Marchés céréaliers
Les coopératives face à un marché tendu et incertain

La Coopération agricole-Métiers du grain (LCA-MG) a organisé le 11 octobre une conférence de presse présentant le bilan des récoltes et de la collecte pour 2022. Le secteur fait face à de sérieuses turbulences et s’interroge sur l’avenir.

Les coopératives face à un marché tendu et incertain

« Il faut à tout prix éviter l’effet ciseaux », remarque d’emblée Antoine Hacard, président de la Coopération agricole-Métiers du grain (LCA-MG). Il craint en effet un retournement de tendance sur les cours des grains. S’ils venaient à baisser alors même que les coûts de production devaient rester stables ou augmenter, de nombreux agriculteurs et coopératives pourraient être contraints d’arrêter leurs livraisons. « Aujourd’hui, on s’interroge : la demande va-t-elle tenir le choc ? Notre clientèle industrielle rationne ses volumes d’achat compte tenu du prix des énergies », ajoute-t-il. En effet, depuis 2020, l’inflation énergétique a atteint +350 % pour le gaz et +380 % pour l’électricité. La dégradation du contexte politique et économique « risque de nous conduire à un arrêt de nos unités de production ». Ainsi, un de ses adhérents va-t-il voir sa facture d’énergie passer de 2 millions d’euros (M€) en 2021 à 17 M€ en 2023, « soit trois fois et demie son résultat net de 5 M€ ». L’offre de grains (blé, maïs, colza, tournesol…) sera, elle aussi, en fonction de nombreux facteurs, à commencer par celui des engrais. « Nous avons peu de visibilité sur la disponibilité des engrais azotés », dont le prix a été multiplié par quatre depuis deux ans. « Certains engrais frôlent 1.000 euros la tonne ». La situation est devenue à ce point « préoccupante » que LCA-MG demande la mise en place d’un bouclier énergétique avant le 1er janvier 2023, pour éviter l’arrêt des entreprises et une accessibilité plus effective aux aides de paiement des factures énergétiques. « Le risque de désamorçage » de la filière agroalimentaire est, selon lui, « bien réel ». Son président demande « la possibilité pour les coopératives françaises de reprendre le commerce avec l’usine Eurochem basée à Anvers (Belgique) ». Or cette usine d’engrais, malgré le fait qu’elle soit récemment passée sous pavillon belge, est toujours considérée par les autorités françaises comme ayant un lien capitalistique avec la Russie car son ancien propriétaire était un oligarque : Andrey Melnichenko (*). Or la France est l’un des rares pays européens à ne pas pouvoir accéder aux engrais de cette usine, « créant ainsi des distorsions de concurrence », souligne Antoine Hacard.

Lourds investissements

Ce dernier demande aussi aux pouvoirs publics d’arrêter ses tracasseries administratives sur le stockage d’ammonitrate haut-dosage (Amn 33,5). En effet, l’ammonitrate haut-dosage (Amn 33,5) est le seul à être produit en France et sourcé comme tel. Selon Antoine Hacard, les entreprises qui le fabriquent « ne peuvent pas techniquement le faire passer du haut dosage (33,5 %) au bas dosage (moins de 24,5 %) ». L’inconvénient est que cet Amn 33,5 réclame des sites de stockage très sécurisés. Surtout depuis l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 et Lubrizol et le lancement d’une mission d’évaluation des risques. Celle-ci a mis en évidence des dysfonctionnements dans les infrastructures de stockage portuaire, mais aussi au sein de la filière agricole. Les pouvoirs publics veulent réviser les seuils des installations en les abaissant à 150 tonnes de stockage maximum (**). « On ne tient pas une matinée », rétorque le président LCA-MG qui réfute aussi les arguments des pouvoirs publics. « Ni Beyrouth, ni Lubrizol n’étaient concernés par l’Amn 33,5 », soutient-il, craignant que les agriculteurs ne stockent ces engrais directement chez eux dans des conditions moindres. Or ces derniers seraient contraints à de lourds investissements (« plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’euros ») sans pouvoir répercuter ces coûts sur la chaîne de valeur. Sans engrais, les récoltes de grains pour l’année 2023 pourraient baisser de 25 % entraînant de possibles arrêts d’usine.

 

(*) 7e fortune de Russie et 95e fortune mondiale avec plus de 26 milliards de dollars.

(**) Un récent projet de décret prévoyait de modifier la nomenclature « Installations Classées » concernant les ammonitrates à haut dosage. Le seuil de déclaration devait passer de 250 tonnes pour le vrac et 500 tonnes pour les bigs bags à 150 tonnes uniquement, tout conditionnement confondu. Mais le décret n’a pas encore paru.