Communication et marketing digital
Le durable et l’innovation font-ils vendre ?

Cédric Michelin
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Après avoir vu la semaine dernière que les vins sont concurrencés par les bières, les spiritueux et les cocktails de toutes sortes, la Business school of Burgundy (BSB) Junior consulting s’est posée la question de la communication et des innovations en la matière à l’heure du monde numérique et digitalisé. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la culture millénaire des vins a perdu de son avance sur ce terrain. Mais ce n’est peut-être pas plus mal.

Le durable et l’innovation font-ils vendre ?

En deux anecdotes, la chercheuse en économie du vin, Magalie Dubois montrait la force et les risques, aussi puissant l’un que l’autre, à communiquer sur Internet. Et il n’est pas vrai que « n’importe quelle publicité est une bonne publicité », malgré les dires d’Andy Warhol. À l’heure d’Internet, les intermédiaires pour recontextualiser ne sont plus influents et la lecture se fait au premier degré. Premier constat de la chercheuse, à l’heure des moteurs de recherche web, « les consommateurs sont beaucoup plus informés » que d’antan. Ne serait-ce qu’avec une application telle que Vivino dont les utilisateurs scannent pas loin de 2,6 milliards d’étiquettes sur des bouteilles de vin en 2023. Son utilisation a néanmoins changé, son utilisation est beaucoup plus « passive » avec moins de commentaires. Une source de « data » pour les entreprises et leurs « business models » qui veulent comprendre ce qui intéresse ou ce que boivent réellement les consommateurs.

À l’inverse presque, la « puissance » des réseaux sociaux peut se retourner contre n’importe quelle marque. L’entreprise Budweiser et sa bière light faisant un partenariat avec une « influenceuse » transsexuelle a déplu à la communauté de Donald Trump. De nombreux Républicains appelant carrément au « boycott » de la marque qui a chuté de son rang de numéro un. « L’impact des réseaux sociaux est extrêmement fort, positif ou négatif », et ce durablement, puisque même neuf mois après, la polémique n’est toujours « pas passée » et l’entreprise a dû procéder à des licenciements, en raison de la baisse de ses ventes.

Alors comment faire du marketing à l’heure d’un Internet manichéen ? Pour que les gens « pensent à vous lors du moment de consommation » ? Les réseaux sociaux « offrent leur plateforme à toutes les marques qui se lancent », mais, tous les intervenants de la table ronde à Beaune en convenaient, il y a réellement « besoin d’un ancrage local » fort. Si les vins de Bourgogne ont toujours eu cette image associée aux terroirs, la consommation se délocalise de plus en plus en dehors, de France notamment avec plus d’une bouteille sur deux exportées.

Innovations horizontales et verticales

Nicolas Seyve, directeur de la brasserie Belenium à Beaune, ne va pas plaindre la filière viticole qui peut continuer à parler culture, patrimoine et terroir alors que la loi Evin ne lui donne « pas le droit de communiquer auprès des consommateurs ». Ce à quoi le directeur du BIVB ? Sylvain Naulin donnait une autre interprétation : « bizarrement, la loi Evin nous protège aussi des grands groupes de bières et de spiritueux qui ont des moyens colossaux », bien supérieurs au pourtant 6 millions d’euros de budget consacrés à la communication/promotion sur les vins de Bourgogne par le BIVB.

Alors, la filière bière ruse avec des applications telle que Untappd, « genre de chasse Pokemon pour les buveurs de bières qui se rapproche d’un Tripadvisor », qui joue sur la compétition (gamification) entre les membres de ce réseau social spécialisé.

Avec sa distillerie à Beaune, Mathieu Sabbagh cherche aussi des solutions pour « appâter les consommateurs avides de nouveautés » justement. À commencer donc par les distributeurs qui veulent conquérir ou garder leur part de marché. « Avec vos millésimes, vous avez des occasions de reparler de vos vins avec vos distributeurs. Nous, dans les spiritueux, on doit faire des éditions limitées pour tester les marchés avec des produits éphémères, qui ne marchent pas toujours, mais on doit innover toujours pour avec des relais presse ».

Magalie Dubois confirme, « les nouveaux consommateurs sont moins connaisseurs, mais plus explorateurs », donnant en exemple la tendance des vins vieillit dans des fûts de bourbon, car certains clients aiment le « goût du bourbon » et sont donc prêts alors à goûter des vins ayant ce type de caractéristiques organoleptiques même lointaines. N’allez pas croire que les vins ne suivent pas cette tendance avec de plus en plus de « vins natures ou vins de France qui sortent du cadre des appellations » sous AOC.

Question de durabilité ?

À l’heure de la prise de conscience du changement climatique ou de l’éco-anxiété, qu’en est-il des allégations « durables » ? Pour Mathieu Sabbagh, les spiritueux ne sentent pas trop concernés, « alors qu’on a tous besoin d’eau » pour produire. Les réseaux sociaux servent plus « à informer sur notre travail », avec la difficulté de ne pouvoir « mettre personne derrière la bouteille au contraire d’un vin ».

Nicolas Seyve relativise aussi cet argument. « C’est important » mais seulement 3 % des brasseries font des bières à partir de céréales et houblons bios. La France se démarque néanmoins avec 10 % des brasseries « alors que les coûts sont doublés ». Pour autant, tout n’est pas parfait avec une part importante des houblons bio provenant de Nouvelle-Zélande, faute de filière française. Dans sa brasserie Belenium, il ne cache pas être « en conventionnel, car mon objectif est d’être rentable », lui qui travaille avec des orges de brasserie bourguignons « maltés non loin » à Corberon. Lui préfère agir déjà sur sa sobriété, côtés effluents, consommation d’eau ou de son futur bâtiment qui sera « écoconçu ».

Mathieu Sabbagh rajoutait d’autres arguments « durables » puisque son réseau de cavistes et restaurateurs lui demande une « approche éco responsable » avec des spiritueux en Bib (bag in box) ou la possibilité de « reremplir les bouteilles ». Une option qui n’a pas plus aux cavistes au contraire des bars à cocktail qui ont vu là, une facilité pour faire des préparations de cocktail à l’avance, sans avoir à jeter des dizaines de bouteilles après chaque service. Le marché du Bio dans les spiritueux n’étant pas à l’ordre du jour, regrettait-il.

Alors la filière Bio en filière bière ou spiritueux est-elle une « mode passagère » ? « On ne change pas une filière du jour au lendemain » mais pour Magalie Dubois, la filière vin n’est pas dans la même dynamique que ses consœurs avec des ventes de vins AB doublées en l’espace de cinq ans et encore en hausse de +6 % l’an dernier, « tirées par la CHR… mais pas par la consommation à domicile », alertait l’enseignante-chercheuse à la BSB.