Agroforesterie et Vitiforesterie
Vitaf cherche à se ramifier en Bourgogne !

Cédric Michelin
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Avis aux vignerons amateurs d’arbres, si vous voulez tester l’agroforesterie ou plutôt la vitiforesterie, alors le projet Vitaf (Viticulture agroforesterie) cherche des volontaires. Le 31 janvier dernier, au Lycée viticole de Davayé, d’où est parti le projet, un premier bilan a été fait après un an de lancement. Après la théorie, place à la pratique !

Vitaf cherche à se ramifier en Bourgogne !
La chargée de projet Laura Baptée a présenté le bilan des un an du projet Vitaf

Quelle drôle d’idée ? Planter des arbres dans des rangs de vigne alors que les anciens les arrachaient. Pourtant, si ces arbres étaient présents, c’est que d’autres plus anciens les avaient laissés. Avec le changement climatique et les canicules à répétition, l’ombre des arbres pourrait bien être appréciable contre les grillures dans les années à venir. Sans oublier pour la biodiversité, la lutte contre les insectes et autres ravageurs… Encore faut-il lever les doutes sur la concurrence hydrique et sur le volet sanitaire. C’est à ces questions et à bien d’autres que le projet Vitaf s’est attaqué en 2021.
Le 31 janvier, l’amphithéâtre était plein pour faire le bilan après un an. Le vice-président du Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté, en charge de l’agriculture, Christian Morel avait spécialement fait le déplacement. « L’agroforesterie est en plein dans l’adaptation au changement climatique. Je suis adepte de l’organisation collective, d’échanges avec un maximum de partenaires », redisait-il, preuve de son soutien et peut-être d’une reprise future - au-delà du Mâconnais - par la Région qui a la compétence agricole. Pour l’heure en effet, les essais se déroulent dans le Mâconnais pour cette phase "émergence", financée pendant trois ans par l’Europe.

Suivis scientifiques

Il faut dire que les partenaires – dont les crus saint-véran, mâcon et AOP bourgogne - ont déjà bien travaillé et que ce projet est intéressant pour tous les vignobles de Bourgogne. Après une grosse phase de recherche bibliographique et de « réflexions », la deuxième phase fera place à « l’action », expliquait Jean-Philippe Lachaize, le directeur d’AgroBioCampus Davayé. Mettant en application la vocation pédagogique aussi du projet Vitaf, une parcelle (des Thorins) du Domaine des Poncétys, appartenant au lycée en AOC saint-véran bio et sous la direction de Marc Bernus, va faire l’objet de recherche avec le Vinipôle pour les suivis scientifiques. Avec les partenaires (DDT, région BFC, Mâconnais Sud Bourgogne, IFV, FDC71, BioBourgogne, CAVB...), plusieurs « protocoles » ont été définis pour avoir des références différentes selon « les aménagements des parcelles » (lire encadré). Passant à une deuxième phase, « les viticulteurs intéressés peuvent intégrer le projet et bénéficier d’un suivi de leurs parcelles avec des aides pour obtenir des références », techniques et scientifiques, motivait Benjamin Alban, directeur du Vinipôle et du service Vigne & Vin à la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire. D’ailleurs, la chambre a aussi deux parcelles expérimentales, à Lugny, qui rentre dans Vitaf, une en appellation macon et une « vigne-mère de greffons, hors cahier des charges d’appellation, pour avoir d’autres données quantitatives et qualitatives », résumait Florent Bidaut, responsable expérimentation au Vinipôle Sud Bourgogne.

Guide, drone, Inao, Douanes…

De quoi suivre précisément différents paramètres côté vignes – rendement, qualité des raisins, moût, pression sanitaire, les différences de stades phénologiques « moyens et entre les rangs 1 à 15 », températures du cep… - « plein de références à transmettre ensuite aux vignerons », expliquait la chargée d’étude Vitaf, Laura Baptée. Mais également des données côté arbres, fruitiers ou forestiers. Entre les deux, sera notamment scruté depuis le ciel avec des drones, le « rayonnement foliaire » des arbres ombrageant les vignes alentour.

Pas de panique cependant, ce ne sont pas les vignerons qui auront à le faire, ce sont les techniciens partenaires. Les vignerons pourront en revanche s’appuyer sur leurs conseils et le guide pratique tout juste imprimé pour choisir leur « aménagement des arbres à l’intérieur de la parcelle de vigne ». Fruit d’une importante recherche bibliographique, le guide se veut facile d’accès, sous forme de questions/réponses, « plus ou moins détaillées » ainsi que de nombreux tableaux et listes d’essences pour faire son choix en fonction par exemple « de l’humidité de ses sols » pour des choix concrets. Le guide est également disponible gratuitement et librement sur les sites web des partenaires, du lycée au Vinipole. C’est normalement lors du printemps-été 2024 et 2025 que les plantations verront le jour chez les vignerons volontaires. Les vignerons ayant déjà des arbres plantés dans leurs parcelles peuvent rejoindre le projet.
Motivés, le président du cru saint-véran, Kevin Tessieux, accompagné de Pierre Beaubernard, responsable commission technique et dossier 1er cru, entendaient « concilier temps long pour les générations à venir et temps court, des défis climatiques et économiques » de chacun. Visiblement confiant dans ce projet, Kevin Tessieux rappelait néanmoins d’autres « hautes haies à franchir » à l’avenir pour voir les arbres revenir en nombre dans les vignes AOC, en l’occurrence du côté de l’Inao, des Douanes et évidemment du côté de la viabilité économique. Membre de la chambre et de l’Union des producteurs du cru Mâcon, Marc Sangoy voit aussi dans ce projet « un message envoyé à la société qui nous demande d’évoluer ». Si dans le Mâconnais, de nombreuses haies et arbres restent en place, d’autres vignobles de Bourgogne souffrent de paysages type « monoculture de vignes ».

Vignerons, plantez des arbres !

La troisième phase de Vitaf vise à intégrer des viticulteurs volontaires pour la vitiforesterie et d’élargir Vitaf à la région pour développer un « réseau de parcelles d’agroforesterie ». En effet, tout le monde est bien conscient qu’en l’espace de trois ans (durée du financement Européen pour l’émergence du projet), les arbres n’auront pas bien poussé encore. C’est donc pourquoi, Vitaf va s’attacher à « former des conseillers (chambre, pépiniéristes…) » pour accompagner dans le temps les vignerons intéressés maintenant ou après.
Pour les vignerons rentrant maintenant dans le réseau de parcelles dites de références, donc faisant l’objet d’un suivi scientifique, le protocole est « plus simple » que les trois parcelles initiales (Davayé ; Lugny). Les vignerons auront quelques renseignements (volume de récolte, acidité, sucre, analyse du moût et observation à la floraison et à la récolte) à fournir, mais les autres relevés scientifiques seront effectués gratuitement par les techniciens partenaires. Attention toutefois, dans le cadre de cette phase de Vitaf « fonctionnement », les coûts de plantation et d’entretien ne seront là pas pris en charge. D’autres dispositifs d’aides peuvent être demandés. La suite du projet, après 2026, pourrait faire l’objet d’un GIEE ou projet Casdar.

L’exemple de la parcelle de Davayé

Outre la parcelle des Thorins à Davayé, les parcelles à Lugny Saint-Pierre et Sur Lavaux vont permettre de comparer différents « protocoles », que ce soit déjà en AOC saint-véran, mâcon ou hors AOC respectivement. Si aucun itinéraire ou modes culturaux ne sont arrêtés pour l’heure, la première est en Agriculture biologique, la seconde en conventionnelle/HVE 3 et la dernière est une vigne-mère de greffons soumise à un protocole sanitaire stricte.
À Davayé, la parcelle gérée par le Domaine des Poncétys de 0,8 ha sera plantée autour de 8.000 ceps/ha en cépage chardonnay. Orientée Sud-Ouest (20 % de pente), le sol est de type argile limono-sableux, fortement calcaire, typique du Mâconnais, bien qu’assez profond. Le lycée est équipé d’un pulvérisateur couvrant 5 rangs face par face.
Cette parcelle située en bas de la salle Jules Chauvet verra planté au Nord (côté parking), une haie multi-strate composée d’arbustes (genévrier, buis, fusain, houx, cornouillers mâle et sanguin, viorne, troène), d’une strate moyenne dont fruitiers (merisier, cormier, pommier sauvage, poirier sauvage, prunier sauvage, pêcher, prunelier, sorbier des oiseleurs) et d’une strate haute (érable champêtre, charme, orme, chêne pédonculé). Sur les côtés (cimetière et vigne), deux haies basses (3-4 m) seront composées d’arbustes avec d’autres espèces (aubépine, buis, cornouillers mâle et sanguin, fusain d’Europe, genévrier commun, sureau noir, viorne, nerprun, saule des vanniers, troène), d’une strate arborescente (frêne, tilleul à petites feuilles, charme, érable, alisier torminal, cormier) et de fruitiers (merisier, cerisier saint Lucie, poirier commun, pommier sauvage, pêcher, groseillier à maquereau, prunier sauvage, prunelier, griottier Prunus cerasus). Enfin, à l’intérieur de la parcelle, c’est-à-dire dans les rangs de vignes, seront plantés orme, merisier, pommier sauvage, poirier sauvage, prunier sauvage, pêcher, abricotier, saule blanc, charme, frêne, érable champêtre. Ces arbres seront alors alignés dans le rang 1 et rang 31, séparé ainsi de 30 rangs (d’1 m). Une distance de 15-16 m sera respectée entre chaque arbre dans un même rang.
À Lugny, d’autres modalités sont prévues pour la parcelle Saint-Pierre et Sur Lavaux.
Laura Baptée faisait un aparté sur l’implication « dès le début » des étudiants de Davayé. Après avoir réalisé et étudié une fosse pédologique pour caractériser le sol, ils ont effectué un inventaire de la flore autour de la parcelle et ont ensuite participé au Comité technique jusqu’à présenter un « début de protocole de suivi » scientifique. La salle les applaudissait. Avec son expérience, Benjamin Alban leur redisait : « on vit le début, tout comme en son temps de l’agriculture raisonnée ou biologique, on est au début de la collecte de références ». Et ce sont eux aussi qui écriront la suite de l’histoire.

Cheval blanc saute les haies de la vitiforesterie

« La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi », disait Albert Einstein dont le fameux e = mc2 est vrai mais sans explication encore à ce jour.
Du prestigieux Château Cheval Blanc à Saint-émilion, la responsable viticulture et agroécologie, Juliette Combe, a présenté leur démarche agroforestière. Franche, elle ne cachait pas « qu’on cherche des solutions avec de la polyculture-élevage », notamment. Sur les 40 ha du domaine, la moitié est conduite en agroforesterie intraparcellaire. Le travail a débuté par planter 4 km de haies autour de la propriété, en laissant des espaces « pour passer le matériel ». Tous les 5 mètres, un arbre a été planté (et arrosé) dedans « pour rajouter des strates ». Les fruits ne sont pas vendus mais « pour les salariés » qui profitent aussi de l’ombre, ainsi que de la biodiversité. Avec l’objectif de « casser la monoculture » du vignoble pour embellir le paysage avec des arbres, 56 espèces différentes ont été plantées dans les vignes, « en étant plus prudents avec les espèces forestières » (chêne, noyer…). Juliette Combe ne craint pas trop la concurrence hydrique, rajoutant même des couverts végétaux (graminées, crucifères, légumineuses) « couché et roulé pour paillage », et espère voir l’interaction des mycorhizes. Des rangs témoins permettront de le dire. Au final, ce sont près de 2.000 arbres, à raison d’un arbre dans le rang tous les 10 m. Chaque parcelle à 50 % fruitiers, 50 % champêtres, avec une même espèce de fruitier « pour être logique » pour les ramasser. Ses conseils : « partez d’un scion » et « ne plantez trop près des piquets » car « cela pousse très vite » (1,2 m en deux ans pour l’érable) et les fils de palissage blessent les jeunes plants. Comptant sur de nombreux stagiaires, Juliette Combe avertit que c’est « 30 minutes par arbre en moyenne par an » (ébourgeonner…) en plus de l’investissement « énorme » au départ. « On a le luxe d’avoir le temps », reconnaissait-elle. Et de réfléchir à des solutions : fil écarteur, palissage avec des bambous, taille en palmette, une rogneuse qui se relève…

Néanmoins, « notre plus gros souci est les insectes, 100 % des pommes étaient trouées mais les oiseaux sont heureux ». Alors que les phytosanitaires ne sont pas les mêmes homologués en vigne ou arboriculture, « dès qu’il y a un champignon, on arrache l’arbre car notre travail est de produire du raisin », rappelle-t-elle sans regret. Pour protéger les fruitiers, sur l’enjambeur avec cabine, la « rampe est dépliée à moitié » pour 0,1 IFT de biocontrôles. « Phéromones ou confusion sexuelles ne se justifient pas au vu de la densité », écarte-t-elle. Dernière précision, « lorsqu’on ne peut plus essimer, on tresse l’arbre qui va grossir en volume ». Et de conclure : « ce sont les arbres qui souffrent à côté des vignes. En 2022, certaines vrilles ont cassé des branches ou ont étranglé des troncs », régulant la croissance des arbres de fait.