Note de lecture

Face aux risques, une histoire de la sûreté alimentaire

Du moins, le croit-on à tort car même nos aïeuls s’y sont intéressés de près, dans des termes toutefois différents. Pour eux, la sécurité alimentaire revêtait avant tout un problème d’accès à la nourriture et d’approvisionnement. Les famines, les disettes, les temps de vaches maigres étaient monnaie courante et quand une météo capricieuse et les maladies s’en mêlaient, la Grande faucheuse commençait à sévir. Dans ces temps religieux, c’était une malédiction divine dont il fallait s’accommoder. Mais à la faveur du siècle des Lumières et de l’émergence de la science, ces “dérèglements” alimentaires ont été scrutés, étudiés, détaillés, disséqués, analysés, faisant ainsi émerger de nouveaux savoirs et de nouvelles solutions. Médecins, vétérinaires, chimistes, à la faveur des évolutions technologiques de l’époque (stéthoscope, microscope, etc.) parviennent à éradiquer certains fléaux. Nicolas Appert et Louis Pasteur, pour ne citer qu’eux, développent une approche hygiéniste qui s’est une fois pour toute ancrée dans les mentalités. Les pouvoirs publics se sont ensuite appropriés ces domaines, à commencer par la qualité de l’eau. Ils se sont aussi emparés de dossiers plus complexes comme la lutte contre la contrefaçon.

Ce superbe ouvrage, richement illustré, raconte aussi la manière dont l’agriculture et l’alimentation ont accéléré le processus de reconstruction de la France après-guerre, comment l’intervention des vétérinaires dans la prophylaxie comme dans la diététique animale leur a conféré une position importante dans la construction d’un système tourné vers les consommateurs. Il rappelle aussi combien les crises alimentaires de la fin du XX^e siècle (poulet et bœuf aux hormones, vache folle, lait chinois frelaté, etc.) ont pu laisser des traces dans la mémoire collective et contribué à faire émerger une conscience collective sur les liens entre santé humaine, santé de l’environnement et santés animale et végétale.

Coécrit par Pascal Griset et Jean-Pierre Williot, tous deux professeurs d’histoire à la Sorbonne, par Pierre Corvol, médecin et professeur émérite au Collège de France et par Yves Bouvier, maître de conférences (histoire) à la Sorbonne, ce livre raconte aussi comment les pouvoirs publics ont créé de nouvelles institutions pour répondre aux inquiétudes d’une population en quête de sécurité, à l’image de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui a fêté ses dix ans en 2020.

Les auteurs rappellent enfin que les questions qui se posent entre la science, les croyances et l’opinion n’ont jamais été aussi prégnantes. La société civile, les experts et les politiques sont désormais embarqués dans un monde complexe où ils doivent se retrouver pour relever le défi d’une humanité aujourd’hui en proie au doute et parfois à l’ignorance.

Avec la crise du Covid-19, l’histoire semble se répéter, malgré les mesures qui sont prises depuis les précédentes crises sanitaires et les reformes appliquées à l’organisation de l’expertise scientifique. Les autorités sanitaires ne cessent de voir leurs avis contestés dans diverses arènes (sociétales, médiatiques, scientifiques, politiques) et doivent faire face à la complexité accrue des problèmes à traiter dans un monde globalisé. La gestion de la pandémie actuelle en apporte de nouvelles illustrations.
Face aux risques
Une histoire de la sûreté alimentaire à la santé environnementale
Éditions du Cherche Midi, 208 pages, 35€