RECYCLAGE
Les agriculteurs entrent dans la course du traitement des biodéchets

La nouvelle était tombée en 2020. À partir du 1er janvier 2024, tous les ménages devront disposer d'une solution, mise en œuvre par les collectivités territoriales, leur permettant de trier leurs déchets biodégradables.

Les agriculteurs entrent dans la course du traitement des biodéchets
Dans la Drôme, les fondateurs de l’unité de méthanisation Méthavéore ont investi 1,5 million d’€ pour s’équiper d’une chaîne de fabrication de soupes, afin de recevoir des déchets de table déjà triés. ©AD26_S.S.

L'objectif est de valoriser, sous forme de compost ou de combustible (méthanisation), ces biodéchets constitués pour l'essentiel d'épluchures, produits de cuisine et restes de repas, au lieu de les enfouir ou de les brûler, afin de réduire la production de gaz à effet de serre. Avec 142 unités de méthanisation en service dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont 87 agricoles (majoritairement installées dans l’Allier, la Loire et l’Isère), cette nouvelle législation peut être vue comme une nouvelle aubaine pour tout un secteur. Pourtant, en 2022, seules deux unités de méthanisation étaient équipées pour traiter les biodéchets.

Hygiéniser et déconditionner

Il faut dire que les processus de déconditionnement et d’hygiénisation ont un coût. Pour les biodéchets des gros producteurs et des grandes et moyennes surfaces, l’extraction de la matière organique est réalisée via un équipement qui génère à la fois une « soupe » destinée à la méthanisation, mais également un flux d’indésirables destiné à l’incinération ou à l’enfouissement. Selon l’inventaire de l’Ademe 2016, le coût du traitement des biodéchets emballés est estimé entre 75 et 90 €/t pour des capacités de traitement de 5 000 à 20 000 t/an, sur un amortissement de 10 ans. Les biodéchets des ménages et des professionnels de la restauration sont classés comme des sous-produits animaux (SPAn) de catégorie 3. Leur hygiénisation avant introduction dans le méthaniseur est donc une étape réglementaire obligatoire. Les équipements sont des cuves inox thermorégulées précédées d’un broyeur et l’énergie utilisée pour la montée en température peut être renouvelable (biogaz) ou fossile. La fourchette de prix varie en fonction du système choisi et se situe entre 150 000 €HT (pour un débit de traitement de 0,4 t/h) et 300 000 €HT (pour un débit de traitement de 4 t/h). Mais ces chiffres ne sont qu’indicatifs, puisqu’ils ne prennent pas en compte la flambée des coûts de l’énergie et des matériaux connue depuis un an.

À Étoile-sur-Rhône, dans la Drôme, Olivier Courtial et ses trois associés (Méthavéore) ont récemment décidé de sauter le pas et espèrent être opérationnels dès le 1er janvier prochain. « La filière est débutante, je sens qu’il y a une émulsion face à la loi qui arrive », déclare l’agriculteur, qui souhaite se positionner sur le marché du déconditionnement dans la zone de Montélimar, où beaucoup d’entreprises et d’acteurs de la distribution sont présents. « Si nous voulons répondre aux exigences du décret et des nouvelles installations classées protection de l'environnement (ICPE), nous devons faire de nouveaux aménagements avec des bâtiments hermétiques et des récupérations de jus de lavage, c’est un gros budget. » Les trois sociétaires ont investi 1,5 million d’€ pour s’équiper d’une chaîne de fabrication de soupes, afin de recevoir des déchets de table déjà triés, mais également des gisements à déconditionner ou à broyer avant l’hygiénisation.

Un réel atout agronomique et économique

Depuis deux ans, Jean-Paul Sauzet, conseiller énergie et climat à la chambre d’agriculture de l’Isère, a remarqué un certain engouement pour cette filière. « Le digestat qui sort du méthaniseur est un élément fertilisant important, puisqu’il est doté d’azote minéral, directement assimilable par les plantes, ce qui permet notamment de faire des économies d’achats d’engrais », affirme-t-il. Un atout qu’ont bien saisi Charles Poncet et ses associés (Valoragri), agriculteurs et méthaniseurs de biodéchets à Saint-Romain-la-Motte, dans la Loire. Ces derniers valorisent la totalité du digestat produit par leur méthaniseur. Grâce aux aménagements réalisés (3,4 millions d’€), les cinq associés injectent 12 000 tonnes de matières par an, soit l’équivalent de 10 000 m3 de digestat qu’ils épandent eux-mêmes. « Sur l’exploitation, cette pratique a amené de nombreux avantages. La vente de biogaz a permis mon installation ; nous avons diminué l’achat d’engrais et nous n’avons pas de problème avec le voisinage puisqu’avec le digestat, il n’y a plus d’odeur à l’épandage… La méthanisation nous rend un grand service ! »

La concurrence des grands noms du déchet 

Mais sur ce marché naissant, les agriculteurs sont loin d’être les seuls intéressés. Les industriels essaient également de monter des projets de méthanisation basés sur des biodéchets. Un constat partagé par Charles Poncet, pour qui la force de frappe des industriels est une concurrence directe. « Ils sont plus puissants que nous pour récupérer les biodéchets, concède-t-il. Les grands noms du déchet récupèrent le marché et nous font de l’ombre. » Ce qui n’empêche pas l’agriculture de la Loire d’avoir noué un partenariat avec un abattoir local et des petites et moyennes entreprises (PME) de son territoire. Ce dernier réfléchit même à un rapprochement avec les communes du Roannais… Un projet néanmoins long à mettre en place, malgré une obligation législative qui s’approche à grands pas pour les collectivités.

Léa Rochon

Dans la Loire, le digestat issu de biodéchets et produit par l’unité de méthanisation Valoragri est inodore et est intégralement épandu par les agriculteurs associés. ©Charles Poncet