Sylviculture
Comment les forêts du territoire réagissent face au changement climatique ?

Florence Bouville
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Les forêts françaises ne sont pas toutes impactées de la même manière par le dérèglement climatique. Cela dépend des essences présentes, de l’altitude, de la richesse de la station etc. Pourtant, il est aujourd’hui difficile de se promener en forêt sans être témoin du dépérissement de certains peuplements. La Saône-et-Loire, loin d’être la première victime, n’est, cependant, pas épargnée.

Comment les forêts du territoire réagissent face au changement climatique ?
Les Douglas sont attaqués par les scolytes du sapin, causant leur rougissement.

Mathieu Mirabel, responsable du pôle Bourgogne-Franche-Comté au Département de la santé des forêts (DSF) et Romain Lachèze, technicien de secteur au Centre national de la propriété forestière (CNPF) et correspondant observateur au DSF, nous ont dressés un bilan à deux voix de la situation actuelle en Saône-et-Loire.

Depuis 2018, les épisodes de sécheresse et de canicule sont devenus particulièrement extrêmes, affaiblissant directement les essences forestières (feuillus et résineux). Ces conditions météorologiques favorisent également le développement de parasites, tels que les scolytes, qui se reproduisent plus rapidement et plus fréquemment. Jusqu’à présent, les secteurs les plus touchés se situent dans les Vosges, le Jura et le Doubs.

Limites physiologiques

L’histoire des forêts françaises fait que des "erreurs" ont été commises, dans la mesure où des essences ont été plantées en dehors de leur optimum écologique. C’est notamment le cas de l’épicéa et du sapin, dont la physiologie n’est pas adaptée aux zones de plaine. Phénomène encore plus inquiétant, du fait de la chaleur et du stress hydrique récurrent, d’autres essences commencent à montrer des signes de souffrance, marqueur désormais d’une mauvaise répartition géographique. Les conséquences du changement climatique viennent donc largement aggraver la santé des forêts.

En Saône-et-Loire, le Douglas constitue l’essence résineuse majoritaire. Cette dernière provient d’Amérique du Nord et est, a priori, mieux adaptée aux conditions locales. En volume ainsi qu’en surface, le territoire compte très peu d’épicéas. Même constat pour les sapins pectinés.

Les scolytes du sapin s’attaquent aux Douglas

Difficile, depuis quelques années, de passer à côté de cette triste actualité : la crise sanitaire des scolytes. Crise ayant déjà dévasté une grande partie des forêts du Nord-Est de la France (20 millions de m³ d'épicéas scolytés fin 2022). Le scolyte est un parasite coléoptère capable de creuser des galeries sous l’écorce des arbres (dans le cambium), finissant par couper la circulation de la sève et conduisant à la mort prématurée des peuplements. Les attaques ont une forme cyclique et les forestiers sont très attentifs au délai de retour à la normale après chaque crise.

L’épidémie de scolytes s’étend aujourd’hui de la moitié Nord jusqu’à la région Auvergne-Rhône-Alpes. Même si elle touche plus particulièrement les pessières (peuplements d’épicéas), il existe plusieurs types de scolytes capables de coloniser d’autres résineux. Différents du typographe, les scolytes dit du sapin (curvidenté, spinidenté…) ont une taille deux fois plus petite et ne produisent presque pas de sciure sur le tronc de l’arbre contaminé. « Ces parasites de faiblesse ont basculé sur les Douglas », explique Mathieu. Ils parviennent désormais à réaliser leur cycle complet de développement. En effet, les Douglas infectés peuvent souffrir, en amont, de nécroses cambiales, conséquence supposée de l’augmentation des températures et du manque d’eau. Ce phénomène se développe aussi bien sur des jeunes peuplements que des arbres adultes et est présent quel que soit le type de sol. En général, les nécroses se révèlent visuellement plusieurs années après le début de l’atteinte. Vous l’aurez compris, quelle que soit la cause du dépérissement, elle est très difficile à détecter. D’autant plus que les scolytes ont une capacité de vol de trois à cinq kilomètres. Même si les « mortalités sont disséminées […] localement, on peut atteindre 20 à 30 % de mortalités cumulées », précise Mathieu, dans les secteurs du Clunisois et du Morvan. « On suit de près cette dynamique », ajoute-t-il. Les secteurs de plaine sont partout les plus touchés. « On estime qu’en dessous de 600 m, les Douglas sont atteints de dépérissement, c’est le cas à moins de 800 m pour les sapins », explique Romain.

Autre enjeu majeur, savoir quand et comment valoriser les essences scolytées. Plusieurs études menées sur la caractérisation des arbres contaminés permettent de cartographier l’état sanitaire des forêts. Malheureusement, il n’existe pas de traitement miracle. Il n’y a, en réalité, aucun moyen de traiter les bois atteints. Il faut les abattre (coupes d’urgence) et les évacuer. L’endiguement de la prolifération demeure donc très complexe.

« Les bois blancs (sapins et épicéas) ne se conservent pas longtemps, leurs usages sont très limités, ce qui représente une perte importante pour le propriétaire », souligne Romain. C’est aussi pour cette raison qu’un suivi de terrain est essentiel, afin de conserver au mieux la valeur marchande des hectares.

Enfin, bonne nouvelle pour les feuillus du département. Les forestiers sont les premiers surpris ; les peuplements de chêne et de hêtre sont stables, depuis le début du printemps. Espérons que cela continue.

Durant Euroforest, les membres du CNPF et du DSF consacreront chaque jour une heure, aux discussions sur les effets du changement climatique ainsi que sur l’utilisation des principaux outils de diagnostic.

Que replanter ?

Après avoir procédé à des coupes sanitaires de grande envergure, se pose nécessairement la question du reboisement et du choix des essences. Depuis quelques années, les projets de reboisements avec des nouvelles essences portés par des propriétaires forestiers privés augmentent nettement. Ces plantations sont d’autant plus importantes que les mécanismes d’adaptation naturelle sont en moyenne dix fois trop lents (source ONF). On parle alors de "migration assistée".

« Le maître mot reste la diversification », déclare Mathieu. Au sud du département ainsi que dans le Morvan, la tendance, hormis les Douglas, porte sur la plantation de cèdres de l’atlas. Quelques surfaces sont également reboisées en pins maritimes ou en pins laricio de Corse. Au sein du réseau expérimental du CNPF, les techniciens travaillent sur le mélange d’essences, en comparaison avec le comportement du Douglas. Seulement, on ne connaîtra pas de résultats significatifs avant, au minimum, dix à vingt ans. En plus de la diversification, on note l’évolution des techniques de reboisement. Par exemple, la réalisation de potets travaillés à la mini-pelle. Cette pratique vise à faciliter la reprise des plants et le développement du système racinaire, tout en limitant la végétation concurrente. La future zone d’accueil du plant subit alors un décompactage et les rémanents d’exploitation (branches) sont volontairement laissés sur le sol, pour former un "paillage", qui viendra enrichir progressivement le sol en se décomposant.

Légitimement, tous les acteurs de la filière cherchent à gérer les forêts de manière durable. Face à ce défi, l’ONF a introduit la notion de "forêt mosaïque". Ce concept illustre, de manière didactique, l’équilibre à atteindre entre les différentes fonctions d’une forêt : la protection de l’environnement (services écosystémiques), la production, le lien social et patrimonial… Sans même parler de durabilité, le terme "gestion" est donc loin d’être anodin.

Des outils d'aide à la décision

Divers outils numériques ont été développés par les organismes en charge des forêts françaises (publiques et privées), afin de faciliter les diagnostics de reboisement. Par exemple, l’application BioClimSol du CNPF est disponible sur tablette. Elle se base sur la position GPS du technicien. Après avoir sondé le sol (profondeur, capacité de réserve d’eau…) et pris en compte les données climatiques locales (température, pluviométrie), une liste des essences adaptées au climat actuel et futur est générée. Autre exemple, issu du travail de l’ONF, l’application ClimEssences. Elle donne accès à des cartes interactives permettant de visualiser les incidences de l’évolution du climat sur la répartition géographique des essences (150 recensées).