Michel Duvernois - Bourgogne du Sud
Une vie dédiée à l’agriculture

Cédric MICHELIN
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C’est une page d’histoire qui s’est tournée à Bourgogne du Sud. Une double ou même triple page avec le départ consécutif du président, du directeur général et du directeur des approvisionnements. Après le portrait de Didier Laurency la semaine dernière, retour sur la carrière de Michel Duvernois. Bien que son départ à la retraite ait été gâché par la pandémie de Covid-19, sa vision aura marquée l’agriculture départementale.

Une vie dédiée à l’agriculture

Il est des anecdotes qui orientent une vie. « Je suis né ici, dans la chambre d’à côté, un jour de crue historique du Doubs en janvier 1955 où il était impossible de se rendre à la maternité », débute Michel Duvernois dans la maison juste derrière le siège et les silos de la coopérative à Verdun-sur-le-Doubs. Son père, Maurice était alors directeur (1954-1986) de la coopérative de Verdun qui comptait alors 5-6 salariés tout au plus. « Il a connu une évolution fantastique. D’une vie presque en autarcie au début de la coopérative à 1.200 adhérents en 1960. Les métiers étaient durs », se remémore-t-il soudain. Et d’analyser que la dureté des métiers a changé, les adhérents ont changé, la coopérative a changé, tout à changé… « Aujourd’hui, il y a toujours 1.200 adhérents à Bourgogne du Sud mais nous sommes passés de 6.000 t de céréales à 600.000 t ; cent fois plus. Les agriculteurs ont multiplié par deux les rendements. C’est pour ça que la nourriture ne coûte "rien" », analyse-t-il avec recul, hauteur et synthèse comme à son habitude. Le fruit de son histoire familiale et de son parcours, commencé tôt et qui s’est poursuivi à l’Institut national agronomique Paris Grignon, à l’Université du Québec avec un stage dans une coopérative canadienne. Il rentre le 1er juillet 1979. Après un passage dans une société de produits vétérinaires (Rousset Duclaf) où il est chargé de mettre en place un service agronomique en Amérique du Sud, il comprend vite que ce travail n’est pas fait pour lui. Il rentre à la coopérative Verdun-Chalon-Pierre en 1983 (35 salariés) pour ne plus la quitter. Il reprend la direction en 1986 et voit évoluer son poste. Beaune-Verdun-Seurre née en 2000 et Bourgogne du Sud en 2006 (fusion avec CAVS). « J’ai toujours eu la chance de côtoyer des équipes soudées et compétentes », explique-t-il autant du côté de ses élus que de ses collaborateurs. « Mon travail était essentiellement de fournir des pistes de réflexion aux membres du conseil d’administration ». A la fin, avec les unions, filiales et multiples métiers, Michel Duvernois avait enfilé aussi le rôle de « Ministre des relations extérieures » comme il aime à plaisanter. Mais qu’on ne s’y trompe pas, toujours en gardant bien en tête les besoins des agriculteurs sur le terrain. « La diminution du nombre de paysans a eu pour conséquence une forte augmentation du niveau d’exigence vis à vis des services, eux même plus diversifiés ».


Pac 1992, OMC, quotas…

Et Michel Duvernois de revenir sur l’histoire agricole du département et plus largement. Une rupture a eu lieu lors de la réforme de la Pac 1992. « Une vraie révolution avec l’abandon du système de protection aux frontières et donc la fin des prix "non volatils". La mission est alors claire pour tous : produire. Notamment de l’amidon. Les Etats-Unis ont alors accepté les volumes et taxes aux frontières à condition de ne pas toucher au soja. Il ne faut pas oublier ce pan de l’histoire », glisse-t-il en référence à l’actualité, lui le féru de géopolitique. Sa conclusion diffère pourtant du discours habituel : « Cette politique a tellement bien marché que la France est devenu exportatrice ». Avant de voir se succéder différents rounds OMC (Organisation mondiale du commerce) « nous faisant perdre notre avantage comparatif » et « 30% du prix non compensés par des aides ». Autre rupture marquante, le « drame » des quotas laitiers. En fixant comme base la « pire année » pour la production laitière en Saône-et-Loire à 1983. « Ce qui a conduit à retourner des prés dans notre zone mixte, céréales-élevages », selon ses termes. Toutes ces « remises en question » systémiques ont obligé à des fusions : Saint-Gengoux-le-National, CAVS, Beaune, Bligny-les-Beaune, Seurre. Concrètement, « on a supprimé du personnel sans toucher aux techniciens de terrain. En baissant nos coûts de fonctionnement, on a gardé un bon coût/bénéfice ».

Une coop’ bien équilibrée

Actuellement, le périmètre de la coopérative « est bien équilibré, il va bien avec le bon terroir », lui qui impressionne toujours lorsqu’il salue par leur prénom chaque adhérent. Les unions avec les autres coopératives ou sociétés, ou filiales, apportent maintenant « l’expertise ». Aréa comme centrale d’achat, Cerevia pour la vente de céréales, Extrusel et Val Union pour la diversification… Car en face, l’aval a fait de même : « avec de moins en moins de clients en face : meuniers, acheteurs d’oléagineux… » depuis 30 ans.
En parallèle, de 35 ha en moyenne, l’exploitation adhérente est passée à 150 ha en cultures avec « deux ateliers ou guère plus ». Et de nouveaux besoins à venir avec cette diversité d’adhérents demain « allant d’une exploitation de 600 ha à celle de 2-3 ha », et autant de services à développer en face. Du « céréalier au maraicher, la solidarité n’est possible qu’avec l’équité : un agriculteur ne veut pas payer les charges des autres », est-il persuadé.
Les adhérents ont toujours besoin « de performances économiques, de réactivité et… du respect de la parole, du respect de l’équité et du respect du pacte coopératif : ce sont les règles du jeu. On tient ses promesses et on se comporte en adultes en expliquant les contraintes ». Une forme de « loyauté » qui peut aussi avoir son revers de la médaille vis à vis de l’extérieur qui peut le ressentir parfois comme un rouleau-compresseur. « Je ne négocie pas ce qu’a décidé mon conseil d’administration », insiste encore au présent Michel Duvernois, lui qui a formé des duos redoutables d’efficacité avec cinq présidents : Mrs Gruillot, Bidalot, Villot, Fournier et le dernier en date Didier Laurency. « J’ai toujours été gâté car tous étaient au service des autres ».


Le « loupé » de la communication externe

L’homme a également les défauts de ses qualités, ses faiblesses et ses regrets. « J’ai toujours été disponible en interne et pour les adhérents. Mais mon gros loupé, c’est de n’avoir pas réussi à montrer à l’extérieur comment on s’adaptait au monde », reconnaissant ne pas être le plus grand des communicants via les médias. D’ailleurs, la coopérative n’a pas de service communication à proprement parler. Du global au local, « le problème est que l’agriculture est devenu le champ de bataille médiatique entre les adeptes de la décroissance et les apôtres du libéralisme ». Il n’est pas le seul en agriculture à le regretter et à ne pouvoir que constater la distance se creusant toujours plus avec nos sociétés urbaines. « La bataille des OGM et des pesticides est perdue », tranche-t-il, lui le progressiste dans l’âme sans être absolument technophile. Aux agriculteurs maintenant de se prendre en main pour renouer le lien avec des messages positifs, en s’appuyant peut-être sur 3-4 « agri-influenceurs » locaux. Le succès du Club Atout Miel permet aussi de « poser de bonnes questions », y compris en interne.

Pire et meilleur souvenir

Contre toute attente, son meilleur souvenir est quand on lui demande « D’Aucy (1992-2012). Sa remise en route en avril 2014 est des plus pertinente avec Val Union BFC et toutes ces espèces végétales confondues ». Le tout couplé à une plateforme logistique idéale de 20.000 m2. Sans oublier le développement en cours de Selvah pour le marché porteur des protéines végétales. « Nous sommes la seule organisation à maitriser tout le puzzle : Artemis pour les essais, Val Union pour les semences, la collecte et la transformation » primaire, avec Extrusel (Chalon) et Selvah (Ciel). « Nous avons un formidable territoire, à nous de l’optimiser, de valoriser le triptyque climat/sol/plante, voire d’aller plus loin pour les agriculteurs avec de nouveaux métiers : l’énergie et la séquestration du carbone ». A condition que ces derniers soient reconnus et valorisés. La France fera-t-elle ce choix ? Ce serait sans doute l’occasion de rajouter un chapitre à l’Histoire en « taxant les produits qui rentrent avec du charbon… d’Inde et de Chine ». Car « les règlementations peuvent aussi être des barrières à l’entrée » du Pays ou d’un marché. A condition d’éviter les « injonctions contradictoires » en France et en Europe comme la fermeture des voies ferrées secondaires SNCF obligeant à remettre sur la route 50.000 t de céréales via les camions Logivia.

Les fondamentaux de la vie… rurale

Ne voulant pas tomber dans le syndrome du retraité « qu’un rien n’occupe », Michel Duvernois va lire plus de livres certes, profiter plus de sa famille surtout mais bien aussi continuer de surveiller l’économie agricole et s’investir dans sa commune de Saint-Loup-de-Géanges (1.700 ha), dont il est le 1er adjoint. L’occasion aussi de garder un œil sur les vignes à haut rendement plantées en Bresse… L’heure méritée de souffler un peu néanmoins. « Dans mon métier, je vivais du stress pour abattre beaucoup de travail. J’arrive à un âge où la réflexion sur le sens de la vie, servir une cause… redonnent du fond aux belles idées et beaux projets. Avec l’expérience accumulée, j’ai envie de donner de mon temps à des sujets fondamentaux ». Un nouveau défi, ou plutôt un paradoxe, pour un homme qui a déjà marqué profondément de son empreinte l’agriculture et la viticulture de Saône-et-Loire. Voire bien au-delà.

Gilles Guillaume : le géo-tacticien des appros

Gilles Guillaume : le géo-tacticien des appros

Ce n’est pas un hasard si Michel Duvernois lui a demandé de rempiler une année de plus pour partir à la retraite ensemble. Gilles Guillaume a tout de suite accepté, tant il est lui aussi, passionné par son métier et par « le concept coopératif : rémunérer le travail plutôt que le capital ». Car derrière son poste de directeur des approvisionnements à Bourgogne du Sud, Gilles Guillaume est un théoricien les pieds dans la terre et la pratique. Il faut dire que son métier consistait à connaître autant les produits que la géopolitique. Sa « connivence » avec Michel Duvernois lui permettait de lui tenir tête parfois, toujours avec un discours « franc ». Ce qui amenait du respect de part et d’autre. Le lieutenant parfait en quelque sorte pour motiver les troupes ensuite sur le terrain. Grand sportif accompli, Gilles Guillaume est fier d’avoir mis quasiment toutes ses équipes au sport. N’allez pas croire que c’est anecdotique : « j’ai banni les repas au restaurant avec les fournisseurs », rigole-t-il encore. Et au sein de la coop, « il n’y a plus que deux fumeurs », sensible à leur santé. Son autre fierté est « d’avoir maintenu le lien avec les adhérents », pas évident pourtant à un tel poste. La stratégie de ventes des intrants est en effet cruciale pour eux mais il n’y a pas le droit à l’erreur sur les quantités ou prix. « Le sujet de demain sera le stockage de l’eau, la maîtrise du changement climatique avec en clé de voute : la sélection variétale », prédit-il, lui qui ne supporte plus le « tabou » des politiques français autour de ces sujets. La retraite sonnée depuis juin, Gilles Guillaume garde le lien avec ses (ex)collègues, prépare un triathlon et s’adonne à la lecture d’ouvrages complexes, comme le dernier en date sur l’intelligence artificielle. Comme si presque rien n’avait changé.