Assises de l'eau
Le secteur agricole au même rang que les autres

Florence Bouville
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Dans le cadre des Assises de l’eau (déclinaison du Plan eau national), trois groupes de travail ont été mis en place, couvrant l’ensemble des usages et des usagers : l’agriculture, l’industrie et les collectivités. Dispositif ne pointant ainsi pas du doigt les consommations agricoles mais tourné vers la recherche collective de solutions d’adaptation au changement climatique. Comme cela a été annoncé par le préfet, Yves Séguy, le 10 octobre en présence des représentants de chaque secteur, le plan départemental de sobriété sera dévoilé début 2024.

Le secteur agricole au même rang que les autres
En juillet 2021, pour protéger Lyon, la vallée de la Saône était inondée. Les agriculteurs devaient tant bien que mal rentrer leurs bêtes apeurées, nettoyer des terrains impropres et faire face à de lourdes pertes de cultures.

Le temps où la sécheresse touchait le territoire une fois tous les quinze ans est malheureusement révolu. Au cours des six dernières années, cinq épisodes de sécheresse ont frappé le département, avec en prime des inondations en 2021. L’été 2023 a d’ailleurs lui aussi très mal commencé, accusant le coup d’une sécheresse hivernale sans précédent. Grâce aux orages estivaux plutôt réguliers, la végétation a tout de même pu être épargnée et les activités agricoles sauvegardées. Non sans certaines difficultés, il faut le concéder avec les efforts des agriculteurs, éleveurs notamment pour l’abreuvement.

Priorité des priorités pour les pouvoirs publics cependant, « l’approvisionnement en eau potable n’a pas été mis en péril », rassure Yves Séguy. Comme le souligne un des salariés de l’EPTB (Établissement public territorial de bassin) Saône et Doubs, il nous est tous arrivés d’observer le niveau de la Saône et de nous dire que la situation n’était pas si dramatique. Or, ce symbole que nous avons devant les yeux est trompeur, puisqu’en réalité, « la Saône n’est pas si infinie que ça ». Si toute la régulation liée aux ouvrages de navigation s’arrêtait, nous nous rendrions réellement compte de la non-abondance. Actuellement, les débits enregistrés ne dépassent pas les 20 m³/s, valeur très faible pour un mois d’octobre.

Au niveau réglementaire, la raréfaction de la ressource en eau engendre des restrictions d’usage, toujours en vigueur sur le territoire. Au sujet de la gradation de ces restrictions, un membre de France Nature Environnement déclare qu’il serait « intéressant de quantifier l’effet de ces mesures », autrement dit les économies obtenues entre le niveau d’alerte renforcée et la crise par exemple. Cela pourrait servir de base de communication pour sensibiliser et informer la population, à condition bien sûr qu’il y ait un écart significatif de consommation…

« Arriver à stocker l’eau en accord avec le règlement »

Ayant participé aux trois réunions techniques (25/05, 22/06 et 05/09), Antoine Villard, conseiller grandes cultures à la chambre d’agriculture, a remis sur la table la question du stockage de l’eau, en réponse aux besoins croissants d’abreuvement des animaux en été (9 millions de m³). Les collectivités soutiennent déjà financièrement des dispositifs de récupération des eaux de pluie venant des toitures, mais elles pourraient certainement faire plus. Jusqu’à présent, les demandes d’aide n’étaient pas nombreuses, surtout en comparaison du reste de la France. Aujourd’hui la donne a changé, que ce soit pour la conduite de l’élevage ou des grandes cultures. La Saône-et-Loire a tout intérêt à s’inspirer des territoires voisins, comme la Loire et le Rhône qui « sécurisent les cultures spécialisées », témoigne Antoine Villard. Christian Bajard, président de la FDSEA, rappelle que la baisse de 10 % du cheptel, même si elle a factuellement contribué à des économies d’eau, a plus été subie que désirée. « Je ne suis pas sûr que cette réduction soit si pérenne que ça », déclare-t-il.

Édith Bordage, animatrice du contrat territorial du SMAAA (Syndicat mixte d’aménagement de l’Arconce et ses affluents), raconte qu’après avoir sondé plusieurs éleveurs, « le branchement à l’eau potable est le dernier recours ». Une des solutions envisagées sur ce secteur est de « remettre en service d’anciennes stations de pompage ». Dominique Vaizand, président du Syndicat d’adduction d’eau du Charollais, exprime quant à lui une crainte. Si demain, les éleveurs venaient à ne plus être clients du syndicat, cela remettrait considérablement en cause l’avenir de la structure. En effet, à ce jour, 30 % de l’eau potable desservie servent à l’abreuvement des bovins. Il redoute donc une « uniformisation » des actions. « Tous les syndicats ne sont pas logés à la même enseigne », insiste-t-il. Lui qui, dans un « lapsus révélateur » relevé par le préfet, évoquait le « plan de solidarité » au lieu du "plan de sobriété". Là où finalement la politique a un véritable rôle à jouer c’est que l’un n’empêche pas l’autre.

Les loisirs dans la ligne de mire ?

Stéphane Convert, référent du service environnement à la chambre d’agriculture, a interpellé le préfet au sujet de « l’eau loisir », autrement dit l’eau qui ne sert ni à l’activité économique ni aux usages quotidiens nécessaires. Les piscines nous viennent en premier en tête, mais cela concerne plus largement la thématique du loisir. « Est-ce qu’il ne s’agirait pas du pilier que l’on peut restreindre le plus facilement ? », interroge Stéphane Convert. La représentante des VNF (Voies navigables de France) apporte une nuance, car l’eau de navigation n’est pas « consommée » mais « déplacée ». Ce volume n’en reste pas moins deux fois supérieur à celui alloué à l’abreuvement. À noter que les missions de VNF ne se limitent pas à la navigation : soutien à l’étiage de rivières, alimentation d’irrigants et d’ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement). Face à la démocratisation des écogestes, et ce dès la primaire, il reste aussi à chacun de s’interroger sur les "bonnes pratiques" qui font sens, comme peut-être la valorisation des eaux de vidange.

Dans tous les cas, les actions ne seront rien sans le volet animation, véritable moteur et liant de la déclinaison des politiques publiques multi-enjeux (maintien de l’activité agricole et industrielle, protection des milieux naturels, entretien des espaces publics etc.) Pour gagner en clarté, le préfet insiste pour que le plan départemental « soit doté d’indicateurs et d’objectifs chiffrés », en y intégrant pourquoi pas des clauses d’écoconditionnalité.

Recenser les plans d'eau

En marge de la réglementation découlant de la Loi sur l’eau, les plans d’eau représentent un fort enjeu sur le territoire, et les instances publiques en ont bien conscience. Le Conseil départemental a d’ailleurs récemment lancé un recensement des plans d’eau existants. Inventaire pour le moins nécessaire, au regard des retours terrain des techniciens qui confient que certains propriétaires ne s’occupent plus de la gestion de cette ressource. Une fois contactés, certains souhaitent même les revendre aux syndicats de rivière. Autres enjeux concernant les forages domestiques, non soumis à une autorisation (seulement à une déclaration), contrairement aux forages agricoles. Mis bout à bout, ces ouvrages engendrent une "déportation" des consommations et en cas de multiplication abusive, modifient le réseau sous-terrain.