Néonicotinoïdes
Ce que dit la science

Cédric MICHELIN
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Alors qu’un projet de loi devrait prolonger les dérogations accordées à l’utilisation des néonicotinoïdes en enrobage pour les semences de betteraves, le point sur l’état de la connaissance sur ces substances et leur mode d’action.

Ce que dit la science

Quels sont les néonicotinoïdes utilisés en enrobage de semence de betterave ?

Le premier néonicotinoïde à avoir reçu une autorisation de mise sur le marché pour les utilisations en enrobage de semence en France est le Gaucho de Bayer, dès 1991. Le Cruiser de Syngenta, à base de thiaméthoxame, apparaît quelques années plus tard, en 1998. Il se voit rapidement suivi par le Poncho de Bayer en 2001, un produit à base de clothianidine. Cette troisième molécule ne représente cependant qu’un produit de dégradation du thiaméthoxame.

Comme nous l’apprend la thèse de Béatrice Bodereau, soutenue en 2012, les premiers néonicotinoïdes ont toutefois été synthétisés dès 1971, par le laboratoire de Shell Development. L’entreprise avait notamment identifié une molécule à la structure proche de la nicotine, la nithiazine, qui possédait un effet insecticide. C’est en ajoutant un cycle d’imidazolidine à la nithiazine que Shinzo Kagabu, ingénieur japonais, synthétisera en 1986 l’imidaclopride.

Comment agissent les néonicotinoïdes ?

« Les néonicotinoïdes affectent le système nerveux central des insectes, entraînant à terme leur paralysie et leur mort », résument les experts de l’Anses. En se fixant sur les récepteurs nicotiniques à acétylcholine des cellules nerveuses (appelés nAChRs), ces molécules altèrent leur fonctionnement, et empêchent la transmission de l’influx nerveux entre les synapses.

Ce type de mode d’action n’est cependant pas spécifique aux néonicotinoïdes : la plupart des insecticides visent eux aussi le système nerveux des insectes, rappelle Béatrice Bodereau dans sa thèse. Les pyréthrinoïdes, identifiés par l’Anses comme l’une des principales alternatives aux néonicotinoïdes, ciblent par exemple les canaux sodiques des mêmes cellules nerveuses.

Les néonicotinoides sont par ailleurs dits systémiques car, contrairement aux pesticides de contact qui restent à la surface des parties traitées des plantes, « ils sont absorbés par la plante et transportés dans toutes les parties de la plante, des feuilles aux racines en passant par le nectar et le pollen », détaille l’Anses.

Sont-ils dangereux pour la santé humaine ?

Comme le rappelle une synthèse internationale de 2014 parue dans Environmental Science and Pollution Research sur les insecticides systémiques (Simon-Delso et Al), « les vertébrés ont une faible quantité de récepteurs nicotiniques ayant une haute affinité pour les néonicotinoïdes ». Les néonicotinoïdes sont ainsi assez spécifiques dans leurs effets sur les insectes, et ont peu d’effets sur les mammifères, donc sur l’homme.

Dans son expertise publiée en février 2018, l’Anses, après examen des données scientifiques disponibles, a ainsi estimé que « les travaux ne mettent pas en évidence d’effet nocif pour la santé humaine, dans le respect des conditions d’emploi fixées dans les autorisations de mise sur le marché ». Se basant sur les classements toxicologiques, les niveaux d’exposition acceptables, et les doses maximales d’application des AMM, l’agence souligne même que « les indicateurs de risque sont plus élevés pour les alternatives que pour les néonicotinoïdes » lors d’expositions alimentaires et non alimentaires.

Les néonicotinoïdes sont-ils dangereux pour les insectes non-ciblés ?

En 2018, l’EFSA, l’autorité européenne sanitaire, a mené des travaux pour actualiser son expertise de 2013, qui l’avait conduite à décréter un moratoire sur la clothianidine, l’imidiaclopride, et le thiaméthoxane. Pour cette étude, l’agence a réuni 1.600 documents scientifiques, dont 874 articles publiés entre 2013 et 2016, et près de 376 contributions reçues sur appel à projet de l’agence. Le critère d’évaluation du risque de l’agence est le même ici pour les abeilles domestiques, les bourdons ou les abeilles solitaires : dans les conditions prévues par les AMM, les produits ne doivent pas entraîner des pertes de colonie de plus de 7 % par rapport aux témoins.

Après analyse de ces résultats, l’Efsa a indiqué un « risque élevé » pour les abeilles, les bourdons, et les abeilles solitaires, lors de contaminations systémiques par les trois molécules au travers du pollen et du nectar pour l’ensemble des cultures. Avec une nuance toutefois, souvent rappelée par la filière ou le ministère : le risque d’une contamination directe est faible pour les cultures comme la betterave qui sont récoltées avant floraison.

Qu’en est-il des résidus que les plantes semées par la suite dans le même champ peuvent absorber ? Sur ce point, l’Efsa ne fait plus de distinction entre les filières : « Les études sur la culture suivante indiquent un risque élevé », insiste l’agence. L’Efsa confirme notamment un « risque élevé » de la culture suivante pour les abeilles et les bourdons pour les trois molécules et pour l’ensemble des utilisations, dont celles en betterave sucrière.

L’Anses, dans la synthèse publiée en 2018, apporte un complément important à ces résultats. « Les indicateurs de risque de l’imidaclopride et du thiaméthoxame sont supérieurs à ceux des alternatives », écrit l’agence à propos des abeilles, des oiseaux, des mammifères et des vers de terre. L’indicateur utilisé est dans ce cas égal au rapport entre l’estimation de l’exposition et la concentration sans effet de la substance active.

Y a-t-il un risque de les voir se diffuser dans l’environnement ?

Dans le même rapport actualisé en 2018, l’Efsa a également étudié les risques de contamination des pollinisateurs aux néonicotinoïdes par les poussières soulevées par les travaux des champs dans les bordures de parcelles, ainsi que dans l’eau. Conclusion : le risque est très élevé pour la plupart des cultures pour les abeilles et les bourdons dans le cas de l’imidaclopride, ainsi que pour l’ensemble des espèces dans le cas de la clothianidine.

Ici, la betterave se distingue cependant : pour l’Efsa, les risques de contamination dans l’environnement proche par les semences enrobées sont faibles. Concernant le thiaméthoxame, l’Efsa a seulement pu confirmer en betterave l’absence de toxicité aiguë pour les adultes et de toxicité chronique pour les larves, faute de données disponibles sur les autres aspects.

Enfin, pour la diffusion des molécules dans l’eau des sols via la guttation, c’est-à-dire les gouttelettes apparaissant sur les feuilles des plantes le matin, l’agence européenne confirme un risque faible pour l’ensemble des usages.