EXCLU WEB / Chine et Russie régulatrices de l’agriculture mondiale

Christophe Soulard
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La 36e édition du rapport CyclOpe a été rendue publique le 8 juin à Paris. L’occasion pour ses deux co-directeurs, Philippe Chalmin et Yves Jégourel, de rappeler combien la Chine tient aujourd’hui entre ses mains une grande partie de l’économie agricole mondiale. La guerre entre l’Ukraine et la Russie complique le négoce agroalimentaire international.

EXCLU WEB / Chine et Russie régulatrices de l’agriculture mondiale

Certes, la Chine n’est pas le monde mais en termes agricoles elle pèse énormément. « Elle est le pays-clé des équilibres et aussi des déséquilibres mondiaux », a en substance rappelé François Luguenot, analyste de marchés de matières premières agricoles, et directeur de FL Consultant. Très dynamique sur le marché des matières premières industrielles, la Chine l’est également devenu dans le champ alimentaire. Ainsi, en 2021, elle est devenue le premier importateur mondial de céréales, en augmentant par exemple de 152  % ses achats de maïs. Elle représente aussi « 25 % de la consommation de viande mondiale, avec 100 millions de tonnes consommées », a mentionné Jean-Paul Simier, économiste et spécialiste des marchés agricoles et agroalimentaires. Le fait que le tiers de son cheptel porcin ait été décimé en 2020-2021 par la peste porcine africaine, a pesé sur les importations, en provenance d’Europe notamment (Espagne, Allemagne, France, etc.). Ce cheptel est-il aujourd’hui reconstitué ? « Les statistiques chinoises ne sont pas très fiables et beaucoup pensent que les problèmes sanitaires ne sont pas tous réglés », a précisé Jean-Paul Simier qui a ajouté : « Le coût de production du porc chinois est aujourd’hui deux à trois fois plus cher que celui des Européens ou des Américains ». En effet, avec seulement 10 % de leurs terres cultivables et 7 % de ressources en eau, Pékin est contraint d’importer nombre de ses denrées, dont 62 millions de tonnes de céréales en 2021 auxquelles s’ajoutent 100 Mt de soja.

Les experts s’accordent à reconnaître que la Chine « assèche le marché de la viande », et importe de plus en plus de bœuf (+ 3 Mt), devenu le mets préféré des nouveaux riches chinois. Il s’ensuit une hausse considérable de l’indice FAO (+15 % en un an). Cependant, ces mêmes experts avouent ne pas être en mesure de prévoir le volume des importations de céréales pour l’année 2022. « La demande de la Chine est incernable d’un point de vue fondamental », s’est attristé François Luguenot.

 

« Sceptique sur cette opération »

 

Les incertitudes liées aux comportements politiques et économiques de la Chine se doublent de plusieurs inconnues concernant les conséquences du conflit russo-ukrainien, parmi lesquelles la destination de la bonne récolte de blé que Moscou devrait connaître cette année. « Cette guerre ajoute à la complexité de la crise agricole », a souligné Philippe Chalmin, professeur à l’université de Paris-Dauphine. Il est impossible aujourd’hui de prédire le cours mondial des céréales. « Le prix du blé pourrait baisser s’il n’y a pas d’accident climatique majeur », avance-t-il. Tout juste sait-on également que « la Russie est un émirat », a estimé François Luguenot : « Elle exporte des matières premières et des armes. C’est tout », a-t-il justifié. Mais pour lui comme pour les rédacteurs du rapport CyclOpe, il est « déplacé » de parler aujourd’hui de possible famine à l’échelle mondiale. Sans doute sera-ce le cas pour quelques pays, notamment d’Afrique du Nord et subsaharienne qui n’ont pas les moyens de payer à l’image de l’Égypte, du Soudan ou encore de la Tunisie dont les bateaux chargés de céréales, en provenance de Russie, restent à quai… par défaut de paiement. Seule certitude : la récolte de blé et autres céréales sera nettement moindre en 2022 en Ukraine, tablent les exports de CyclOpe, sans avancer de chiffres. Quant à la mise en place de corridors pour exporter les grains ukrainiens, Philippe Chalmin se déclare « sceptique sur cette opération ». A l’image des matières premières industrielles, les denrées primaires agricoles sont le reflet de toutes les tensions de la planète. « Et la promesse de l’abondance que nous promettait le monde d’hier est terminé », a lancé, en guise de conclusion, Yves Jégourel, professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Notamment à cause de la Russie et de la Chine.

L’ouvrage (722 pages, 139 euros) est disponible aux éditions Economica : www.economica.fr