Vinosphère
Ne plus procrastiner sur la RSE

Cédric Michelin
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Mardi 5 mars à Beaune, la 8e édition de Vinosphère se penchait sur « la RSE en marche accélérée ». Ce que le BIVB appelait encore en 2015 le Développement durable, repose toujours sur les attentes sociétales, sociales et environnementales. La question restant sur comment les conjuguer avec l’économie viticole, dans un contexte de changement climatique et d’un manque de temps ou main-d’œuvre dans les 3.000 exploitations viticoles majoritairement familiales.

Ne plus procrastiner sur la RSE

Après trois heures de présentations, tables rondes, témoignages, questionnements ou réactions, le président du BIVB, Laurent Delaunay reconnaissait dans sa conclusion être « groggy par la densité et le foisonnement » de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) pourtant « à peine aborder dans toutes ses dimensions » en cette matinée du 5 mars à Beaune. Il en allait certainement de même pour les 200 congressistes à Beaune ou la soixante en visioconférence, de toutes les professions : vignerons, négociants, techniciens, tonneliers… L’après-midi se poursuivait par des ateliers réservés aux professionnels.

En réalité, derrière ce « terme rébarbatif », la RSE n’est finalement que la « réunion des grandes préoccupations actuelles de notre vignoble et de nos entreprises chahutées par un monde en mutation accélérée », avait introduit le négociant Beaunois. Auxquelles, il faut toutefois rajouter les attentes sociétales des citoyens, désormais se traduisant dans les actes d’achat. La Bourgogne a devancé cette nouvelle demande des marchés et le BIVB a présenté la plateforme Wine Pilot qui doit permettre à chacun des 3.000 producteurs de vins de Bourgogne de « mesurer son empreinte carbone et simuler l’impact de ses choix » pour tendre collectivement vers la neutralité carbone d’ici 2035, comme a été acté l’Objectif Climat du BIVB et de l’Adelphe.

Simuler ses réductions carbones

Alors que Frédéric Volle, cofondateur de Food & Wine Pilot, présentait sa 3e édition de Vinosphère, il donnait la parole à son « patron des relations clients », Philippe Grzesiak qui développe cette « start-up » spécialisée dans les solutions et calcul des indicateurs environnementaux. Ce « GPS de la décarbonation », comme il le surnomme, est à première vue, une sorte de « questionnaire semi-spécifique pour récolter les 20 % de données qui couvrent 80 % de vos impacts ». En une trentaine de questions, la plateforme va ensuite proposer des axes techniques et définir des axes de décarbonations à horizon 10-15 ans, selon vos objectifs. Par exemple, pour son domaine, il sera possible de simuler sa diminution de carbone si l’on passe à une bouteille « moins lourde » de x grammes. « L’enjeu est d’avancer collectivement car on est individuellement paralysé », constate-t-il, pas que dans la filière viticole. Derrière, le BIVB va analyser les données anonymisées pour « recommuniquer » sur les actions qui marchent ou non. Les vignerons pourront eux « se comparer » en termes d’avancées aux exploitations Bourguignonnes de même taille.

Affichage environnemental dès 2025

Comme l’explique le responsable du pôle Technique, Jean-Philippe Gervais l’affichage obligatoire dès 2025 sur les bouteilles/BIB va donner aux consommateurs « un coût environnemental objectivé » (passant de A-B-C-D-E à un score sur 100) qui, si les clients se tournent en masse vers ce critère de choix, « invitera le producteur à mettre en place des process pour le réduire ». Encore faut-il cependant que l’analyse du cycle de vie (ACV) soit « normalisée ». Les débats font rage chez les spécialistes (et idéologues) pour arriver à un « score » pondérant cumul des gaz à effet de serre (GES), atteinte à la biodiversité, impact sur le milieu… L’Institut français de la vigne et du vin (IFV) a travaillé sur les références de la filière vin, avec la base de données Agribalyse. Il reconnaissait que Wine Pilot est un « calcul simplifié » en pondérant 17 facteurs. Loin donc d’un périmètre (scope) d’un bilan carbone de niveau 3 « complexe et coûteux ».

Vice-président de la commission Marché du BIVB, coorganisatrice de Vinosphère avec le pôle Technique, Manoel Bouchet sait les enjeux et « forces » de la RSE sans minimiser les contraintes qu’il résumait en une expression du quotidien : « le temps, c’est de l’argent ». Et les vignerons sont déjà bien occupés avec leurs multiples « métiers » et doivent en plus faire face au changement climatique, accélérant les aléas. Pourtant la RSE répond à ce défi climatique.

Valoriser déjà l’existant

Le directeur de la cave de Buxy, Rémi Marlin se montrait plus optimiste. Lui qui préside depuis peu le « premier label RSE de la filière vin », le label Vignerons Engagés, a surtout vu « le changement culturel » à la cave de Buxy dès 2011. « On fait tous du développement durable sans le savoir. La démarche sert à valoriser ce qu’on fait déjà ». De par son expérience, Rémi Marlin se montrait donc moins empressé que le BIVB. Pas de marche accélérée donc. « Ce qui est durable s’inscrit dans le temps », invitant cependant à ne pas repousser les réflexions, prendre des décisions et même allouer « des moyens pour changer de méthodes ». Cette prise de conscience doit d’abord se faire par les dirigeants (et actionnaires) pour transmettre cette « volonté farouche » aux équipes derrière un chef de projet en mode « plutôt course de fond, que sprint ». De nombreuses formations sont à prévoir, presque tout au long de la vie « pour se préparer et réaliser le changement ». Il rappelait d’ailleurs qu’en 2011, lorsque la cave de Buxy a intégré Vignerons en développement durable, devenus Engagés, « il y avait certains climatosceptiques qui ont franchi des étapes car c’est une sensibilisation permanente ». Des formations comme l’audit ou la labellisation ont aussi des coûts, en temps toujours.

Accéder à des marchés valorisants ou pas

Alors qu’en est-il de la valorisation possible ? Elle serait d’abord à retrouver du côté de la « marque employeur » avec des salariés plus heureux et une entreprise plus attractive et même, des candidats motivés à rejoindre ses valeurs RSE de l’entreprise, surtout chez les jeunes générations. En second, la RSE représente aussi un impératif pour vendre sur certains marchés « contraints », tels que les monopoles scandinaves, au Canada ou encore en Australie qui ont intégré ce type de critère dans leurs appels d’offres.

Ce n’est en revanche pas le cas pour les centrales d’achats ou enseignes de distribution françaises. Est-ce à dire que les consommateurs « latins » sont moins sensibles, il n’y a qu’un pas que l’association Vignerons Engagés semble tempérer : « sur le marché Français, il y a beaucoup de discours mais les labels n’apparaissent pas dans les appels d’offres, ni marques de distributeurs ou nationales. Mais sur le marché trad’et dans la filière vin si », félicite Rémi Marlin.

Faire avant de faire savoir

Un temps d’avance que le BIVB encourage à « faire savoir » et « à valoriser » auprès des consommateurs. Pour la directrice du Crédit Agricole Grands Crus, Anne Le Naour, après avoir pris « dix ans de retard », le Bordelais est en train d’accélérer « depuis 5 ans et quand Bordeaux bouge, ça va vite et touche tous les maillons : grands crus comme vignerons en difficulté, tonneliers, sommeliers… embarquant toute la profession ». L’interprofession des vins de Bordeaux « fait l’inventaire des pratiques pour valoriser les bonnes, qui compte déjà beaucoup d’initiatives », dans le cadre du plan Cultivons Demain, qui a perdu le mot Bordeaux au passage. Anne Le Naour appelait justement à « avoir des outils utilisables d’un bassin à l’autre et les améliorer, plutôt qu’à chaque fois réinventer la roue », alors que l’outil Wine Pilot a été développé dans le Village by CA de Champagne-Bourgogne…

Car le risque est sinon de considérablement multiplier les outils et labels, sur le volet environnemental (Bio, HVE, Terra vitis…), sur le volet carbone (GES & Vit, Wine Pilot, Carbon Agri…), sur le volet eau, sur le volet biodiversité… Et idem pour les volets sociaux ou demain sociétaux. Un puits sans fond de logiciels non interopérables, sans même parler des normes internationales, y compris les normes ISO. Car Frédéric Volle prévient, « nous ne sommes pas les seuls à travailler la RSE, il faut avoir une vision internationale ».

« Gaspillage d’enfants gâtés »

Ce qui ne fait visiblement pas peur à l’œnologue devenu négociant « du côté de Montpellier », Bruno Le Breton qui est engagé dans le label RSE « anglosaxon » B Corp. « Projetez-vous au 8 mars 2050. Le vin à lever les doutes sur les risques sanitaires ; la consommation redépasse les 50 litres ; les consommateurs sont jeunes ; les médecins préconisent de boire du vin pour la santé en famille… Qu’est-ce qui s’est passé ? Juste, qu’aujourd’hui, on a pris le dossier RSE à bras-le-corps », rêvait-il pour motiver l’assistance. Depuis 7 ans, il est néanmoins passé de la théorie à la pratique en organisant des « comités sur des idées perchées » avec ses voisins, fournisseurs, banquiers, salariés, clients… « Les réponses sont plutôt pragmatiques et de bon sens bien souvent », se réjouit-il. Un exercice « d’intelligence collective » qui a débouché sur la « suppression de la capsule alu moche » par exemple, sans que les clients n’y trouvent à redire. Tout du moins avec le temps et des explications. « Au début, ce fut un fiasco, maintenant les clients trouvent cela cool ». Et Bruno Le Breton de tacler ses confrères : « Nous sommes une filière d’enfants gâtés qui dépensent et gaspillent dans des choses qui ne servent à rien », tranchait-il sévèrement. Bio et HVE ne trouvent pas plus grâce à ses yeux. Son objectif maintenant est de devenir une « entreprise à mission », tel Danone, qui inscrit la RSE dans ses statuts juridiques. De grands groupes en Champagne se positionnent déjà ainsi. « On ne cherche plus à cumuler les labels, coûteux et contraignants. Le monde du vin doit créer son propre référentiel », concluait-il.

Délocaliser, est-ce vertueux ?

C’est exactement ce que cherche à faire la « Sustainable Wine Roundtable » que présentait Richard Bampfield, Master of Wine Anglais. Il fait le même amer constat : « comme toujours dans le vin tout est fragmenté et n’a aucune résonance pour tous les consommateurs du monde », ces derniers ne savant vraiment jamais dans quelles « normes ou certifications ou équivalence, ils peuvent avoir confiance ou proche de leurs attentes ». Derrière lui, s’affichaient justement en grand écran, plus de 70 normes liées au développement durable. « Et celles reconnues en France ne le sont pas forcément ailleurs, au contraire ». Avec un sens de l’humour « so British », Richard Bampfield se permettait de faire « timidement 5 recommandations mal placées » au pays du vin. « L’agroécologie est une viticulture plus régénérative ; Un sol sain stocke des quantités énormes de carbone. Tenez vous informés des développements autour des autres options que la bouteille en verre ; Il y aura du potentiel pour tous les vins, y compris de Bourgogne. À l’avenir, la non-création de déchets et la réutilisation seront peut-être plus importants que le recyclage. Pensez bien à la protection et au bien-être de vos employés. N’oubliez jamais : il n’y a aucun intérêt à être vert si vous êtes dans le rouge (à la banque) ». Des messages que la Sustainable Wine Roundtable s’évertue à répandre auprès des « détaillants et points de vente », tels que les monopoles, les supermarchés Whole Foods Market, la English Wine Society…

En guise de conclusion, Laurent Delaunay résumait cette matinée pour une filière durable en imaginant dans le futur des vins « haut de gamme sobres », en ressources. Il notait néanmoins quelques « injonctions contradictoires » comme l’envoi de vrac dans les pays exports pour embouteiller au plus près des clients finaux. « Notre rôle est aussi de faire vivre nos territoires », sans délocaliser la « valeur ajoutée », mettait-il comme limite sociétale pour le coup.

Crédit Agricole : La RSE a son véhicule financier à part
L'animateur Frédéric Volle est aussi cofondateur de Food & Wine Pilot, plateforme pour décarbonée choisie par le BIVB et l'Adelphe.

Crédit Agricole : La RSE a son véhicule financier à part

Directeur de la transition des entreprises et de l’agriculture à la caisse régionale du Crédit Agricole Champagne-Bourgogne – avec les côtes viticoles de Côte d’Or et de l’Yonne donc -, Tristan Lamy, séparait l’empreinte carbone en deux. Celle du groupe  de 1.700 salariés, émettant 20.000 t/an soit environ 13t/salarié « dans la moyenne d’un Français ». Mais avec l’activité bancaire qui finance l’économie, « l’impact des prêts d’argent multiplie par 50 cet impact pour dépasser le million de tonnes ». La banque « verte » veut donc « aider » ses clients « à s’adapter ». Comment ? En pratique, en finançant les bonnes pratiques. Tristan Lamy sait cependant que ces dernières « ne rapportent pas forcément », sur le court-moyen termes. C’est pourquoi, la banque propose un « système de portage » financier « déconsolidé » des autres prêts, permettant ainsi de « continuer d’autres investissements ». Deuxième axe, la banque prévoit d’investir « 2 milliards d’€ » sur l’agrivoltaïsme notamment. Troisième solution, la banque sait que l’agriculture est « une solution pour piéger du carbone » et entend donc mettre en relation acheteur et vendeur de crédits carbone pour développer en local « des zones de neutralité carbone ». Évidemment, cela passe par l’accompagnement des pratiques agricoles pour décarboner et stocker du carbone. Pour cela, la banque a embauché des « experts en transition énergétique ». Enfin, le Crédit Agricole cherche à innover avec son Village by CA qui héberge des starts-ups, telles que Wine Pilot.

RSE : Retour d’expérience de la cave de Buxy
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RSE : Retour d’expérience de la cave de Buxy

Le directeur, Rémi Marlin voit la RSE comme « une force collective qui bénéfice déjà à l’intérieur de l’entreprise », voyant ainsi viticulteurs et salariés « progresser » ensemble sur un projet et des valeurs partagés. « C’est une véritable boite à outils RSE », se sert-il pour former ou motiver tout le monde. La cave a rejoint l’association Vignerons en développement durable en 2011, quatre ans après la création de ce label RSE. Désormais renommé Vignerons Engagés, ce label est un « avantage pour communiquer avec une identification ». L’association de coopératives et domaines créée une « marque » répondant à la norme ISO26000, « audité par un tiers tous les 18 mois ». La dernière étude de notoriété réalisé par Sowine montre que « le travail paye sur la durée » avec une marque citée « spontanément par les consommateurs » dans cette catégorie labels durables. En bon directeur, c’est un indicateur qu’il suit comme le fait que d’une demande des marchés, « on est passé à une attente des consommateurs, surtout des moins de 35 ans, qui se manifestent par des actes d’achat avec une vraie valeur ». Une tendance qu’avait déjà observé le BIVB qui fait du « social listening », de la veille sur les réseaux sociaux. L’absence demain de label RSE pourrait donc être « un levier négatif », pour une entreprise comme pour une région viticole, concluait Manoel Bouchet.

 

Vinosphère se fait taper sur les doigts

Vinosphère se fait taper sur les doigts

Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés. Consultante en événementiel durable, Donatienne Lavoillotte-Munier sensibilisait les participant de ce Vinosphère à l’écoconception des événements vitivinicoles. Quoi de mieux donc que de regarder cette édition Vinosphère où sur sonsite web, « personne n’a posté d’annonce pour faire du covoiturage ou imaginer une navette depuis la gare », faisait-elle les gros yeux aux 200 présents à Beaune. Heureusement qu’elle n’avait pas regardé sur le parking, puisque certaines voitures devaient « avoir plus d’impact carbone ». Raté donc pour être RSE compatible cette édition.

Elle rassurait néanmoins, « l’événement totalement responsable n’existe pas mais il faut avoir une stratégie des petits pas », invitait-elle les vignerons à réfléchir à leurs portes-ouvertes, atelier oenotourisme ou encore lors de déplacement dans des salons. Elle présentait le label « éco-événement » qui note par exemple la « sobriété » côté ressources (moquette…), la restauration (produits locaux…), la gestion des déchets (bouteilles consignées…), les brochures, les carnets de dégustation sans date… Et ceci peut avoir des répercussions concrètes, comme en ce jour de Vinosphère, où « l’offre du traiteur n’est pas assez abouti ». L’histoire ne disant pas si les convives ont avalé de travers ou bien mangé après. Elle invitait néanmoins à télécharger la méthode et les documentations en ligne très complètes. « Sinon, il y a la norme internationale ISO 21121, qui est un système de management, que l’événement de la Coupe du monde de football au Qatar a obtenu… », ironisait-elle pour souligner les limites de toutes les méthodes. Elle évoquait la règle simple des 5R : refuser, réduire, réutiliser, recycler et rendre à la terre.

Et pour le 100 % en distanciel, afin d’éviter les transports ? Donatienne Lavoillotte rassurait les présents dans la salle. « La raison d’être d’un événement est aussi de se faire un réseau, et cela ne marche pas en visio », reconnaissait-elle. Les organisateurs sont prévenus, ils devront faire mieux l’an prochain, tout comme les présents désormais sensibilisés.