Observatoire prospectif de l’agriculture Bourgogne Franche-Comté
Un tiers des exploitations fragilisées

Cédric MICHELIN
-

Depuis presque deux ans et notamment depuis le début de l’épidémie de Covid-19, « beaucoup de choses ont changé » du côté de l’économie agricole. L’observatoire prospectif de l’agriculture Bourgogne Franche-Comté, co-piloté par la Chambre régionale d’agriculture et le Cerfrance Bourgogne-Franche-Comté, ne fait pas d’autre constat, ainsi que du côté technique, avec le changement climatique sur ces dix années écoulées.

Un tiers des exploitations fragilisées

Pour Christian Morel, nouveau vice-président à l’agriculture au Conseil régional, « cet état des lieux nous donne des idées et donnera des idées aux agriculteurs pour mener à bien des projets, donnera des perspectives aux agriculteurs et des références pour le renouvellement des générations ». Car lors de ces dix dernières années, l’agriculture de Bourgogne Franche-Comté a bien changé (lire notre précédente édition). « Sur une dizaine d’années, les écarts se creusent entre filières rémunératrices – lait AOP et viticulture – et celles moins rémunératrices – grandes cultures et allaitant », explique Vincent Landrot, président du CerFrance Bourgogne-Franche-Comté qui voit encore des différences à l’infini, entre cultures de plaine ou des plateaux ou entre naisseurs et engraisseurs. Les deux élus qui introduisaient cette restitution de l’observatoire auprès de plus de 140 décideurs de la région, en webinaire le 7 septembre dernier (et plus avec le replay), expliquaient qu’il faut maintenant commencer à regarder l’impact de la future réforme de la Pac. L’objet de prochaines études.

Des produits marqués par le Covid

En attendant, Nicolas Roche du CerFrance Alliance Centre rentrait dans les détails des chiffres 2020. Il résumait en une phrase l’année 2020 : « des effets climatiques négatifs mais avec des prix et des résultats pas toujours en baisse ». Ce ne fut pas tout à fait le cas pour les grandes cultures, avec des rendements en baisse, des cours certes en hausse, mais un résultat final de -11 % de chiffre d’affaires par rapport à 2019. En viticulture, sur la vente du millésime 2019 en 2020, les chiffres d’affaires en moyenne sont orientés à la baisse (-10 %) ou légèrement à la hausse (+2 %) selon ses ventes bouteilles en direct ou non. En bovin allaitant, l’effet sécheresse est plus difficile à analyser encore puisqu’il s’agissait de la troisième de suite après 2018 et 2019. L’évolution en pourcentage (-3 %) n’est pas forcément parlante. « En 2020, les cours des mâles étaient à la baisse mais à la hausse sur les femelles. Ce qui pèse aussi, c’est la part des cultures (10 % des surfaces totales globalement) ». Pour la filière lait de plaine, la reprise des volumes après la baisse des litrages 2019 aurait pu être positif mais là encore, la partie céréalière est venue neutraliser le chiffre d’affaires. En lait AOP du massif jurassien, la baisse des volumes du début 2020 a été rattrapé en moyenne au second semestre avec une hausse des produits d’exploitation de +3 % au final.
En ovin, avec la hausse des prix des agneaux au printemps, le chiffre d’affaires 2020 finit à +4 % pour les éleveurs spécialisés. En caprin, le produit d’exploitation baisse de -1 % en raison des prix des chevreaux surtout. En porc, les prix 2019 étaient « très bons » mais le second semestre 2020 aura vu les cours baisser pour finir à -6 % sur l’année. Enfin, en volailles, le produit d’exploitation s’est maintenu.

Des charges en hausse

Après les produits, évidemment, il faut aussi regarder les charges « globalement marquées par les prix des matières premières avec des hausses sur l’énergie (pétrole, gaz, etc.) et sur les engrais ». Le climat sec 2020 a au moins eu un côté positif : moins de maladies, donc moins de phytos et d’essence consommés.
Ce qui donne donc au final des résultats courants 2020 par unité de main d’œuvre (€/Utaf comparés à ceux de 2019), quasi stables en viticulture, en lait de plaine ; positifs en lait AOP (+3.000 €/Utaf) ; variables en ovins spécialisés (entre -1.000 à +5.000 €/Utaf) ; mais surtout négatifs en grandes cultures (-16.000 €/Utaf), en bovins allaitants (entre -3.000 et -6.000 €/Utaf), en volailles (-2.000 €/Utaf) et en porc (-17.000 €/Utaf).
Plus que l’évolution annuelle, l’économiste regardait aussi à moyen terme, depuis dix ans. « Les revenus évoluent à la hausse en viticulture et lait AOP du massif jurassien en raison de l’amélioration des prix de vente malgré les hausses des coûts de production (charges). En lait de plaine, cela fluctue avec la forte volatilité des céréales. En allaitant, c’est régulier dans le pas terrible, sans dépasser 10.000 € de revenu par personne. Idem en ovin et pas élevé non plus en caprin. Les porcs connaissent de fortes variations et les volailles restent un cran en dessous », analysait Nicolas Roche.

« Dynamique préoccupante » des cultures

Surtout, il attirait l’attention sur la « dynamique préoccupante » des grandes cultures. Hormis les campagnes 2011 et 2012 aux revenus « très élevés », depuis dix ans c’est la chute libre. Seules deux années - 2017 et 2019 – semblent être "normales". Si 2021 s’annonce meilleure côté prix, cela « ne va pas sauver ces huit années d’érosion » des rendements. Et Nicolas Roche de prévenir : « gardez la tête froide » car ce sont les charges en matériels notamment qui « pourraient, sinon, réduire à néant les bénéfices 2021 ».
Le CerFrance a développé un outil pour tenter de mesurer la santé financière ou le risque des exploitations. Si évidemment, viticulture et lait AOP sont majoritairement "tranquilles" de ce côté-là, si les bovins allaitants « font le gros dos », la santé en grandes cultures, en porcs et en volailles interrogent les comptables surtout au regard des « gros investissements pouvant mettre la santé financière rapidement en péril ».

Les lignes bougent

En Bourgogne Franche-Comté, « une exploitation sur deux est solide mais une sur trois est exposée à une situation financière fragilisée ».
Reste que cet observatoire est une photographie économique à un instant t et ne dit en rien les évolutions à venir. Le climat et la Pac vont jouer, tout comme les attentes sociétales côté achats. De nouvelles certifications, comme le marché carbone, ou des organisations collectives, comme en Comté AOP, les circuits courts, etc., font que les lignes bougent de partout et que les références manquent parfois. D’où la nécessité d’un observatoire annuel. De plus, « les agriculteurs d’aujourd’hui ne veulent pas avoir le même mode de vie que les anciens. Cela évolue également sur la technique où il faut être bon ». Les formes d’organisation du travail jouent également. Les compétences de chacun sont à géométrie variable, conciliables ou pas avec le travail en commun (Gaec, Cuma, coop ou ETA…). « Mais le nerf de la guerre reste le financement, extérieur pas forcément plus facile à gérer, les associations d’agriculteurs semblent plus intéressantes », jugeait Nicolas Roche.
En conclusion, de la chambre d’agriculture régionale, Sophie Dubreuil anticipait la prochaine conférence sur le renouvellement des générations en répondant à une dernière question du Tchat, sur les perspectives de reprise en grandes cultures : « curieusement, on a des reprises à des valeurs semblant déconnectées des résultats ce qui pourrait ajouter des problèmes à terme. Mais les reprises d’exploitations sont bien là », contrairement à d’autres filières. De quoi méditer en attendant la suite de cet observatoire autour de la question du renouvellement des générations.