ANALYSE
Énergie : des filières agricoles en tension contraintes à la sobriété

La hausse spectaculaire du prix de l’énergie a touché de plein fouet le monde agricole. Filières végétales ou animales, toutes sont impactées par cette situation d’une ampleur inédite. Contraints de développer des modèles plus sobres, les agriculteurs font preuve d’une vraie capacité de résilience et d’adaptation. Éléments de compréhension.

Énergie : des filières agricoles en tension contraintes à la sobriété
Les filières d'élevage sont particulièrement touchées par la crise énergétique, en raison de leur besoin pour le chauffage des bâtiments et pour l'alimentation des bêtes. ©DR

En agriculture, le besoin en énergie est partout. Dans un communiqué commun, la FNSEA, La Coopération agricole, les représentants des industries de l’agroalimentaire (Adepale, Ania, Ilec, Feef) et Perifem, le conseil technique de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), ont récemment appelé « au secours » concernant la hausse des coûts de l’énergie. Côté productions végétales, si l’AGPB alerte sur un « effet ciseaux » pour les producteurs de céréales, on retrouve en première ligne les producteurs de fruits et légumes frais. Pour se chauffer, les producteurs de tomates en serre par exemple utilisent principalement du gaz naturel via une chaudière classique ou en cogénération. « Le prix du gaz a augmenté de 600 % par rapport à l’été 2021 », constate le maraîcher Ronan Collet de la coopérative bretonne Solarenn. Dans les cent-cinquante stations de stockage de pommes en France, les gérants n’en mènent pas large non plus. Dans ces bâtiments utilisés à l’année, le froid est généré exclusivement par de l’électricité. Habituellement, le prix de l’énergie représente 1,6 ct€/kg de pomme, pour un prix de revient en sortie de station d’environ 80 ct€/kg. Mais en passant de 63 € jusqu’ici à 553 € au 9 septembre, le prix du KWh est devenu un sujet central. Au total, la hausse induite par la flambée de l’énergie atteindrait 20 ct/kg, selon l’Association nationale pommes-poires (ANPP) qui estime qu’un quart de ses adhérents doivent renouveler leur contrat d’ici la fin de cette année. Certains en ont déjà signé de nouveaux, avec des hausses qui varient d’un facteur trois à douze.

Les veaux de boucherie en première ligne

Du côté des productions animales, toutes les filières sont aujourd’hui touchées par les hausses du prix de l’énergie, notamment par le biais de l’alimentation animale. « Le coût énergétique représente 3 à 4 €/t d’aliment en 2021, il devrait être quadruplé en 2023 », indique Philippe Manry, directeur général de l’entreprise Sanders. Pour les filières porcs et volailles par exemple, la facture énergétique s’est emballée. Sa part dans les coûts de production est passée de 1,8 à 5,1 % entre 2021 et 2022, selon une enquête menée par la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (Fnict), soit un surcoût total pour la profession de 227 millions d’euros (M€). Mais la hausse des prix de l’énergie a surtout eu « un très gros impact en veaux de boucherie », constate Laurent Boisset, président de la section veau de la Fédération nationale bovine (FNB). En 2020, l’énergie représentait en moyenne 14 % des charges de production, selon l’Institut de l’élevage. Premier motif de consommation : le chauffage quotidien de l’eau, mélangée à du lait en poudre pour produire l’aliment lacté destiné aux animaux. D’après les chiffres 2020 du réseau Inosys, 62 % des élevages de veaux de boucherie utilisent du gaz, 3 % de l’électricité et 2 % du fioul. Mais la part du gaz se chiffrerait plutôt à « environ 75 % » sur le terrain, selon une autre enquête menée par la FNB. Dans un courrier du 30 septembre, la FDSEA de la Drôme a fait part de l’inquiétude grandissante des éleveurs de veaux de boucheries de la région Auvergne-Rhône-Alpes, estimant la hausse du prix de l’électricité à 39 %. Le coût de l’énergie pour le fonctionnement des bâtiments représente le premier poste de dépense sur les charges d’exploitation après l’amortissement des bâtiments d’élevage. Problème : début 2023, le prix de l’électricité devrait encore augmenter de minimum 50 %.

Les tours de séchage du lait dans le viseur

En lait, les industriels préparent des plans de continuité de l’activité pour assurer la collecte et la transformation en cas de délestages ou de réduction de l’approvisionnement. Pour transformer le lait, qui ne peut pas être stocké et doit être collecté toutes les 24 ou 48 heures, les usines utilisent du gaz pour différentes activités : pasteurisation, concentration ou nettoyage à la vapeur. Mais les tours de séchage servant à fabriquer de la poudre de lait sont de loin l’équipement le plus consommateur. « Cent-vingt sites de transformation laitière consomment plus de 5 GW/an de gaz. Or, ces sites collectent le lait de quarante-mille producteurs, soit 80 % des exploitations », explique François-Xavier Huard, PDG de la Fnil (industriels privés). Aujourd’hui, les alternatives au gaz sont encore peu développées dans l’industrie laitière. Selon l’enquête de la Fnil, seulement 6 % des cent-vingt sites les plus consommateurs peuvent le substituer par une autre énergie, principalement par des chaudières à biomasse. Une technologie qui nécessite « des investissements lourds et longs dans le temps », souligne François-Xavier Huard. Autre possibilité : l’énergie photovoltaïque. Le numéro 1 des produits laitiers, Lactalis, a pour projet d’alimenter son usine d’ingrédients près de Verdun (Meuse) grâce à la plus grande centrale solaire thermique de France pour pouvoir réduire la consommation de gaz naturel du site de 11 %. L’occasion, s’il le fallait, de prouver que la réflexion autour d’un modèle plus sobre et moins dépendant du marché de l’énergie est bien engagée en agriculture.

Pierre Garcia avec Agrapresse