Dépêche juridique
Prorogation du bail jusqu’à l’âge de la retraite

SERVICE JURIDIQUE DU GROUPE FDSEA 71 
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Il a récemment été jugé que la possibilité de prorogation du bail jusqu’à l’âge de la retraite est inconstitutionnelle.

Prorogation du bail jusqu’à l’âge de la retraite

Dans le cadre d’un bail rural, le preneur dispose d’un droit au renouvellement de son bail. Le contrat se renouvelle de plein droit par période de 9 ans. 
Le bailleur dispose lui d’un droit de reprise pour exploiter. Ce droit de reprise suppose de respecter des conditions strictes de forme et de fonds. 
Si l’ensemble des conditions posées par le code rural sont respectées, le bailleur peut récupérer le bien à l’échéance du bail. 
Cependant, le bailleur peut se retrouver empêcher d’exercer son droit de reprise lorsque le preneur se trouve à moins de cinq ans de l’âge de la retraite. Ce dernier peut demander la prorogation du bail jusqu’à atteindre l’âge correspondant. 
Le code rural dispose alors que le bailleur doit renvoyer un congé pour reprise au preneur.
C’est précisément cette dernière obligation qui a été jugée inconstitutionnelle. 

Le droit de reprise du bailleur

L’article L. 411-58 du code rural dispose du droit de reprise du bailleur. 

Le propriétaire d’un fonds rural loué par bail a le droit de refuser le renouvellement du bail s’il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, ou d’un descendant majeur ou mineur émancipé. 

Ce droit de reprise est strictement encadré par le code rural. 

    Sur les conditions de fonds de la reprise 

Le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l’exploitation du bien repris pendant au moins 9 ans, soit à titre individuel, soit au sein d’une société, de manière effective et permanente. 

Il doit disposer du cheptel et du matériel nécessaire ou avoir le moyen de les acquérir. 

Il doit également habiter à proximité du fonds en permettant une exploitation directe. 

Enfin, le bénéficiaire doit répondre aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle et bénéficier d’une autorisation d’exploiter. 

La reprise est également subordonnée à des conditions rigoureuses de forme. 

 

    Sur les conditions de forme de la reprise 

La reprise s’exerce au moment de l’expiration du bail. C'est-à-dire tous les 9 ans pour un bail « classique ». 

Le bailleur qui entend exercer son droit de reprise doit notifier congé au preneur, par acte d’huissier, 18 mois avant le terme du bail (article L. 411-47 du code rural). 

Ainsi, pour un bail qui arrive à échéance le 10 novembre 2023, le bailleur doit notifier congé avant le 10 mai 2022. 

Passé ce délai, le congé est inefficace. 

Le congé doit comporter la désignation complète, à peine de nullité, du bénéficiaire de la reprise (nom, prénom, âge, domicile, profession) et reproduire l’alinéa 1er de l’article L. 411-54 du code rural, mentionnant la possibilité pour le preneur de contester le congé dans un délai de quatre mois. 

En principe, si l’ensemble des conditions de fonds et de forme sont réunies, le bailleur peut reprendre le bien à l’expiration du bail. 

Exception au droit de reprise : la prorogation du bail jusqu’à l’âge de la retraite  

Il est prévu par le code rural, à l’article L. 411-58, que le preneur peut s’opposer à la reprise lorsque lui-même ou, en cas de co-preneurs, l’un d’entre eux, se trouve à moins de cinq ans de l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles, soit à moins de cinq ans de l’âge lui permettant de bénéficier de la retraite à taux plein. 

Dans chacun des cas, le bail est prorogé de plein droit pour une durée égale à celle qui doit permettre au preneur d’atteindre l’âge correspondant.

Le preneur doit, dans un délai de quatre mois à compter de la réception du congé, notifier au propriétaire, par lettre recommandée avec accusé de réception, sa décision de s’opposer à la reprise ou saisir directement le tribunal paritaire des baux ruraux.  

Un même bail ne peut être prorogé qu’une seule fois. Pendant cette période, aucune cession du bail n’est possible. 

Si le bailleur entend reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation, il doit de nouveau donner congé dans les conditions ci-dessus rappelées. 

C’est sur cette obligation qu’un bailleur a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). 

QPC : prorogation du bail jusqu’à l’âge de la retraite et droit de propriété 

Une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) permet à une partie à un procès de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. 

Dans ce litige, une propriétaire de parcelles de terre données à bail à ferme a signifié au preneur un congé pour reprise. Ce-dernier a saisi le tribunal d’une contestation du congé et a sollicité la prorogation du bail pour une durée égale à celle devant lui permettre d’atteindre l’âge de la retraite. 

La bailleresse a sollicité le Conseil constitutionnel sur la question de savoir : 

Si l’obligation imposée par l’article L. 411-58 du code rural, en ce qu’elle impose au bailleur de délivrer un nouveau congé pour reprise, 18 mois avant la fin de la période de prorogation, porte atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre constitutionnellement garantis par les articles 2, 4, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? 

Le problème se pose lorsque le preneur exerce son droit de prorogation moins de 18 mois avant d’atteindre l’âge de la retraite, rendant alors impossible pour le bailleur de délivrer congé dans le délai imposé, 18 mois avant la fin de la prorogation. 

Réponse du Conseil constitutionnel 

Dans une décision du 11 mars 2022, le Conseil constitutionnel a tranché. 

La disposition contestée a pour but de garantir la continuité des exploitations agricoles en s’assurant qu’à l’issue de la période de prorogation, le bailleur souhaite toujours reprendre son bien en vue de l’exploiter et remplit les conditions pour ce faire. 

Cependant, il résulte que dans le cas où le preneur s’oppose à la reprise moins de 18 mois avant l’expiration de la période de prorogation, le bailleur est placé dans l’impossibilité de notifier un nouveau congé dans le délai imparti. 

Ainsi, le troisième alinéa de l’article L. 411-58 du code rural est contraire à la Constitution, au motif que ces dispositions portent au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. 

Alors, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, en cas d’opposition du preneur à la reprise du bail dans les conditions de l’article L. 411-58 du code rural, le bailleur n’est pas tenu de délivrer un nouveau congé en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles si la durée de la prorogation du bail résultant de cette opposition est inférieure à 18 mois.