Dossier souveraineté alimentaire
Le paquet de farine, plus exotique qu’il n’y paraît

Cédric MICHELIN
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Alors que la souveraineté alimentaire de la France se fait de plus en plus chancelante, décryptage de l'origine de produits alimentaires emblématiques. Quelles dépendances se cachent derrière une simple bouteille de vin ou un pot de miel ? De la génétique à l’emballage, des bâtiments d’élevage aux travailleurs, la rédaction passe tout en revue. Poursuite de notre série sur l’origine de produits emblématiques, avec les paquets de farine de 1 kg. Un article souvent en rupture de stock pendant la crise Covid-19, alors que la France est le premier producteur européen de blé tendre. Analyse des facteurs de dépendance tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

 

Le paquet de farine, plus exotique qu’il n’y paraît

Les rayons de farine des grands magasins dévalisés : c’est un des symboles de la crise Covid-19 lors du confinement. Faut-il en conclure que la France est en manque d’approvisionnement ? Non, aux dires du patron des meuniers Jean-François Loiseau. « La raréfaction des paquets de farine dans les rayons de la grande distribution est une réalité, mais évoquer une pénurie relève de la pure fiction », avait-il alors déclaré, rappelant que la France est le deuxième pays producteur de farine en Europe. Plus de 4 Mt sortent des moulins chaque année. Et les exportations restent supérieures aux importations.

Sauf que la réalité est tout autre pour le paquet de farine de 1 kg. Un petit créneau, qui pèse moins de 5 % du marché national. « 190.000 tonnes de farine sont vendues en sachet de 1 kg pour tout l’Hexagone », indique Lionel Deloingce, président de Moulin Paul Dupuis. Près des deux tiers arrivent de l’étranger vu que « l’origine française représente 70.000 t ». L’Allemagne constitue de loin la principale source d’approvisionnement hors des frontières, d’après lui. Aucun chiffre précis, mais l’administrateur à l’ANMF (meunerie française) se réfère aux 70 % de farine d’outre-Rhin parmi tous les volumes importés. « Cette prédominance de l’Allemagne sur le paquet de 1 kg est liée à un écart de compétitivité, en matière fiscale et sociale, analyse Lionel Deloingce. La France est capable de passer devant : on a la matière première et l’outil de production, qui tourne à 60/65 % de sa capacité ».

Semences : une place de leader mondial

Le secteur des semences est-il véritablement tombé entre les mains de quelques multinationales ? Voilà une « idée reçue » que le Gnis (interprofession) tient à rectifier. « En France, le marché des semences est réparti entre de très nombreuses entreprises, dont une bonne partie est constituée d’entreprises familiales ou coopératives », affirme-t-il dans une série de questions/réponses sur son site web. Et de prendre comme exemple le blé tendre, espèce la plus cultivée. Un seul des mastodontes de l’agrochimie, à savoir le suisse Syngenta, figure dans le top 10 des entreprises de sélection au vu des parts de marché. Et seulement à la sixième place.

L’aveyronnais RAGT arrive en tête avec l’Allemand Saaten Union, tous deux à 17 % des surfaces nationales de blé tendre en 2019. Viennent ensuite les Français Desprez (15 %), Limagrain Europe (11 %), l’Allemand KWS Momont (8 %), puis Syngenta (7 %), les Français Unisigma (6 %), Secobra Recherches (5 %), Caussade Semences (3 %), l’Allemand KWS (3 %). Toutes espèces confondues, la France joue un rôle de leader des semences, étant le premier exportateur mondial, le producteur numéro un en Europe.

Un tiers des engrais azotés produits en France

S’il est un fertilisant sur lequel le céréalier ne peut faire l’impasse, c’est l’azote. Le taux de protéines du blé tendre en dépend. De bons apports d’engrais azotés conditionnent la qualité meunière dont les boulangers ont besoin pour fabriquer le pain de tradition française. Les agriculteurs peuvent compter sur un approvisionnement en grande partie d’origine nationale. Selon les chiffres de l’Unifa (industries de la fertilisation), la production française d’engrais azotés simples et composés couvre 34 % des besoins. Les pays proches (Belgique, Pays Bas, Espagne, Allemagne) fournissent 16 %. D’autres États membres de l’UE (Lituanie, Pologne) pèsent 8 % de l’azote livré. Au total, 58 % du marché des engrais azotés sont représentés par l’origine France et UE. Les ammonitrates en constituent la part majoritaire. Côté importation des pays tiers, les volumes ont augmenté ces dernières années pour atteindre 42 % de l’azote apporté, indique l’Unifa. Il s’agit d’urée, solution azotée et phosphate d’ammoniaque (DAP,) avec comme principaux fournisseurs la Russie, suivis par les États-Unis, puis l’Égypte, l’Algérie, Trinidad.

Mais à y regarder de plus près, la dépendance vis-à-vis de l’extérieur s’avère plus large. Pour obtenir la synthèse de l’ammoniac NH3, précurseur des principaux engrais azotés, il faut bien sûr de l’azote. L’air, composé à 78 % de N2, en constitue une ressource illimitée. Il faut aussi une source d’hydrogène H2. C’est là qu’intervient le gaz naturel CH4, choisi pour son rendement optimum. Or la quasi-totalité des volumes utilisés en France sont importés. « Il est déjà possible d’utiliser le biométhane en substitution du gaz naturel et demain l’hydrogène pourra venir d’autres sources, par exemple de l’électrolyse de l’eau, pour limiter la dépendance de l’industrie vis-à-vis des énergies fossiles », souligne l’Unifa.

L’origine des phytos, nouvelle problématique dans l’industrie

Le secteur des phytos en est quitte pour une belle frayeur. Avec la Chine partiellement à l’arrêt lors de crise Covid-19, toute une chaîne de fabrication s’est trouvée menacée. Car des substances actives viennent de l’empire du Milieu, également d’Inde. « Les difficultés d’approvisionnement sont intervenues en pleine fabrication des produits d’automne, raconte Pierre-Yves Busschaert, responsable des Affaires économiques à l’UIPP (industries de la protection des plantes). Bien que disposant de stocks de matière active made in China, les industriels français n’étaient plus en mesure de boucler tout leur planning de production. »

Finalement, tout est rentré dans l’ordre sans que l’activité soit pénalisée à cause des approvisionnements chinois, d’après lui. L’UIPP ne dispose d’aucun chiffre sur l’origine nationale, européenne, internationale des phytos utilisés dans l’Hexagone. Pour donner une idée de l’importance du « fabriqué en France », le syndicat rappelle que sa douzaine d’adhérents possède 19 sites de production sur le territoire, pour un chiffre d’affaires de près de 1,97 Mrd€ en 2018. « On n’a jamais fait de statistiques sur l’origine des phytos, déclare Pierre-Yves Busschaert. La crise Covid-19 pousse à y réfléchir. »

Agroéquipement : interdépendance en Europe

« L’agroéquipement en France, c’est très peu d’import/export hors UE, affirme Alain Savary, DG d’Axema (industriels). Le tissu industriel européen couvre l’essentiel des besoins des agriculteurs ». Illustration de l’interdépendance du marché national vis-à-vis des autres pays membres : « plus de 80 % des flux d’import/export » sont réalisés avec l’UE, d’après lui. Cela se traduit par la disparition de marques tricolores, comme en matière de tracteurs.

Mais l’exemple montre que le « fabriqué en France » subsiste. La France occupe le deuxième rang européen dans la production de tracteurs agricoles, pour une valeur de 1,398 Mrd€ en 2017, selon le dernier rapport économique d’Axema. Trois usines sont implantées dans l’Hexagone : Massey Ferguson à Beauvais (Oise), Claas au Mans (Sarthe), Kubota près de Dunkerque (Nord). « La souveraineté purement nationale n’a pas de sens dans l’agroéquipement, vu l’internationalisation des outils industriels », considère Alain Savary.