Elevage extensif
Une feuille de route pour que l’élevage dure

Sophie Chatenet
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Quel élevage à l’horizon 2040 ? En quoi les modèles du Massif central sont-ils par nature durables ? Les professionnels agricoles de seize départements entendent bâtir un projet structurant embrassant économie, agronomie, environnement, sociologie et territoire.

Une feuille de route pour que l’élevage dure
Christine Valentin et Patrick Bénézit, respectivement président du Sidam et de la Copamac, qui regroupent les organisations agricoles du grand Massif central.

À Saint-Nectaire, à l’épicentre de l’une des plus emblématiques appellations fromagères du Massif central, qui cultive depuis des décennies ce lien indissociable entre hommes, terroir, produit et territoire, les représentants agricoles du grand Massif central ont posé, jeudi 27 et vendredi 28 avril, les jalons de ce que pourront être demain les systèmes d’élevage durable. Tous les six ans depuis plus d’un demi-siècle, fidèles à leur stratégie d’anticipation, les agriculteurs ont choisi de tracer la voie, au nom d’un principe : agir plutôt que subir, et avec une légitimité incontestable celle de travailler quotidiennement au cœur de la plus grande prairie d’Europe. « Il est essentiel que nous bâtissions une stratégie solide comme nous avons su le faire par le passé, car d’autres pourraient en avoir pour nous », a indiqué Patrick Bénézit, éleveur dans le Cantal, président de la Copamac (Conférence des présidents des organisations agricoles du Massif-Central), en ouverture du séminaire, à laquelle la Saône-et-Loire est associée.

Agir plutôt que subir

En effet, de Paris à Bruxelles, les scenarii pour demain ne manquent pas, alimentés par des groupes de réflexion tels que Afterres 2050 ou encore des Organisations non gouvernementales (ONG). Souvent excessifs et binaires, maux qui rongent désormais nos sociétés dites modernes, les projets sur la table, tels qu’ils soient, méritent toutefois d’être examinés. Si tous ne parient pas sur la disparition pure et simple de l’élevage, certains distillent une petite musique inquiétante « qu’il convient aujourd’hui d’objectiver avec des indicateurs précis et chiffrés, car à trop attaquer l’élevage de ruminants, nous risquons de le payer très cher, à tout point de vue », a souligné Christine Valentin, éleveuse en Lozère, présidente du Sidam. « Certaines directives actuellement en cours d’examen à Bruxelles ne poursuivent qu’un but : affaiblir l’élevage. Directives IED (émissions industrielles), viande cellulaire…, c’est un rouleau compresseur… », a complété Patrick Bénézit, également président de la Fédération nationale bovine (FNB). D’où l’urgence à agir, proposer et convaincre, élus, consommateurs, citoyens du bien-fondé des systèmes d’élevages multiples.

Le constat à l’échelle de la France

Avec une décapitalisation sans précédent, qui s’est accélérée durant ces deux dernières années, l’élevage de bovins et ovins, laitiers et allaitants est à un tournant de son histoire. Si selon les espèces l’ampleur du phénomène diverge, en revanche, « nous sommes bien face à un mouvement de fond. À l’échelle de la France, certes les surfaces se contractent, mais sans commune mesure avec le recul des UGB, en viande bovine, de l’ordre de -8 %. Le niveau de chargement diminue, signe d’extensification de l’élevage depuis les dix dernières années. Et avec un taux d’1,12 UGB/ha, le Massif central creuse encore plus l’écart. Jusqu’à présent, l’augmentation de la productivité par vache laitière avait compensé le recul du nombre de vaches, mais nous atteignons un plafond de verre », a détaillé Bertrand Dumas, de la chambre régionale de Nouvelle-Aquitaine.

Qu’en est-il au niveau du Massif central ?

Plus de 46 % des exploitants sont âgés de 55 ans ou plus. « Nous sommes certes sur un territoire d’élevage, mais il y a un mouvement de végétalisation. On décroche sur toutes les orientations de production, les grandes cultures et l’horticulture-maraîchage, sont les deux seuls secteurs qui progressent. Dans l’Allier comme en Haute-Vienne, des zones plutôt allaitantes, ont basculé dans des systèmes polycultures ou polyculture élevage, et certains systèmes ont basculé en purs céréales. Cette tendance est à l’œuvre sur tous les départements périphériques », a poursuivi l’équipe du Sidam (Services interdépartementaux pour l’alimentation du Massif-Central).

Des systèmes durables, oui à condition d’être incarnés et rentables

Dans ce contexte, la première durabilité ne serait-elle pas de maintenir des éleveurs et leur cheptel sur les territoires, et cela passe d’abord, selon les responsables professionnels par : la rémunération, le projet de carrière, la qualité de vie au travail, la valorisation du métier, de manière à offrir un horizon attractif aux porteurs de projets. Point de durabilité non plus, sans autonomie, avec ici un enjeu majeur : l’autonomie commerciale des exploitations en renforçant la capacité de l’éleveur à choisir librement ses débouchés et à fixer ses prix. Sur le volet territoire, les élus estiment que les aménités positives de l’élevage méritent d’être davantage mis en avant avec des exploitations familiales et herbagères qui contribuent au dynamisme économique, social et culturel de leur territoire.

Changement climatique : en faire une opportunité

Des exploitations en marche pour s’adapter au changement climatique, dans le cadre des préconisations issues du projet AP3C notamment ; un élevage herbager, pleinement engagé dans la diminution de gaz à effet de serre, dans la prévention des risques…, dans la valorisation de la biodiversité et dans l’agronomie favorisant un sol fertile, structuré et vivant, des pratiques d’élevage respectueuses des besoins physiologiques et comportementaux des animaux au nom du lien puissant qui unit l’éleveur à ses animaux… C’est l’horizon tracé pour 2040 par les organisations du Massif central, au-delà des deux fondamentaux que sont l’économie et les hommes, pour donner de l’avenir à l’élevage. Ces priorités pourraient être étayées d’ici la fin de l’année.

Grand Témoin : Dacian Ciolos : « Vous avez entre les mains un modèle d’avenir »
Dacian Ciolos a participé au débat en visio depuis Bruxelles.

Grand Témoin : Dacian Ciolos : « Vous avez entre les mains un modèle d’avenir »

Député européen, ancien Commissaire européen à l’agriculture, ancien premier Ministre et ex-ministre de l’Agriculture roumain, Dacian Ciolos est intervenu lors du séminaire de la Copamac-Sidam avec un message d’espoir.

Quel regard portez-vous sur le secteur de l’élevage ?

Dacian Ciolos : A mon sens, le système d’élevage du Massif central est un modèle d’avenir. Je ne vois pas comment l’Europe pourrait se passer de l’élevage, car il contribue à l’harmonie des territoires, à la fertilité des sols, à l’économie… Un modèle à haute valeur environnementale devrait pouvoir résister. On aura plus de mal à faire de l’élevage hors-sol à l’avenir, mais je ne vois pas comment on peut se passer de l’élevage à l’herbe. Tout cela sans compter que la viande de laboratoire pose des questions éthiques et environnementales fondamentales.

L’enjeu de souveraineté alimentaire peut-il selon vous changer le tempo de l’agenda environnemental de l’Europe ?

D.C. : Il existe un manque de cohérence manifeste entre les différentes politiques européennes. Ce défaut de transversalité a des conséquences dramatiques. Je suis persuadée que le défi de l’autonomie alimentaire peut rebattre les cartes des priorités européennes. De manière plus générale, le Green Deal n’a aucune chance de réussir, si à terme, on n'embarque pas avec nous l’Asie, les États-Unis, l’Amérique Latine.

Comment convaincre du bien-fondé des allégations autour de l’élevage ?

D.C. : Mon objectif n’est pas de dire aux éleveurs ce qu’ils doivent faire. C’est à eux de tracer la voix en se posant les bonnes questions et en plaçant l’élevage dans un enjeu plus large. Même la société ne sait plus dans quel(s) sens elle va aujourd’hui. Il y a eu beaucoup d’interrogations, beaucoup de changements ces dernières années… Cibler le milieu politique ne suffit plus, maintenant, il est plus important de renouer le contact avec la société, les consommateurs, les citoyens. La crédibilité des élus dans la société a profondément reculé. Le comportement du monde politique a changé dans une logique court-termiste des sujets forcément en décalage avec le temps long de l’agriculture. Quand vous allez parler de votre métier d’agriculteur, vous allez parler d’alimentation, mais aussi d’environnement, de biodiversité… Le monde agricole fort de son expérience de terrain est plus que jamais légitime pour aborder ces questions-là.

Recueillis par S.Chatenet