Gourous et bullshit
Réconcilier croyances et sciences avec le "caca de taureau" !

Cédric Michelin
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C’est une drôle d’expérience en sciences sociales qui vient finalement réconcilier adeptes des sciences dures (ou fondamentales : mathématique, physique, agronomie…) et croyants de toutes sortes. Leur point commun : stimuler l’intelligence humaine par différentes voies.

Réconcilier croyances et sciences avec le "caca de taureau" !

Qu’ont en commun Kim Kardashian et le Dalaï Lama ? A priori, rien, bien au contraire, entre une influenceuse connue plus pour ses frasques et à l’inverse le Dalaï-Lama, Prix Nobel de la paix dans le monde. Pourtant, ils seront tous deux certainement contents de savoir qu’ils ont fait l'objet d'une étude très sérieuse.
Des chercheurs en sciences sociales, de management plus précisément, ont voulu mesurer le rôle du « bullshit management », soit en américain, l’art de la foutaise, du pipeau, voire de la bêtise ou pire de la connerie dans les entreprises. Et plus largement dans la société, à l’ère des Fake news, des faits alternatifs selon l’expression de Trump, l’influence de discours qui ne tiennent pas compte de la réalité, en toute indifférence. Soit une différence avec un mensonge car le menteur, lui, se soucie de la vérité pour la nier.
Dans son livre (On Bullshit ; de l’art de dire des conneries), pour le philosophe Américain, Harry G. Frankfurt, le « bullshit » - littéralement "caca de taureau" si on pouvait le traduire – « ne produit que du verbiage, dont le sens où la vérité n’ont au fond pas importance ». Des exemples sont faciles à trouver dans nos vies quotidiennes. Si vous tendez l’oreille, vous entendrez rapidement beaucoup d’experts en la matière dans les médias nationaux.

Pseudo-profondeur

Harry Frankfurt attire l’attention et la vigilance de tous, sur ce qu’il classe comme « bullshit pseudo-profond », venant notamment des phrases de nombreux « gourous », autoproclamés ou non, dans tous les secteurs. Ils ont en commun généralement de « prétendre révéler des vérités profondes », généralement en juxtaposant des mots « à la mode ». Une tendance qui s’accélère depuis la période « des pseudo-sciences New Age », date le philosophe, de ce « courant spirituel occidental » (et non oriental ou asiatique) médiatisé dans les années 1960.
Depuis, ces discours ont fait florès et ont conquis toutes les sphères, du sport (yoga…) au monde politique. Et même dans les entreprises donc avec en tête de pont, les multinationales aux PDG stars (Elon Musk, Steve Jobs…) et leurs discours de management "prophétiques" qui cachent souvent un exercice purement promotionnel et publicitaire.

Du discrédit au génie

Des chercheurs en sciences sociales ont donc repris un logiciel compilant ces mots à la mode pour générer en quelques clics des phrases de « bullshit ». Il en existe beaucoup en ligne qui pourront vous faire rire si vous ne les avez pas déjà entendus en réunions. Les chercheurs ne voulaient pas mesurer l’intelligence des « gourous » ou de ceux qui les écoutent mais ont cherché à comprendre comment le « bullshit » fonctionne, « eux-mêmes ne comprenant pas pourquoi ce genre de discours creux ne discrédite pas leur auteur immédiatement » ?
Ils partaient du constat que les propos sibyllins - obscurs, énigmatiques – d’un « gourou » sont généralement clivants avec des auditeurs qui en ont une perception positive et une autre moitié bien souvent négative. Face à des propos qu’on peine à comprendre, deux choix se posent en effet à nous : soit l’auteur n’a pas réussi à s’exprimer clairement (perception négative), soit l’auteur est vu comme un « génie », une « sommité » dans son domaine, auréolé de prestige, et alors l’auditeur croit que « sa pensée est fondamentalement trop profonde pour être exprimable de manière facilement accessible ». L’expérience a donc consisté à attribuer des phrases incompréhensibles (du genre, la nature est un système de conscience autorégulée…) à un panel représentatif de la société américaine, en attribuant la phrase soit au Dalaï-Lama, soit à Kim Kardashian.

Les résultats et conclusions ont surpris les scientifiques canado-israéliens. Comme attendu par l’hypothèse de départ de Dan Sperber (effet Gourou), lorsque la citation est attribuée à une personnalité peu réputée pour son expertise ou sa sagesse, les gens ne sont pas dupes. En revanche, lorsque la même pseudo-citation est attribuée à une personnalité réputée ou admirée, la phrase « semble plus profonde », pleine de sens cachés, voire inaccessibles.
Même si cela pose indéniablement plein de questions sur nos capacités de jugement, la conclusion des auteurs est tout autre. En observant les répondants, les scientifiques se sont aperçus qu’à l’écoute des « phrases de bullshit », dans le cas où elle est attribuée à un "gourou", les sujets d’étude prenaient plus de temps à réfléchir « lorsque les phrases étaient plus obscures que lorsqu’elles étaient compréhensibles ». Conclusion, « le bullshit nous pousse réellement à réfléchir à condition qu’il soit attribué à quelqu’un que nous jugeons digne de foi ! »
Si maintenant, on élargit cette expérience au monde agricole et viticole, gourous et autres solutions miracles, la vraie bonne nouvelle, c’est que dans tous les cas, la vraie solution vient de chacun d’entre nous, qui réfléchit intelligemment d’une autre manière que précédemment.