Les agriculteurs engagés dans des projets de méthanisation voient dans cette diversification de nombreux atouts : agronomiques, économiques, environnementaux… mais plaident pour une sécurisation de cette filière par des contrats d’approvisionnement et des tarifs de rachat.

Des atouts à faire valoir
Les méthaniseurs se sont beaucoup développés dans le grand Est, non sans poser quelques questions aux riverains et aux associations de protection de l’environnement.

Olivier Rietmann, sénateur et membre de la mission d’information sur la place de la méthanisation dans le mix énergétique français (enjeux et impacts), a rencontré dans ce cadre les agriculteurs haut-saônois concernés, le 21 mai dernier à Vantoux et Longevelle. Ils étaient une vingtaine, réunis au Gaec Chausse-Bardet, une exploitation équipée d’une installation de méthanisation en cogénération en service depuis décembre 2019. L’élu, qui a géré une exploitation agricole et appréhende bien les réalités du monde agricole, pose d’emblée le contexte de la mission parlementaire à laquelle il participe. « Notre rapport sortira en septembre prochain… c’est un sujet relativement récent, mais qui évolue très vite : au niveau national, on a 800 dossiers en cours d’instruction actuellement, avec en arrière-plan l’objectif ambitieux, dans le cadre de la transition agroécologique, d’arriver à produire 10 % de notre consommation nationale de gaz… En Haute-Saône, on y sera dès 2023 mais je ne vous cache pas que la commission sénatoriale à laquelle je participe a été créée à l’initiative du groupe écologiste (Europe écologie les Verts), qui n’est pas très favorable à la méthanisation. Cela dit, nous avons un président, Pierre Cuypers, qui est lui-même agriculteur, et notre rôle est de proposer des mesures concrètes, des préconisations qui pourront être mises en pratique, pour un développement vertueux de la filière au sein du mix énergétique. »

Diversité de projets

Le panel d’agriculteurs ayant répondu à l’invitation du sénateur illustre la diversité des projets : en cours de montage ou en fonctionnement depuis longtemps, collectif ou adossé à une seule exploitation, alimenté essentiellement par des déjections ou valorisant d’autres ressources, tourné vers la cogénération (production de chaleur et d’électricité) ou l’injection de gaz…
Le tour de table fait aussi émerger des préoccupations communes. « On aimerait avoir un cadre réglementaire pour favoriser les synergies locales entre agriculteurs : entre ceux qui ont une unité de méthanisation et ceux qui voudraient apporter leurs déjections animales », avance Emmanuel Aebischer, le président de la FDSEA 70. « Pour l’instant, ce sont des pratiques tolérées mais qui n’ont pas de cadre légal. Or, avec la révision de la directive nitrate et l’extension possible de la zone vulnérable, la question de la mise aux normes d’exploitations d’élevage vont se poser dans de nombreuses communes : augmenter la capacité de stockage des déjections de quatre à sept mois, c’est un investissement improductif, du béton qui ne rapporte rien. On pourrait envisager des coopérations entre les agriculteurs concernés et des méthaniseurs. Pour l’instant, il n’y a pas de cadre légal, c’est simplement toléré ». Les participants approuvent : l’encadrement juridique d’une contractualisation entre apporteurs de déjections et propriétaires de méthaniseurs, avec contreparties sous forme de digestat par exemple et traduction « automatique » dans le plan d’épandage des exploitations concernées, serait bienvenu. Avec en arrière-plan, une normalisation des produits, apports comme digestats…
Autre sujet de préoccupation, la complexification croissante des montages de dossiers… comme en témoigne justement Michel Daguenet de la SAS Biométha du pays de Lure, aux prises avec les différentes autorisations administratives nécessaires. « Le niveau d’exigence ne cesse d’augmenter : dans notre cas, on a dû produire une étude des flux de matière et de leurs répercussions sur le trafic routier. Quand on passe par un bureau d’étude, ça chiffre très vite alors qu’on est encore bien loin de produire le premier mètre cube de méthane ! »

Simplifier les démarches

Parmi les participants, les avis vont dans le même sens : même une extension de capacité pour un méthaniseur existant prend des allures de parcours du combattant (enquête publique, étude d’impact, etc.).  Pourtant, les avantages de la méthanisation agricole sont convaincants, comme en témoignent les plus expérimentés. « En termes d’efficacité pour la fertilisation, y’a pas photo ! Par rapport à du fumier, du lisier… tous ceux qui ont essayé le digestat ne reviendront pas en arrière », assure Michaël Muhlematter, agriculteur-méthaniseur en Gaec à Mollans. Le processus de méthanisation, d’ailleurs, s’effectue naturellement dans les fosses à lisier et les tas de fumier. La seule différence avec les installations de méthanisation, c’est que le process est rationalisé, en conditions contrôlées, et surtout, que les émissions gazeuses sont récupérées ! Cette industrialisation d’un phénomène biologique naturel va dans le sens d’une meilleure efficience qui plaide en sa faveur sur le volet environnemental, comme n’ont pas manqué de le souligner plusieurs participants. Le volet économique n’est pas à négliger non plus, car la vente d’énergie, sous forme d’électricité ou de biogaz, génère des revenus qui confortent les exploitations et, dans un environnement caractérisé par la volatilité des cours des matières premières et des productions agricoles, sécurise le revenu des exploitants.

Des risques de dérives

Pour autant, les échanges entre les agriculteurs et le sénateur ne sont pas restés dans la sphère du « monde des bisounours ». « Tout le monde a nécessairement en tête les dérives du modèle allemand », a laconiquement lancé le sénateur. Un modèle allemand où l’abandon du nucléaire s’est traduit par des subventions massives à la diversification énergétique. Par effet d’aubaine, nombre de petites exploitations agricoles du sud de l’Allemagne se sont spécialisées dans la production de méthane, en s’appuyant… sur la monoculture de maïs, labouré, désherbé chimiquement, fertilisé à l’ammonitrate. Un contrexemple qui résume bien la complexité des enjeux qui traversent la question de la méthanisation, à la croisée de l’énergie, des enjeux climatiques et de l’agriculture.
Si l’argument des « plantes dédiées » et du risque de détournement de surfaces agricoles vers des usages non-alimentaires peut être facilement contrecarré (à la lumière de la sole de colza ou de chanvre), d’autres sujets méritent d’être approfondis. Comme la question de l’adéquation de la répartition des unités de méthanisation sur un territoire, qu’on le considère comme un bassin de déjection méthanisable, zone d’épandage… ou bassin de consommation. La concurrence entre unités de méthanisation voisines, pour les ressources (déjections, cultures énergétiques ou déchets industriels), ou les surfaces susceptibles de recevoir du digestat peut créer des tensions… et susciter des pratiques aberrantes, difficiles à justifier vis-à-vis des consommateurs et des citoyens. La perturbation du trafic routier et la dégradation des chaussées utilisées par les engins agricoles pour convoyer déjections et digestat ont déjà été portées à l’attention de la commission sénatoriale.
Autre sujet d’inquiétude abordé par les agriculteurs, la visibilité indispensable pour établir des modèles économiquement robustes : « est-ce que les tarifs de rachat de l’énergie ne vont pas être modifiés unilatéralement ? » s’inquiète un des participants à la rencontre. La révision des tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque, en 2020, a créé un fâcheux précédent….
Alexandre Coronel

La filière agricole en tête
Le sénateur Olivier Rietmann (sous le parapluie) a rencontré les agriculteurs méthaniseurs dans le cadre de sa mission d’enquête sur le sujet.

La filière agricole en tête

D’après l’Ademe, au 1er janvier 2020, il y avait 809 unités de méthanisation en France. La majorité des installations, soit 532, produisaient de l’électricité par cogénération, 153 valorisaient la chaleur seule, 93 injectaient du biogaz dans le réseau de gaz. Les unités de méthanisation agricole étaient les plus nombreuses en France : 531 unités pour un total de 809, soit 65 %. Les autres filières de méthanisation étaient les installations de stockage des déchets non dangereux (ISDND), 13 % des unités, les stations d’épuration (Step), 9 % des unités, etc.