Gel de printemps
De +26 °C à -8 °C en quelques jours !

Cédric MICHELIN
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Avec les fortes chaleurs fin mars (record de +26 °C enregistré à Autun !), le cycle végétatif s’est accéléré. Partout les cultures se sont réveillées. En viticulture et arboriculture, le débourrage faisait poindre les premiers bourgeons. La catastrophe était alors prévisible avec une première vague de froid annoncée entre le 5 et 8 avril, avec jusqu’à -8 °C dans le Nord Mâconnais. Même s’il est encore trop tôt pour chiffrer les pertes (des gelées sont encore annoncées), la récolte 2021 semble bien entamée.

De +26 °C à -8 °C en quelques jours !

Il n’est pas rare d’avoir des gelées au mois d’avril en Saône-et-Loire mais beaucoup plus, d’avoir +25 °C à Autun fin mars près du Morvan central. C’est cette incroyable chaleur estivale qui a lancé le cycle végétatif des vignes – surtout en cépage chardonnay – dans tous les vignobles, précoces comme tardifs, du Nord Beaujolais au Couchois et Maranges. Du 5 au 8 avril, les températures ont alors brusquement chuté. Vent glacial, neige surprise, froid intense ont alors grillé les bourgeons et feuilles étalées des vignes. Rien n’y a fait (bougies, éoliennes…). Pire, chaque nuit apportait son lot de désolation différent : en haut de coteau, puis dans les bas et enfin partout.
S’il est encore trop tôt pour estimer précisément les pertes (surtout avec de nouvelles gelées humides annoncées), les visites avec les services de l’État et élus ont fait état de nombreux bourgeons « grillés », de l’ordre de 75 à 100 % sur de larges secteurs, du Sud Mâconnais jusqu’au Chablisien. Les pinots noirs de la Côte de Beaune et de Nuits les plus tardifs seront peut-être épargnés. Sinon, toute la Bourgogne voit déjà sa récolte 2021 bien entamée, après des années 2019 et 2020 qui n’avaient déjà pas fait le plein partout.

Jusqu’à -8 °C à Azé

Dès le lendemain de la nuit la plus froide (-8 °C enregistré à Azé), soit dans la nuit du jeudi 7 au vendredi 8, le préfet de Saône-et-Loire et de nombreux parlementaires et élus, dont André Accary, président du Département, venaient constater l’ampleur des dégâts. Dès l’arrivée au Domaine Cheveau à Pouilly-Fuissé, Aurélie, la présidente du cru montrait les dégâts sur les bourgeons de chardonnay. Même terrible constat à Chânes, à Prissé, à Azé, à Lugny. « Au vu des dégâts, nous allons travailler tous ces prochains jours, ensemble, pour trouver des solutions à court et moyen termes pour vous permettre de traverser cette mauvaise passe », assurait de son soutien le préfet, Julien Charles (lire aussi en page HH). André Accary le rejoignait « pour regarder comment venir en complément de l’État, en adaptant nos dispositifs » départementaux.

Des témoignages poignants

Les cœurs étaient lourds et les corps fatigués pour beaucoup après trois nuits d’angoisse et de lutte vaine. « Il va falloir qu’on tienne le coup financièrement. Nous sommes très engagés avec des emprunts et des frais », alertait Marie-Pierre Manciat-Poncet à Chânes qui a investi dans des disques émotteurs par exemple pour passer progressivement ses 23 ha en bio. Même inquiétude pour Mathieu Jambon, hors cadre installé en 2019 et vigneron aux Terres Secrètes. « J’ai déjà gelé en 2019 et là, à nouveau, tout est grillé. Cela fait un coup au moral. J’ai 23 ans et je me pose des questions pour l’avenir. J’ai certes l’assurance collective de la cave, mais avec la fiscalité compliquée, ce coup dur va encore me mettre un peu plus la tête sous l’eau ». À Azé, une jeune vigneronne confirmait cette série noire d’aléas « depuis quatre ans. Si mes parents n’étaient pas derrière moi pour m’aider avec du matériel amorti, cela ne passerait pas. On demande juste un Smic. Pas étonnant de voir de moins en moins de jeunes ici quand nos copains ont un salaire ailleurs ».

De nombreuses questions

Si forcément à ce stade, plus de questions - que de réponses - restent en suspens, les revendications de la profession sont nombreuses à court, moyen et long termes. Dès mercredi, les services de la DDT débutaient leurs tournées pour lancer le dossier de reconnaissance en calamités. Des courriers étaient envoyés à de nombreuses autres administrations et organisations dont l’exonération de charges MSA ou le dégrèvement TFNB. Les questions de revoir les fermages viticoles, les charges sociales et la fiscalité « pesants sur la trésorerie l’année suivante », revenaient fréquemment comme la question d’une assurance gel, garantissant tant les cultivateurs que les assurances via un soutien de la France et l’Europe avec le FMSE par exemple.
Avec la crise Covid et la fermeture des restaurants ou marchés export, la profession veut voir le remboursement des prêts garantis par l’État prolongés au-delà des dix ans. La recherche variétale et technique est appelée à accélérer sur ces questions techniques du changement climatique. Mais aussi travailler en interne à revoir les « dogmes » de l’INAO sur les cépages, densités, hauteurs de palissage… dans le cahier des charges des AOC ou encore le « déplafonnement » des VCI ou mise en place de réserves « comme en Champagne sans perte de qualité les bons millésimes ». Des mesures qui ne coûteraient rien à l’État.

Enfin, interpellé par un jeune vigneron craignant des attaques lors des prochains traitements, le préfet Julien Charles redisait que « la profession a fait un travail remarquable depuis des années pour améliorer ses pratiques et sur la charte ZNT » et que les services de l’État « comprendont très bien votre besoin actuel de protéger vos cultures ».

Des chardonnays durement touchés

S’il est évidemment trop tôt pour évaluer les pertes, les premiers échos n’étaient vraiment pas optimistes. Avec une végétation avancée et des températures jusqu’à -7 °C sur les communes du cru Pouilly-Fuissé, « les dessus sont pris à 100 %, les bas de coteau quasi tout autant et les mi-côteaux entre 20 et 70 % ». Sur Vinzelles et Loché, « entre 35 et 80 % », annonçait Françoise de Lostende. Sur les 900 ha de la cave des Terres Secrètes, « 70 % des bourgeons de chardonnays sont détruits avec peu d’espoir de reprise et des bois bien touchés aussi », expliquait Michel Barrault, le président. Plus au nord encore, Azé et Igé « sont pris à près de 100 % », confirmaient Dany Grandjean et Stéphane Léonardi, les présidents de caves. Lugny regarde aussi le nombre de pieds touchés.

Du côté de la Côte chalonnaise, entre 80 et 100 % de bourgeons et feuilles touchés en chardonnay annonçait Laurent Juillot. Idem en pinot noir pour les parcelles précoces. À voir dans les parcelles tardives mais au moins 50 % touchées. Lors d’une réunion de crise samedi matin à Mercurey, Montagny déplore « entre 50 et 95 % des chardonnays » touchés, avançait Laurent Cognard. Les 300 ha du cru Givry verrait « la moitié des chardonnays et pareil en pinot », selon Baptiste Lumpp. « 80 à 100 % des chardonnays précoces » à Mercurey et « 30 à 70 % des tardifs » pour Loïc de Suremain. « Avec -6 °C, 65 % des belles sorties de chardonnay » à Rully sur tous les secteurs avec une neige qui a amplifié les dégâts, notait David Lefort. Même triste constat à Bouzeron où les « chardonnays ont grillé et séché avec le vent polaire, le gel advectif et radiatif », insistait Pierre de Benoist qui voit aussi des dégâts sur aligotés.

 

Une saison de fruits compromise

Sébastien Curtil du verger de la Panetière à Uchizy était à Lugny pour témoigner au nom de ses confrères arboriculteurs des pertes de récolte subies de partout. « La première nuit du 5 avril, avec les bougies, on s’en est sorti dans les fruits à noyaux (pêches…). La deuxième nuit, on a été surpris. La météo annonçait -2 °C et à 4 h, c’était trop tard, il faisait -5,7 °C. La troisième nuit a été plus froide encore. Nous avions pourtant une superbe fin de fleur en fruit à noyaux et c’était le début de la floraison des pommiers. On va se laisser un peu de temps, car l’impact n’est pas encore totalement visible ».

Quand le Covid s’en mêle… et grippe la météo

De nombreux vignerons se sont dit surpris par le froid, autour de -5 à -7 °C dans la nuit du 7 au 8 avril, alors que les prévisions météo n’annonçaient parfois que -2 °C. « Avec le Covid, de nombreux avions ne décollent pas et les prévisions de Météo France sont moins précises. Nous avions allumé nos bougies mais avec -7 °C à Bouzeron, nous avons usé des cartouches pour rien. Nous venons de repasser une commande collective pour des bougies (paraffine) à Rully qui sont en rupture et ne seront livrées que le… 26 avril. Et je ne veux pas utiliser des bougies de mauvaises qualité (pétrole) car sur les réseaux sociaux, il y a de nombreuses critiques sur l’odeur, le nuage noir en Côte-d’Or, ou l’impact sur l’environnement », expliquait Pierre de Benoist.