Eaux usées
Eaux usées : une solution face à la sécheresse ?

Les eaux usées peuvent être l’une des solutions pour irriguer les cultures. Pour autant, si selon Nassim Ait Mouheb, chercheur à l’Inrae Montpellier, l’intérêt agronomique de cette piste tend à se confirmer, il est primordial d’analyser les choses dans leur globalité.

Eaux usées : une solution face à la sécheresse ?
Nassim Ait Mouheb, chercheur à l’Inrae Montpellier.

En France, moins d’1 % des eaux usées est réutilisé. En Espagne, ce taux s’élève à 14 % et à 25 % en Turquie. « Les usages sont divers. Si l’irrigation en agriculture est l’un d’entre eux. L’arrosage des golfs, des parcs urbains… en sont d’autres », précise Nassim Ait Mouheb, chercheur à l’Inrae Montpellier qui coordonne la plateforme expérimentale de réutilisation des eaux usées en irrigation (Reut). Toutefois, à l’heure où les sécheresses sont appelées à se répéter et de manière intense, et où la ressource en eau se fait rare, ses eaux sont envisagées comme une solution pour l’irrigation. Le 30 mars à travers le Plan eau, le président de la République a d’ailleurs porté l’objectif de Reut à 10 %, soit 300 millions de m3, l’équivalent de la consommation de 3 500 bouteilles d’eau par Français et par an. Le ministère de l’Agriculture a par ailleurs ouvert une consultation publique jusqu’au 21 avril 2023 inclus, sur un projet de décret relatif aux conditions de production des eaux réutilisées et à leur usage dans les entreprises agroalimentaires s’inscrivant dans le plan d’action du volet agricole du Varenne de l’eau. À ce jour, les eaux traitées en vue de répondre aux critères de potabilité ne peuvent être réutilisées directement à la sortie des stations d’épuration au sein des industries agroalimentaires dans le cadre des processus de transformation alimentaire.

Une solution prometteuse

Une ambition de taille donc, mais qui ne semble pas être complètement dénuée de sens notamment pour l’agriculture. Depuis 2017, à Murviel-Les-Montpéllier (Hérault) tout près de Montpellier, l’Inrae expérimente cette solution pour irriguer diverses cultures et en évalue les impacts agronomiques, sanitaires et environnementaux. Cette plateforme est composée d’une parcelle irriguée de 0,5 ha sur laquelle poussent des vignes, de la luzerne, des oliviers et des arbres fruitiers. Les eaux usées proviennent de la station d’épuration voisine et sont utilisées en irrigation au goutte-à-goutte. Des salades et des poireaux dans des bacs hors-sol sous serre et sous atmosphère contrôlée sont également analysés avec des qualités d’eaux usées non réglementaires cette fois-ci. « Pour les vignes, qui sont en plein champ, nous utilisons bien évidemment des eaux usées qui répondent strictement aux normes réglementaires en vigueur », précise Nassim Ait Mouheb. Et les premiers résultats semblent révéler que la solution de la Reut est prometteuse en termes de valorisation des nutriments présents dans ces eaux en tant qu’engrais. « Dans le cadre d’une ferti-irrigation, la Reut présente de réels atouts. Les expérimentations que l’on conduit en vigne prouvent qu’un tiers des besoins en azote et phosphore étaient couverts par l’eau usagée conforme avec laquelle nous travaillons. En salades, les rendements sont équivalents à la parcelle témoins en ferti-irrigation », souligne le chercheur de l’Inrae. Par ailleurs, dans le cas d’un risque d’eutrophisation1 d’un cours d’eau, la recommandation d’utiliser les eaux usées pour l’irrigation des champs et cultures alentour prévaut. Cette solution technique semble donc cocher toutes les cases pour répondre aux besoins d’eau toujours plus criants. Toutefois, Nassim Ait Mouheb met en garde.

Réfléchir à l’échelle du territoire

Pour le chercheur de l’Inrae, cette solution doit être locale car « les volumes disponibles notamment dans les petites stations de campagne peuvent parfois être limités. Dans les grandes villes, les volumes sont plus conséquents et peuvent être utilisés pour des usages plus urbains, mais pour l’agriculture, il faut que les parcelles soient à proximité sinon les coûts de transport peuvent vite devenir très importants. Il faut que la Reut soit réfléchie à l’échelle d’un territoire pour savoir quels sont les usages qui sont fléchés, les volumes disponibles, etc. ». Autre volet à garder en tête dans cette réflexion : certaines eaux usées traitées retournent dans les cours d’eau et assurent le maintien du niveau de débit d’étiage. « Il faut vraiment conduire une réflexion de l’usage de l’eau globale », souligne le chercheur. Autre question fréquemment soulevée par la réutilisation des eaux usées : existe-t-il des risques de pollutions des sols et des plantes ? Les résultats préliminaires des études conduites par la plateforme héraultaise semblent prouver que non. « Ces résultats ne sont pas encore définitifs. Toutefois, les premières observations que nous avons faites sur les moûts ne semblent révéler aucun indicateur pathogène résiduel. Il semble également que les transferts vers le sol soient réduits. Mais ces résultats nécessitent d’être confirmés », conclut Nassim Ait Mouheb.

Marie-Cécile Seigle-Buyat avec Agrafil

* Forme singulière mais naturelle de pollution de certains écosystèmes aquatiques qui se produit lorsque le milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues et que celles-ci prolifèrent.

 

 

 

 

 

Expérimentations de ferti-irrigation avec des eaux usées à l’Inrae Montpellier.