3e Rencontres Inoviti
Le biocontrôle impose davantage de précision
Le 5 décembre à Prissé se tenait la troisième édition des Rencontres Inoviti, visant à « créer des liens » entre viticulteurs, l’institut de recherche Agronov à Dijon et le Vinipôle Sud Bourgogne à Davayé pour parler des « transitions » vers l’avenir de manière concrète. Pas qu’environnementale, mais bien économique et sociale, à l’image de la coopérative engagée des Vignerons des Terres Secrètes. Startups ou constructeurs innovants proposaient plein de solutions et ouvrant de nombreuses perspectives.
En effet, comme nombre de viticulteurs, les Vignerons des Terres Secrètes sont toujours plus engagés vers les trois piliers de la RSE : environnemental, économique et social. Le label Vignerons Engagés étant parlant. De nombreux coopérateurs s’investissent dans des groupes de travail, pilotés par Émeline Favre, en charge du développement durable comme le veut la dénomination. La chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire et le Vinipôle Sud Bourgogne accompagnent aussi la cave. Son directeur, Benjamin Alban rappelait les cinq axes de recherche définis pour accompagner tous les viticulteurs de Saône-et-Loire, et au-delà, sur le changement climatique, le matériel végétal, l’agroécologie, la viticulture de précision et la robotique numérique. Le président d’Agronov et directeur général d’Artemis au sein de l’Alliance BFC, Frédéric Imbert élargissait ses recherches et partenariats au-delà de la seule vitiviniculture, aux « secteurs des grandes cultures et de l’élevage » « en complémentarité avec toutes les chambres d’Agriculture pour travailler au transfert de l’innovation » et transposer « les solutions » sur le terrain. Ainsi, « la région BFC a sa place dans le paysage national et la viticulture est un peu en avance sur l’innovation » nationale, se félicitait-il. Il n’y avait donc plus qu’à remercier la quinzaine d’exposants, ce que faisait la directrice, Liselore Martin en donnant la parole au Crédit Mutuel, sponsor du jour. Pour rappel, trois entreprises sur les dix retenus par Agronov dans le cadre d’un dossier sur les entreprises innovantes ont été reconnues et soutenues au national, « permettant d’adapter les solutions aux spécificités de l’agriculture régionale ».
D’ailleurs, à cette occasion, Christophe Blanc, directeur adjoint de la Draaf BFC, remettait à Marc Sangoy, président de la cave de Lugny, le grand prix de la démarche collective pour son GIEE Biodi’Vigne qui a inventorié la faune et la flore, ainsi que le patrimoine bâti de son territoire (voir vidéo du 29 novembre sur la chaîne YouTube du BIVB). Une « triple performance » saluée par la remise d’un nouveau chèque (500 €) d’encouragement du Crédit Agricole Centre Est, qui avait déjà remis 2.000 € à ce projet lors du Salon de l’Agriculture à Paris 2024. « Je suis très fier du travail agroécologique fait par nos vignerons depuis de longues années, qui doit tous nous inspirer », au-delà des 300 adhérents de la coopérative, encourageait Marc Sangoy.
La centaine de participants se répartissait ensuite autour des exposants et pour des rencontres qualifiées, rassemblant techniciens, conseillers, viticulteurs, centre de formation et de recherche, entreprises…
Le biocontrôle en 2024
Après un déjeuner au milieu de la cave à fûts, tout le monde se rassemblait dans la salle de conférences autour d’une thématique d’avenir, mais ô combien d’actualité, « en année à fortes pressions maladies : quels enjeux autour de l’utilisation des produits de biocontrôle et la pulvérisation de précision ? » Le second étant même un préalable au premier, selon Benjamin Alban, pour réussir à bien protéger efficacement ses vignes, réduire les phytos les plus à risque et faire des économies d’argent. Le tout allant dans le sens sociétal et d’Écophyto.
Mais, déjà, le biocontrôle, qu’est-ce que c’est ? Quels axes de recherche ? Marielle Adrian, directrice de l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin (IUVV), donnait d’emblée la définition du biocontrôle, comme un « ensemble de techniques de protection des plantes qui font appel à des agents et produits utilisant des mécanismes naturels, qui présentent des risques limités pour la santé humaine et l’environnement ». Incluant quatre grandes catégories : les macro-organismes utiles aux végétaux : insectes, acariens, nématodes… ; Les micro-organismes (bactéries, virus, champignons) ; Les médiateurs chimiques (dont les phéromones) et les substances naturelles d’origine minérale, animale ou végétale. Outre des différences évidentes avec les produits chimiques de synthèse, Marielle Adrian soulignait que la liste des produits de biocontrôle « diffère des produits autorisés en AB. Le cuivre n’est pas classé biocontrôle mais en AB (et conventionnel) et inversement pour les phosphonates ».
Une liste a été établie et diffère de celle autorisée en Bio. Le cuivre n’est pas dans les biocontrôles et inversement pour les phosphonates par exemple. Des listes de produits de biocontrôle contre le mildiou/oïdium sont mises à jour sur le site du Vinopôle de Bordeaux, en attendant des produits efficaces contre le blackrot.
Quelle efficacité ?
C’est d’ailleurs la grande question de leur efficacité qui était ensuite au cœur des débats. Et même de « sécuriser l’efficacité » de ces produits, qui comme les autres, n’agissent pas pareil selon les conditions climatiques par exemple. Car, « il y a des années encourageantes et après, des années catastrophes » et la recherche continue d’avancer pour mieux stimuler les défenses naturelles des plantes (SDP) et spécifiquement de la vigne. En laboratoire ou sous-serre, les résultats sont probants, mais il y a encore « des déconvenues lorsqu’on passe au vignoble ». C’est là où les chercheurs font appel aux techniciens menant des expériences dans de vraies conditions, que ce soit chez nous, au Vinipôle, que ce soit des sociétés partenaires telle l’entreprise Lallemand ou encore des viticulteurs qui « font des retours terrain ». Les produits de biocontrôles rencontrent en effet la même problématique que les produits de contact, « vite lessivés et quand les pluies sont récurrentes, ce n’est pas toujours possible de rentrer dans la parcelle ». La campagne 2024 était à ce sujet l’année des « records » malheureux en la matière, avec « des vignes complètement grillées par le mildiou » à Bordeaux comme ailleurs. Quoi qu’il en soit, le biocontrôle est « un levier parmi d’autres et il ne faut pas l’envisager comme l’unique mais bien le combiner avec d’autres », conseillait Marielle Adrian.
De gentils champignons
Ancien technicien vigne en Saône-et-Loire, Yannick Flagel travaille désormais chez Lallemand, « multinationale familiale » spécialiste des levures, pour la boulangerie mais aussi pour la vigne. Au sein de son unité « plant care », il voit arriver également des champignons dans son catalogue pour la vigne. « C’est la souche qui va faire l’efficacité », met-il en garde. Ces « gentils » champignons ont alors différents modes d’action : occuper l’espace en émettant des mycéliums très denses pour empêcher les autres champignons (mildiou/oïdium) de se développer et faire concurrence pour les ressources nutritives des autres champignons. Depuis 15 ans, la technique est éprouvée en maraîchage : « vous en avez déjà mangé sur des fraises ou des tomates », souriait-il aux anxieux. L’intérêt en vigne est que cette souche de champignon vient se fixer à la vigne « en une heure et va mettre six heures ensuite pour se développer dans des conditions humides, dès 10 °C jusqu’à 35 °C ». Il peut donc s’utiliser en complément ou à l’inverse des autres produits chimique de contact ou systémique non recommandés en temps de pluie. S’il est associé d’ailleurs à un traitement soufre, en condition humide, l’efficacité est meilleure.
Adapter la pulvé à l’hétérogénéité
Ce qui ramène encore et toujours à la qualité de la pulvérisation quel que soit le produit. Responsable des essais au Vinipôle, Florent Bidaut revenait donc sur tout l’intérêt de la pulvérisation de précision. « Si l’efficacité d’un biocontrôle n’est pas aussi évidente qu’un produit conventionnel alors la pulvérisation doit être la plus précise possible », lui qui voit poindre des innovations dans les dix ans à venir. Si le postulat de départ est toujours d’apporter la bonne dose, au bon moment, au bon endroit, le premier point va s’améliorer « en limitant les intrants là où il n’y en a pas vraiment besoin et pas là, où il y en a vraiment besoin ». Car chaque parcelle recèle une variabilité d’un pied à l’autre ou d’un bout à l’autre de l’îlot : différences de vigueurs, de stades, de porte-greffes, pousses plus précoces… voire même des cépages différents ou d’âges différents à l’intérieur de l’îlot. Il projetait à l’écran une cartographie de la parcelle d’essai Saint-Pierre à Lugny, où les données après traitement par un algorithme, affichaient des différences « alors que notre pulvérisation est à volume constant ».
Modulation du débit à la buse
Constant mais peut-être pas optimisé avant même l’entrée dans la parcelle… Pourquoi ? Son collègue, Hugo Adellon rappelait qu’à l’échelle des exploitations, quel que soit le type de pulvé, la préparation du produit, l’entretien du pulvé et ses réglages font déjà partie de la viticulture de précision au jour d’aujourd’hui. Et de petits rajouts pourraient vite faire des économies comme en coupant les vannes, ne serait-ce que dans les tournières. « Les DPA ou DPAE, faisant varier le débit à une valeur consigne ou en fonction de la vitesse, ne sont pas trop mal en théorie mais si le débitmètre est bouché, on est largement au-dessus sans le savoir. Et il peut y avoir des délais de coupure, de 10-15 mètres donc raté la zone à moduler si elle fait moins », notait Florent Bidaut.
Évidemment, réduire la dérive passe aussi par un face par face dans le rang. « Mais même avec le plus cher ou le meilleur pulvé du monde, il faut bien nettoyer à la fin de chaque traitement car on voit souvent des buses bouchées ». Des prototypes arrivent bientôt en série pour moduler le débit à la buse, ou avec ouverture/fermeture à la buse, permettant déjà de réduire en fonction de la hauteur de la végétation pour ne pulvériser que sur la végétation ciblée.
Reste l’essentiel pour Damien Gueugneaud, d’Innovitis et prestataire pour de nombreux vignerons. « Même si on a les prévisions météo, choisit le bon créneau… il faut vérifier sur le terrain ». Coopérateur à Prissé, Adrien Martinot confirmait en tant que viticulteur, en AB, « on est les premiers utilisateurs, il y a un coût et on passe pour être le plus efficace autour des moments clés. Il ne faut pas gaspiller et être le plus précis possible ».