Dossier souveraineté alimentaire
Le miel n'est pas loin du dard

Cédric MICHELIN
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Cinquième épisode de notre feuilleton sur l’origine des produits alimentaires emblématiques avec le pot de miel. Malgré une image très positive auprès du grand public, le pot de miel a de fréquents démêlés avec la justice et l'administration, pour tromperie sur sa qualité ou son origine, souvent étrangère. Et même lorsqu’il est produit en France, le miel recourt à des fournitures exotiques.

Le miel n'est pas loin du dard

La sentence tombe de FranceAgriMer : « la production française de miel ne permet pas de couvrir la consommation nationale ». Avec une production oscillant entre 15.000 et 25.000 tonnes selon les années, impossible en effet de répondre à une demande nationale évaluée à 45.000 tonnes.

« Jusqu’à la fin des années 1990, il nous arrivait de dépasser les 30.000 tonnes », rappelle Henri Clément, président du syndicat apicole Unaf. La généralisation de certains produits phytosanitaires, la diminution de la sole de tournesol, et des changements de variétés sont les principaux facteurs évoqués par les observateurs pour expliquer cette baisse.

Selon les données de FranceAgriMer, la France se tourne désormais vers l’Ukraine (18 % des importations en 2018), l’Espagne (17 %), la Chine (10 %), ou l’Allemagne (10 %). Mais rien ne garantit cependant que le miel soit effectivement produit dans ces pays, prévient l’office national, puisque le miel « peut, dans certains cas, être conditionné ou réexporté depuis le pays de provenance ».

En 2017, la répression des fraudes a ainsi identifié 43 % de miels non-conformes pour l’étiquetage dans 317 établissements français. La DGCCRF avait notamment engagé une procédure contentieuse « à la suite de la découverte d’une francisation de plusieurs centaines, voire milliers de tonnes de miels espagnols et chinois », par des intermédiaires actifs en France et en Espagne. Des producteurs français avaient aussi été épinglés : l’un pour des adultérations de miel au glucose, et l’autre pour avoir vendu sur un marché un miel italien sous l’étiquette « miel de France ».

Petit matériel asiatique, gros matériel européen

« Tout le matériel d’apiculture, il faut être clair, est majoritairement d’origine étrangère », résume Bertrand Freslon, président du Syndicat national des fabricants et grossistes en matériels apicoles. Seul un tiers des ruches utilisées par les apiculteurs français, estime-t-il, est construit en France, par une dizaine de fabricants. Le reste provient en majorité d’autres pays européens, comme la Bulgarie ou la Roumanie.

En matière de petit matériel, des combinaisons protégeant les apiculteurs aux brosses utilisées pour débarrasser les cadres de leurs abeilles, en passant par les lève-cadres nécessaires pour manipuler les ruches, « on se fournit en Asie, pour ne pas dire en Chine », détaille Bertrand Freslon. L’hexagone, souligne-t-il, ne compte ainsi plus qu’un seul fabricant d’enfumoirs, l’entreprise Besacier (42), également conditionneur et producteur de miel.

Pour le matériel plus lourd utilisé pour extraire le miel des cadres, pouvant aller d’extracteurs simples à des chaînes d’extraction, « l’origine européenne domine », explique Bertrand Freslon. Le marché se partage entre les entreprises Lega (Italie), Quarti (Italie), Logar (Bulgarie), Fritz (Allemagne), mais également le Français Thomas.

Dépendance envers la Chine pour la cire

Le miel contient environ 1,5 % en volume de cire, et chaque année, 200 à 400 tonnes de cire sont produites en France, en fonction de la récolte totale de miel. Pour couvrir leurs besoins, les apiculteurs sont cependant forcés d’acheter 300 à 500 tonnes supplémentaires de cire à l’étranger, comme matériel apicole. Les données des douanes françaises de 2015, citées dans la thèse de la vétérinaire Agnès Schryve, montrent que la Chine est le principal fournisseur de la France, avec 34 lots sur les 38 envois de cire contrôlés au niveau des postes d’inspection frontaliers (Pif).

Là encore, les problèmes de fraudes sont nombreux. Dernier cas en date, les dirigeants de la société Thomas ont été condamnés à plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende en février 2020 pour avoir vendu des cires contenant de la stéarine. « Pour la cire, les adultérants les plus fréquents sont la paraffine et la stéarine, et la seconde limite le développement du couvain », rappelle Cyril Videau, écotoxicologue au sein de l’Itsap, et responsable des études sur la cire.

Ce phénomène est en grande partie lié au caractère déficitaire du marché, en raison de la compétition entre acheteurs. Car, comme le rappelle Thomas Mis, responsable cire au sein de la société Remuaux apiculture, « seuls 15 % du marché international de la cire sont consommés par les apiculteurs. Le reste est détenu par les grandes industries cosmétiques, pharmaceutiques et alimentaires ». La compétition est particulièrement intense sur les cires d’Éthiopie ou de Cuba, recherchées pour leur pureté liée à des utilisations plus réduites de produits phytosanitaires.

Cheptel français

Depuis la fin des années 1980 avec l’arrivée du varroa, « on a beaucoup de perte de ruches, ce qui force les apiculteurs à renouveler leurs essaims », explique Philippe Gaudet, chargé de missions à l’Association nationale des éleveurs de reines et des centres d’élevage apicole (Anercea). Dans la majorité des cas cependant, « les essaims viennent de l’apiculteur lui-même », précise Philippe Gaudet.

Pour améliorer la génétique de leur cheptel, ou pour augmenter sa taille, il arrive tout de même aux apiculteurs de se tourner vers des producteurs d’essaims ou de reines. « Aujourd’hui, la race la plus commercialisée est la buckfast », précise Philippe Gaudet. D’autres races sont utilisées, comme la ligustica, originaire d’Italie, la carnica, venue du centre de l’Europe, ou encore l’abeille noire locale de France.

Si les racines des abeilles sont étrangères, leur élevage demeure cependant en majorité français, grâce à plusieurs centaines de producteurs en France. Selon FranceAgriMer, environ 15 % des apiculteurs possédant plus de 50 ruches, soit environ 4.200 producteurs, commercialiseraient ainsi des essaims en complément de la vente de miel. Certains de leurs collègues se tournent malgré tout vers des essaims espagnols ou italiens, moins onéreux et plus précoces.

Conditionnement français

Les trois quarts du miel français sont vendus en circuit court, mais la GMS conserve l’avantage sur l’ensemble du marché, avec près de 55 % des volumes totaux vendus. Les conditionneurs jouent alors les intermédiaires entre les producteurs et les distributeurs, en mettant en pot la production dans leurs usines.

Filtration, étuves, « j'opte pour de la fabrication française », explique David Besacier, dirigeant d’une entreprise de conditionnement spécialisée sur le bio, et président du Syndicat français du miel (SFM), le syndicat des conditionneurs. Les machines pour nettoyer les pots et verser le miel sont en revanche d’origine européenne, précise-t-il, sans pouvoir se prononcer sur les marques utilisées par ses collègues.

Chez David Besacier, comme chez Icko apiculteur, l’un des plus grands vendeurs de matériel, les pots viennent, eux, de France. Pour les pots en verre, O-I et Verallia sont les acteurs incontournables dans la filière. Pour les pots en plastique, David Besacier se tourne vers Nicotplast, un fabricant jurassien. « Après, pour tout ce qui est étiquette et carton, c’est aussi français », résume David Besacier.