Prédation
Loup : la souffrance des professionnels est un angle mort

La Mutualité sociale agricole (MSA), l’Unité mixte technologique Pastoralisme et le Réseau mixte travail en agriculture ont organisé fin mai un webinaire sur la « santé et conditions de travail dans un contexte de prédation ». Les réactions face à la prédation lupine sont loin d’être homogènes ont expliqué les différents intervenants. 

Loup : la souffrance des professionnels est un angle mort

Sans même parler des chiffres officieux ou de la vérité des chiffres de la profession agricole, les chiffres officiels sont déjà criants de vérité : environ 1.100 loups peuplent actuellement le territoire français. Ils se sont implantés de manière pérenne dans 56 départements. La hausse de la population lupine a également eu un impact sur les attaques qui se sont multipliées ces 15 dernières années : 1.081 en 2010, plus de 4.000 fin 2023, soit un quadruplement en l’espace de 13 ans, faisant aujourd’hui de la Saône-et-Loire un des dix départements les plus prédatés de France ! Les chiffres sont éloquents : 9 attaques sur 10 se produisent dans des élevages bénéficiant pourtant d’un moyen de « protection » avec 435 bovins et 22 équins prédatés en 2022, et un doublement du nombre de brebis victimes d’attaques en région Bourgogne-Franche-Comté.

Au-delà des attaques et des indemnisations, l’impact psychologique sur les éleveurs et les bergers reste encore peu étudié : « la souffrance des professionnels reste un angle mort », a expliqué Antoine Doré, sociologue et auteur, avec son collègue Frédéric Nicolas, d’une étude en 2022*. La réaction à une attaque de troupeau dépend d’un très grand nombre de facteurs : l’histoire personnelle de l’éleveur, les circonstances de l’attaque, les soutiens amicaux et moraux, etc. « Certains éleveurs peuvent être victimes de plusieurs attaques et être résilients parce qu’ils conservent malgré tout un sentiment de maîtrise de la situation quand d’autres s’effondrent psychologiquement dès la première attaque car ils se sentent impuissants et débordés et qu’ils ont du mal à donner du sens à la situation », a-t-il indiqué. L’entourage semble aussi jouer pour beaucoup et « le sentiment de solitude et d’isolement peut être réel, même quand on est entouré », car être entouré ne veut pas dire forcément « compris ».

Fragilité psychologique

La vulnérabilité liée au loup (il n’existe pas d’études sur celle liée à l’ours) est donc plurielle et diverse. La perception que les bergers (bergères) et éleveurs (éleveuses) peuvent ressentir la présence du loup, qu’il y ait attaque ou non, est aussi dépendante de leur place dans le groupe, dans la société. C’est ainsi qu’un « troupeau attaqué peut être perçu comme un troupeau mal protégé et donc comme une faute professionnelle », ce qui vient « à remettre en cause les compétences », a souligné Antoine Doré. Pis. Le fait de toucher des indemnisations peut aussi renvoyer à l’image d’un métier d’assisté et les incidents que les chiens de protection peuvent parfois causer aux populations de touristes font entrer les éleveurs et bergers dans un cycle juridique infernal. C’est souvent le sentiment d’incompréhension qui domine chez eux, car leurs chiens de protection sont financés en partie par l’État et ils se retrouvent malgré eux devant les tribunaux… de l’État. Quand un éleveur vient à tuer un loup, même en état de légitime défense, il se retrouve devant les tribunaux pour destruction d’espèce protégée. « Sans le demander, il bascule dans la sphère de la délinquance », a expliqué Ludovic Martin, consultant, qui a notamment étudié les facteurs de risques pouvant affecter la santé des éleveurs pastoraux transhumants et des bergers. « Le fait de passer au tribunal entre un dealer et un délinquant routier peut contribuer à renforcer leur fragilité psychologique », a-t-il affirmé. L’effet du loup s’invite également dans la sphère intime et familiale en particulier pour les enfants de bergers et d’éleveurs parfois stigmatisés sur les bancs de l’école.

Menaces de mort et lobby des ONG

Cette perception d’isolement et ce sentiment d’impuissance peuvent s’amplifier au sein même des relations professionnelles. « Le loup a un effet clivant sur les groupes sociaux », a souligné Antoine Doré, expliquant que les élus agricoles (syndicats, Chambres d’agriculture…) sont souvent en deuxième ligne. Leur prise de position contre le loup peut les exposer plus fortement (car ils ne sont pas victimes de prédation directe) à des critiques en direct ou par le biais des réseaux sociaux. « Certains élus ont été mis au ban d’un groupe pour avoir participé au Groupe national loup ». D’autres éleveurs ovins ont même été menacés de mort par des ONG environnementalistes a témoigné un ancien élu de la Chambre d’agriculture de l’Aveyron, qui voit nombre d’ONG et associations pro-loup faire pression sur les agents des services publiques également. Il ne faut pas oublier la pression exercée sur les éleveurs et il faut prendre au sérieux ces effets indirects et symboliques sur la santé. Des expériences sont menées à la MSA Alpes-Vaucluse qui organise des formations à destination des bergers, par exemple sur le secours en montagne, sur la gestion des conflits pour les éleveurs, et par des réunions d’information avant la montée sur les estives. Dans la MSA Alpes du Nord, « nous expérimentons les aides bergers en lien avec les fédérations d’alpages du territoire depuis deux estives. Il est nécessaire de bien cadrer les missions de chacun. Cela soulage en effet les éleveurs, mais le cadrage des missions est essentiel », a mentionné Pascale Jeuilly, médecin à la MSA.

(*) Face aux loups – Inrae Occitanie. https ://hal.science/FACEAUXLOUPS

 

Le festin des loups 

Le festin des loups 

Éleveur de brebis et maire de Prévenchères, petit village de 250 âmes en Ardèche, Olivier Maurin pousse un véritable cri d’alarme face aux attaques de loups dont ses troupeaux sont régulièrement les victimes. Entre difficulté à protéger les brebis béliers et agneaux contre le prédateur (« les mesures de protection sont un leurre ») et désaffection des jeunes générations pour le métier, perte de biodiversité, il dénonce « l’étau juridique » avec des réglementations complexes et incompréhensibles et surtranspositions impossibles et « l’étau politique » dans lesquels les éleveurs sont enferrés.

Il va même jusqu'à dénoncer une forme de « nouvelle dépossession paysanne », stigmatisant le nouveau servage imposé par les partis politiques écologistes radicaux et leurs recettes dogmatiques. Il s’inquiète de la disparition, à terme, de tous les acteurs des espaces ruraux, chassés par des politiques de ré-ensauvagement et de sanctuarisation. Même si, au-delà de cet accablement, Olivier Maurin appelle à tenir bon sur les territoires en multipliant les projets de développement comme le photovoltaïque ou les barrages qui ont permis de lutter contre les épisodes cévenols, au grand dam des « pseudo-écolos-bobos » urbains… 

Le festin des loups – Olivier Maurin – Editions Première partie 224 pages – 18,50€