies. Ce qui ne peut qu’avoir des conséquences sur nos arbres dont la croissance et le cycle sont rythmés par quatre saisons…

Au-delà du problème de la régulation de l’eau, les arbres vont devoir composer avec des hivers plus doux, des périodes de dormances des graines réduites de plus en plus, des parasites et des maladies pour certaines plus virulentes, une photosynthèse moins importante, etc.

La tempête de 1999 semble être le premier événement marquant, suivi en 2003 de la première canicule de notre époque. Depuis, tout semble encore s’accélérer. « Jusqu’à il y a peu, 2003 faisait office d’année de référence. Il semblerait qu’elle devienne la norme depuis trois ans », souligne ainsi Louis-Adrien Lagneau.

200 millions pour soigner la forêt

Au niveau national, le plan de relance du ministère de l’Agriculture doit consacrer 200 millions d’euros pour adapter la forêt au changement climatique. Les trois quarts de cette enveloppe seront dédiés à la plantation d’essences pouvant a priori faire face : merisier, noyer, cormier, résineux, tilleul, chêne sessile, bouleau.

Car le constat est invariablement le même dans de trop nombreux massifs hexagonaux. La forêt de Montmorency, par exemple, au nord de Paris, n’en finit pas de voir dépérir ses châtaigniers. Un micro-organisme vient détruire leurs racines, les rendant incapables d’aller puiser l’eau au plus fort des canicules. Les châtaigniers représentant 70 % du peuplement de la forêt, ce sont 500 ha qui sont touchés !
La perte est aussi bien évidemment économique avec à la base de magnifiques spécimens désormais dégradés qui vont pour la plupart finir en bois de chauffage plutôt qu’en bois d’œuvre. Le prix du mètre cube passe alors de 120 €… à 30 €.

Du côté du Grand Est, de la Bourgogne et de l’Auvergne, c’est le scolyte qui vient impacter durablement les massifs, en réduisant à néant des milliers de mètres cubes de sapins et d’épicéas.
Le dépérissement de hêtres, pins sylvestres et même de chênes s’observe de façon de plus en plus récurrente partout sur le territoire national. Le grand plan de reboisement doit ainsi concerner 45.000 hectares de forêts.