La Grappe d'or à Lugny
Un domaine à 100 à l’heure

David Bessenay
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L’exploitation de la famille Gayet fait partie des quelques domaines viticoles saône-et-loiriens qui dépassent la barre des 100 hectares. Alors évidemment, le parcours cultural et les itinéraires techniques doivent être maîtrisés sur le bout des doigts.

Un domaine à 100 à l’heure
« Pour l’instant, on arrive à maîtriser les maladies même si les fenêtres de tir sont limitées », commentent les vignerons.

« Je n’ai jamais vu ça, on ne peut pas rentrer dans les parcelles, c’est gorgé d’eau. On traite quand on peut, il n’y a pas de jours fériés : ni de 1er, ni de 8 mai, ni de jeudi de l’Ascension ». (N. D. L. R. : entretien réalisé le 15 mai).

En ce printemps 2024, on cause de la pluie et du beau temps plus souvent qu’à l’ordinaire, et avec 100 ha à suivre, d’aucuns paniqueraient, mais ce n’est pas le cas ici. Le triumvirat Joël (60 ans) et ses neveux Florian (36 ans) et Cédric (37 ans) connaît par cœur la partition, quand bien même l’eau vient compliquer à la fois la gestion de l’herbe et les traitements phytosanitaires.

L’exploitation, qui ne comptait « que » 20 ha en 1985 arrive à son apogée avec sa centaine d’hectares dont 40 en propriété. Non pas que la famille Gayet ne veuille pas voir plus grand « mais c’est tellement difficile de trouver de la main-d’œuvre et notamment des tractoristes », regrettent les viticulteurs. Elle s’étend de Tournus à Péronne et jusqu’à La Chapelle-sous-Brancion pour produire du mâcon, mâcon-villages, mâcon-lugny, mâcon-chardonnay, bourgogne rouge et crémant de bourgogne, le tout vinifié à la cave coopérative de Lugny.

Bandes enherbées

Sur cette exploitation à 90 % recouverte de chardonnay (s’ajoutent 10 ha de pinot et 1 ha d’aligoté), les viticulteurs ont harmonisé au maximum leur densité de plantation (7.200 pieds/ha, écartement de 90 x 135 cm). Au sol, le choix a été fait de maintenir une bande enherbée permanente (raygrass) et de désherber chimiquement sous le cep. Elle nécessite ordinairement deux tontes annuelles, « mais sûrement trois cette année », et surtout d’être bien maîtrisée pour ne pas venir affecter la vigueur des plants. « Bon an mal an, on atteint les rendements maximums autorisés de l’appellation », précisent les vignerons.

Dans le cadre d’un essai avec le Vinipôle (lire par ailleurs), un paillage de copeaux de bois a été installé sous le cep. « C’est la deuxième année. La première, on n’a pas vu d’herbe, mais là, ça commence à passer à travers, mais pas les érigerons », commente Cédric. L’autre intérêt de cette modalité, c’est qu’elle permet de conserver de l’humidité sous les rangs. Bon, pour 2024, cela paraît superflu. Pour ces essais, les techniciens du Vinipôle mesurent tout néanmoins. « Ce gros boulot d’installation s’est fait à la brouette, donc à un coût non négligeable ». Et mauvaise surprise, la parcelle concernée a baissé de vigueur « peut-être à cause de l’acidité des copeaux de bois ? », s’interroge Joël qui reconnaît toutefois que cette solution « peut être intéressante dans les ZNT » (zones de non-traitement). Car ici comme ailleurs, il faut s’adapter à la présence des riverains. La zone en question s’étend sur 1,5 ha où l’« on traite avec des produits homologués bio. On ferme les rampes extérieures pour éviter au maximum les risques de dérive et on prévient les voisins notamment via l’application Agricivis. Globalement, ils sont compréhensifs ».

Des hommes et des machines

Pour conduire ce domaine, les vignerons font appel à une équipe de cinq salariés permanents à laquelle s’ajoutent de nombreux travailleurs saisonniers, notamment via le groupement d’employeur (GED Agri Emploi Rural 71). « Heureusement qu’il est là sinon, on aurait du mal à recruter. Il fait venir notamment des Bulgares ».

Et puis surtout, l’EARL de la Grappe d’or dispose d’une impressionnante flotte de matériels : une dizaine d’enjambeurs, trois pulvérisateurs face par face. « Ils sont toujours montés, en cas d’urgence, on peut ainsi intervenir avec trois engins. Nous sommes réactifs, nous ne voulons pas passer notre temps à monter et démonter ».

Pour la récolte, le domaine ne compte pas moins de quatre machines à vendanger auxquelles s’ajoutent une soixantaine de vignerons sur 10 à 12 jours pour le crémant et ainsi répondre aux besoins de la coopérative et du marché. « C’est rémunérateur, reconnaissent les vignerons, on a installé des clones productifs pour cela. On ramasse jusqu’à 1.000 cagettes dans la journée, c’est pour cela qu’on a investi dans un robot, et bientôt un deuxième, pour les ramasser ». La veille de la récolte, une effeuilleuse à flux d’air (qui déchiquette les feuilles sans abîmer les raisins) entre en action et fait gagner un temps considérable sur la cueillette.

Même si évidemment l’essentiel du matériel est en pleine propriété, le domaine est adhérent à la Cuma de Lugny pour du matériel complémentaire comme une broyeuse cailloux et surtout l’aire de lavage et le traitement des effluents viticoles ainsi que le stockage des produits phytos dans des algecos dédiés.

L’innovation au cœur de la stratégie

Toujours pour répondre à la demande de la coopérative, le domaine cultive 60 ares en bio, « près de la maison pour intervenir plus facilement ». Un engin est spécifiquement équipé d’outils de travail du sol (lames interceps, disques émotteurs), il sert aussi sur les jeunes plantations. Mais le volume de travail et le rendement moindre n’incitent pas à en faire plus, car tout mis bout à bout, la rémunération finale n’est pas forcément plus élevée, estime la famille Gayet, pragmatique.

Dans cette quête d’une productivité optimum, le domaine mise sur l’innovation technologique. « On a monté des capteurs embarqués sur un enjambeur, pour détecter pieds malades, mildiou, oïdium, manque de vigueur (croissance foliaire, rendements). C’est un système proposé par l’entreprise Chouette, c’est elle qui reçoit les données transmises via un satellite ». Un nouvel investissement conséquent, mais avec l’objectif de faire des économies par la suite : être le plus juste, le plus précis sur l’apport d’engrais et les traitements phytosanitaires.

L’EARL de la Grappe d’or poursuit sa marche en avant aussi sur le matériel végétal. « On a rebroché 11.000 plants cette année, le bois noir et l’esca font du mal. Heureusement pour l’instant la flavescence dorée semble maîtrisée sur le secteur. Nous sommes vigilants, nous participons aux prospections ».

Et le domaine prévoit encore des plantations nouvelles même si parfois, il faut trouver les bons mots pour convaincre des propriétaires récalcitrants. « Quand on arrache, on sème du trèfle et de la fèverole. On replante au bout de 3 ou 4 ans, même si dans l’idéal, il faudrait attendre plus ! »

PROTECTION

Gel, grêle, sécheresse, comment la Grappe d’or se défend

Face aux fléaux climatiques qui frappent le vignoble, la grappe d’or ne reste pas inactive.

Chaque année, la même angoisse ressurgit au moins d’avril. Pour ne pas rester les bras croisés la Grappe d’or a investi dans trois tours mobiles programmables. Un investissement conséquent, environ 40.000 € l’unité, heureusement en partie subventionné par FranceAgriMer. Mais pour l’instant, difficile d’en tirer des conclusions probantes. « Nous avions décidé d’en laisser sur place, mais elle a été… pillée, désossée ! », peste Joël. « Alors cette année, nous avons attendu… mais trop, il y avait plus d’humidité et moins de vent que prévu. Les deux autres tours sont… hors service ». Résultats des courses, ce sont environ 8 ha qui ont été touchés et la perte de récolte pourrait avoisiner 50 %. Au-delà de ces avaries du moment, « je ne suis pas sûr qu’une tour suffise, analyse le vigneron qui fera bientôt valoir ses droits à la retraite, il faudrait ajouter une source de chaleur pour gagner les degrés suffisants ».

Le domaine pratique par ailleurs une taille et un curage des baguettes tardifs sur les secteurs les plus gélifs. « On a attendu fin mars, mais la sève avait déjà monté ».

Pour la grêle, le domaine va s’équiper cette année de filets protecteurs sur un hectare. La mise en place ne devrait pas tarder. « Cela nécessite la pose manuelle d’accessoires, ensuite, on utilisera un dérouleur automatique. C’est une première alors, on va sûrement y passer du temps ». Et en espérant que la grêle ne choisisse pas un autre couloir !

Quoi qu’il en soit, les solutions de protection choisies sont donc techniques et non assurantielles. « On a fait nos calculs », justifient les vignerons.

Pour la gestion des épisodes de sec, là encore, pas de solutions miracles en vue, « il n’y a pas de porte-greffes ou de variétés spécialement résistantes » autorisés en AOC pour l'heure. Si les vignes solidement enracinées parviennent à résister, le sujet est plus délicat pour les jeunes plants : « ils perdent du rendement et dans certains cas, ils crèvent. C’est encore pire pour nos rebrochages. Pour certains, c’est la troisième fois qu’on recommence. Ça finit par coûter ».

La mécanisation est un poste lourd mais indispensable d’investissement pour la Grappe d’Or qui s’inquiète de la difficulté de recruter des tractoristes.