EXCLU WEB / Le blé : une arme géostratégique

L’Association générale des producteurs de blé (AGPB) et le club Demeter ont récemment organisé une table-ronde autour de l’ouvrage de Sébastien Abis sur la Géopolitique du blé (lire encadré). Plus que jamais cette céréale s’affirme comme une arme géostratégique, surtout à l’ère des tensions entre différents pays et à l’heure du changement climatique.

EXCLU WEB / Le blé : une arme géostratégique

C’est une réalité : « Le blé s’invite chaque jour à la table de milliards d’individus » note Sébastien Abis dans son ouvrage. Avec l’énergie, cette denrée constitue un véritable élément de puissance et de souveraineté. Les Russes l’ont bien compris quand ils ont envahi l’Ukraine en rationnant leur gaz et leur pétrole et en coupant, un temps, les exportations de céréales ukrainiennes, avant la mise en place d’un corridor sur la mer Noire. Or l’Europe, « ce continent d’herbivores entouré de carnivores » selon l’expression de l’amiral Pierre Vandier, chef d’État-major de la Marine, reste dépendante des engrais (russes et biélorusses) qui permettent d’assurer les rendements, la production et la compétitivité. Sébastien Abis rappelle d’ailleurs que seulement 220 millions d’ha dans le monde (soit 1/8e de la SAU) suffisent aujourd’hui à produire plus de 800 millions de tonnes de blé. La France, à elle seule, représente 10 % des exportations mondiales de blé. Or l’équilibre reste fragile pour cette céréale qui assure la paix des ventres et celle de la planète et qui est aussi une arme d’asservissement et de conflit.

Il faut ainsi tenir compte du changement climatique qui permet à la Russie d’augmenter ses surfaces cultivées d’environ un département par an depuis quelques années. La Sibérie pourrait ainsi gagner dans les années qui viennent quelques 200 000 ha supplémentaires de terres cultivables. Détenant une grande partie des ressources énergétiques et engrais, elle a ainsi vu sa production de blé passer d’environ 35 millions de tonnes en 2014 (invasion de la Crimée) pour doubler en moins de cinq ans 80 millions en 2018. Elle atteint aujourd’hui près de 100 Mt en 2022. Certains experts prédisent qu’elle pourrait atteindre 120 Mt dans les prochaines années.

Diplomatie du blé

Encore faut-il que les politiques européennes ne viennent pas remettre en cause la puissance agricole sur laquelle s’est justement bâtie l’Europe : Marc Fesneau s’interroge notamment sur les finalités de Farm to Fork dont les objectifs écologiques affichés s’apparentent à la « décroissance » et même à « de l’impuissance », s’est-il interrogé. En cause : la multiplication des interdictions de produits de protection des cultures « sans aucune alternative » mais aussi « la volonté d’imposer 10 % de jachères, » celle de produire plus bio « sans se préoccuper de la volonté du consommateur » s’agace le président de l’AGPB, Éric Thirouin. La présidente de la Commission des affaires économiques du Sénat, Sophie Primas (LR, Yvelines) souhaite au contraire saisir l’opportunité de cette crise pour réexpliquer le « rôle fondamental de notre agriculture et l’importance de la diplomatie du blé en France ». Pas moins de 13 % de la production française de blé a été consommée par le Maroc et l’Algérie. Que dire de l’Égypte qui importe 30 millions de kg de blé (30 000 tonnes) par jour ! Sébastien Abis demande à ce que les Français et les Européens regardent aussi ailleurs, notamment sur le marché asiatique. Le Vietnam, l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande représentent un marché de 570 millions d’habitants : ils ont importé plus de 400 Mt depuis le début des années 2000. Comme le résume Éric Thirouin, il faudra donc gagner « le double combat de la production et du climat ». 

La Géopolitique du blé 

En huit chapitres, Sébastien Abis, directeur du Club Demeter et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) nous convainc que le blé peut être une arme redoutable. Après quelques rappels historiques et géographiques, il scanne la géoéconomie de cette céréale sous l’angle du commerce, de la logistique et du négoce. Il souligne notamment l’importance de la qualité du blé pour qu’il reste transformable et consommable et donne quelques coups de projecteurs sur les opérateurs historiques au jeu diplomatique réel et déterminant. Au sein même de l’Europe émergent de nouveaux acteurs comme la Roumanie et son interface portuaire de Constanta « une des locomotives » de l’Europe de l’Est. Les enjeux du blé se raisonnent aussi en termes de contraintes, de dépendances et de « soifs de blé », mais aussi à l’aune des permanences et des coordinations entre les différents pays de la planète, rappelle l’auteur. A lire aussi le dernier chapitre consacré à cette céréale qui constitue « une ressource stratégique » pour la France. 

Géopolitique du blé – Sébastien Abis – Éditions Armand Colin – 240 pages – 23,90 euros