Alors que l'agriculture s'engage dans des trajectoires de réduction de ses émissions de CO2, le sol représente un levier important, via ses capacités de stockage.
Pour cerner les leviers d'action de l'agriculture pour la captation du carbone, il faut déjà comprendre la relation entre sol et carbone, comme le rappelle Sylvain Rullier, ingénieur agronome à l'Ademe, spécialisé sols, agriculture et climat. « À travers la photosynthèse, les végétaux captent le carbone atmosphérique et le séquestre dans le sol. En se dégradant, grâce à l'action d'un écosystème animal, bactérien et fongique, les végétaux deviennent matière organique et stockent du carbone dans les sols. Toutefois, il s'agit d'un cycle. Ainsi, la matière organique finit par être complètement dégradée jusqu'à être minéralisée et le CO2 finit ainsi par être relâché dans l'atmosphère ». Tout est donc question d'équilibre et de flux. « Il faut entretenir les apports en matière organique pour compenser le CO2 relâché dans l'atmosphère. Or, ces dernières décennies, il y a eu une tendance à la dégradation des sols. La minéralisation dépasse les apports en matière organique. Il s'agit de remettre en état ces sols dégradés pour rééquilibrer les flux et se rapprocher de l'équilibre qui se produit dans une situation naturelle. En soi, les sols ne sont toutefois pas des puits de carbone infinis. »
Prairies et grandes cultures
La France a initié lors de la COP21, en décembre 2015, une initiative mondiale appelée « 4 pour 1000 » visant à lancer des actions concrètes sur le stockage de carbone dans les sols et définir les pratiques pour y parvenir. Avec l’objectif d’atteindre un taux de croissance annuel du stock mondial de carbone des sols de 4 pour 1000, qui permettrait d'absorber et de stocker l'équivalent des émissions anthropiques annuelles de CO2, soit 75 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais concrètement, comment faire ?
« Il n'y a pas de solution miracle ou de plante miracle », répond Adrien Raballand, responsable activité conseil bovin chez Adice Conseil élevage. Dans une étude livrée en juin 2019, l'Inrae s'intéresse tout particulièrement aux prairies et aux grandes cultures et cultures pérennes, pour leur capacité de stockage supplémentaire de carbone. En prairie, « l'idée est de trouver le bon mélange, adapté au contexte bioclimatique et qui soit durable, car la durée de vie de la prairie est primordiale. En dessous de 4 ans, une prairie n'arrive pas à stocker suffisamment de carbone », précise-t-il. Et le bilan dépend également de la façon dont on va détruire la prairie. « Si on détruit seulement en surface, sans labourer, on peut se permettre de raccourcir un peu la durée de vie de la prairie. Dans un objectif de prairie permanente ou longue durée, les mélanges avec une forte teneur en dactyle et fétuque sont intéressants. Ils vont mettre du temps à s'installer et sont moins appétant que d'autres mélanges. Mais ils résistent bien aux sécheresses et sont durables. Or, plus un système de prairie dure, plus il a de capacité à stocker du carbone. » « En grandes cultures, la capacité de stockage dépend surtout du travail des sols et des rotations. Il s'agira de travailler le moins profondément et régulièrement possible. En intégrant des intercultures, on peut arriver à un bilan stable voire légèrement favorable au bout de 10 ans », estime Adrien Raballand. « Augmenter les couverts intermédiaires et éviter les périodes où les sols sont nus apporte beaucoup de matière organique », explique Sylvain Rullier. On peut également, dans la rotation des cultures, allonger la durée des prairies. En viticulture, on peut aussi favoriser l'enherbement. Toutes ces pratiques ont un effet stockant avéré, qui peut aller de plusieurs centaines de kg jusqu'à plusieurs tonnes de CO2 par hectare et par an. En revanche, l'Inrae affirme bien qu'il faudra les maintenir sur plus de 30 ans pour que le stockage soit efficace. « La restauration est malheureusement plus longue que la dégradation d'un sol. »