Attaques du loup
Après le cauchemar, le dégoût…

Marc Labille
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Le matin du 12 septembre, la famille Comeau découvrait avec effroi le carnage occasionné par le loup dans leur élevage. Plongés soudainement dans un cauchemar, les éleveurs ont vécu un véritable traumatisme, aggravé par le sentiment d’injustice face à des décisions invraisemblables.

Après le cauchemar, le dégoût…
Stéphane et Kylian Comeau devant leur lot d’agnelles qui a été attaqué par le loup en septembre dernier.

À Saint-Eusèbe, la famille Comeau est à la tête d’une belle exploitation. À la veille de l’an 2000, Gilles était rejoint par l’un de ses fils Cédric. La ferme reposait déjà sur un cheptel de bovins charolais inscrits, ainsi qu’une troupe de brebis charollaises dont l’inscription avait débuté dans les années 1970. À l’installation de Cédric, la troupe ovine a doublé en effectif pour atteindre près de 130 agnelages. Le Gaec misait alors sur la valorisation de ses deux troupeaux complémentaires. Après un début de carrière dans la comptabilité agricole, Stéphane, frère aîné de Cédric, rejoignait le Gaec en 2013 en succédant à Gilles parti à la retraite. En décembre dernier, Kylian, fils de Stéphane choisissait de s’installer à son tour avec son père et son oncle. Le Gaec décidait alors de développer la culture de céréales pour plus d’autonomie, d’augmenter le nombre de vaches et de brebis et de reprendre un poulailler label à quelques kilomètres du siège de la ferme. Un projet mûrement réfléchi qui comptait sur la diversité des productions et la poursuite du travail de sélection entrepris depuis quatre générations. La troupe ovine devait passer cette année à 160 agnelages… Mais dans la nuit du 11 au 12 septembre, un évènement est soudainement venu bouleverser ce projet. 

La nuit où tout a basculé…

« Cela s’est produit dans deux parcelles à seulement 600 mètres de la ferme et de nos maisons. La veille, j’avais fait mes lots de femelles en vue de la lutte d’automne. D’un côté, il y avait 10 brebis qui devaient être rejointes par le bélier le 15 septembre. Dans la seconde parcelle, il y avait nos 55 agnelles de renouvellement qui devaient être saillies à partir du 15 octobre », raconte Stéphane. Le samedi matin, les associés ont eu la surprise de retrouver une brebis apeurée à la porte de la bergerie et une autre toute aussi perdue sur la pelouse de la maison des parents… Loin de se douter du carnage, Gilles a d’abord cru qu’il avait oublié de refermer une barrière la veille en déposant des auges dans les parcelles. Se rendant immédiatement sur place, le retraité découvre avec effroi le tableau morbide laissé par le loup.  

« C’était vraiment triste à voir ! » 

« C’est mon père qui, le premier, est tombé sur une première brebis égorgée sur le chemin de terre. Puis il a découvert quatre autres brebis tuées dans le pré. Une autre, toujours vivante et errante, avait le devant arraché au niveau de l’épaule… Les autres brebis s’étaient sauvées en brisant la clôture dans la panique », décrit avec une précision poignante Stéphane. Quant aux agnelles, Gilles les a retrouvées en sang pour 17 d’entre-elles. L’une avait été tuée dans le pré. Au total, l’élevage a perdu sept brebis et deux agnelles en une seule nuit par la faute d’un seul loup. Si Stéphane avoue qu’il s’y attendait un peu – l’une des premières victimes du loup était à seulement quelques kilomètres à vol d’oiseau de la ferme des Comeau – l’irruption violente du prédateur sur l’exploitation a été vécue comme un véritable cauchemar par la famille. Au lendemain de l’attaque, Kylian, Cédric, Stéphane et Gilles ont rapatrié toutes les agnelles et les brebis rescapées dans la bergerie. « On a commencé à examiner et à trier les animaux blessés pour les montrer au vétérinaire. C’était vraiment triste à voir ! On en a pleuré tous les quatre dans notre bergerie », confie Stéphane. 

Production compromise

Beaucoup d’agnelles portaient des traces de crocs au niveau de la gorge. Certaines avaient aussi des blessures causées par le grillage qu’elles avaient défoncé dans la panique. Toutes étaient choquées. Les animaux blessés ont tous été soignés avec un traitement antibiotique. Car les blessures des crocs du loup sont souillées de microbes. Elles s’infectent et suppurent longuement, décrit Stéphane. Avec le temps, les agnelles et les brebis choquées ont été réapprivoisées par les éleveurs qui les manipulent tous les jours. Mais presque deux mois après l’attaque, certaines agnelles sont moins fraîches que les autres et d’ores et déjà, les associés savent que le bélier ne les aura pas saillies. Des pertes en termes de production sont inéluctables. 

Bien-être animal ?

Pour Stéphane et Cédric, quarantenaires tous les deux, le coup est dur. Mais le traumatisme est peut-être encore plus difficile à admettre pour leur père Gilles qui a bâti cet élevage et qui n’aurait jamais imaginé le retour du loup en Saône-et-Loire cent ans après son éradication… Son petit-fils Kylian dit éprouver un sentiment de dégoût : « on s’installe, on veut continuer ce qu’ont créé nos grands-parents, nos parents… et un seul loup passe et détruit le fruit de notre travail ». Très éprouvé par ce dommage survenu moins d’un an après son installation, Kylian a écrit sa colère sur les réseaux sociaux. Car le jeune éleveur en veut à cette société où la prolifération d’idées nées de l’ignorance aboutit à l’invraisemblable. « Venez-voir le bien-être animal maintenant que vous avez pris la décision de réintroduire le loup ! Venez voir ce que cela fait de se réveiller et de découvrir son troupeau abattu ! », a posté Kylian. 

Quel avenir ?

Après cette attaque, les trois associés partagent les mêmes doutes quant à l’avenir. Eux qui s’étaient attachés à développer leur atelier ovin, qu’ils jugent rentable, avouent se demander ce qu’ils vont faire de leurs brebis. Car depuis la macabre visite du loup, les associés sont contraints de rentrer ou de parquer leurs animaux tous les soirs. En attendant que la bête soit neutralisée, il faut surveiller le troupeau de nuit… Une situation intenable qui amène Kylian à envisager un second poulailler pour compenser une probable baisse des brebis… C’est un véritable crève-cœur pour la famille Comeau. « Le mouton est une production qui allait très bien chez nous, sur nos petits terrains, nos collines. C’est aussi une menace pour l’avenir de notre race qui perd déjà des éleveurs », regrette Stéphane.

Un numéro de téléphone pour accompagner les victimes

Depuis le 30 octobre dernier, dans une lettre d’information intitulée « Loup en Saône-et-Loire », la chambre d’agriculture informe régulièrement les agriculteurs des communes concernées par les attaques : nombres d’attaques, bilan des victimes, dernières attaques en date, cartographie détaillée, actions mise en œuvre dans le département… Indiquant que faire en cas d’attaque, la chambre d’agriculture propose également un accompagnement plus personnel ; une écoute aux agriculteurs victimes du loup. Rose Lienhardt, conseillère chambre d’agriculture 71, au 06.40.47.74.60.