Adaptation climatique
Quelles opportunités pour l’agriculture ?

Ariane Tilve
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À l’occasion de l’Assemblée générale de la FDSEA 71, qui s’est tenue vendredi 10 mars à Cluny, le secrétaire général de la FNSEA, Hervé Lapie, l’eurodéputé Jérémy Decerle et le représentant Afdi BFC, Thierry Devaux, ont tenté de répondre à cette épineuse question lors d’une table ronde agrémentée de témoignages d’agriculteurs de Saône-et-Loire.

L'Assemblée générale de la FDSEA a réuni plus de 200 personnes à Cluny.
L'Assemblée générale de la FDSEA a réuni plus de 200 personnes à Cluny.

Hervé Lapie a participé à la rédaction du rapport d’orientation de la FNSEA, né du questionnement des agriculteurs. « Nous avons auditionné les rapporteurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) pour savoir comment s’adapter. Nous avons observé les politiques mises en place en Europe, notamment en Italie et en Espagne. L’innovation, et notamment la génétique, peut nous aider » souligne d'emblée le secrétaire général de la FNSEA. Si le besoin d’innovation est indispensable, encore faut-il le financer. D’après Jérémy Decerle, cela ne semble pas être l’une des priorités de la Commission européenne. Selon lui, ce n’est pas à la Pac, mais au Green deal* de financer la recherche. Au-delà du financement, il faudrait changer la réglementation. « Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut réduire les pesticides, mais seulement s’il y a des alternatives, comme les NBT** par exemple, qui sont une innovation et pas les nouveaux OGM, comme on l’entend parfois » à tord. En attendant que la recherche trouve les moyens d’aider les agriculteurs à s’adapter, il faut répondre à des problématiques, dans l’urgence, comme l’eau ou la crise énergétique.

Mieux maîtriser la ressource en eau

D’après les experts en climatologie, nous n’aurons pas moins d’eau, mais des périodes plus intenses en termes de pluviométrie, ou à l’inverse de sécheresse. Les aléas climatiques sont d’ores et déjà de plus en plus graves et fréquents, on l’a vu jeudi 9 mars avec une chute de grêle conséquente, mais aussi l’année dernière en Saône-et-Loire. Stéphane Convert, président de la Section laitière en charge du dossier de l’eau à la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, rappelle que notre département - situé entre les bassins de la Saône et de la Loire - n’avait pas l’habitude de vivre des périodes de sécheresse en dehors des périodes estivales. « Il faut concilier agriculture et environnement avec une logique simple : éviter, réduire, compenser. Dans les faits, on nous demande surtout d’éviter et de réduire sans forcément compenser ou stocker. Nous sommes tous d’accord pour faire autrement, mais comment ? ». La volonté de changer, de s’adapter est là. En témoignent les exemples encourageants dans les Monts du Lyonnais, notamment, qui parviennent à faire de petites réserves d’eau en maintenant la biodiversité. En Saône-et-Loire, Stéphane Convert estime qu’il y a sans doute une piste de réflexion sur les crues hivernales afin d’en limiter les dégâts et pouvoir garder l’excédent d’eau pour l’été. « Nous n’avançons pas aussi vite sur ces sujets que des pays comme l’Espagne », se désole-t-il. La France stocke 4,7 % des eaux qui tombent sur ses sols, l’Espagne 40 %, comme le rappelle Hervé Lapie. « Dans mon département de la Marne, 18 millions de m3 sont prélevés pour irriguer 3 % de l’assolement où l’on cultive pommes de terre et oignons. Si l’on prélevait durant huit heures le débit de la Marne quand elle coule à 500 m3/h, nous couvririons les besoins en irrigation du département sur un an ». Le stockage est une adaptation qui doit être pensée à l’échelle des territoires. C’est d’ailleurs l’une des ambitions du Varenne de l’eau. La FNSEA a voulu mettre les principaux acteurs du secteur agricole autour de la table sur les sujets de l’agronomie, de l’évolution du système assurantiel (avec engagement de l’État sur les aléas) mais aussi, donc, sur l’accès à l’eau et la question du stockage. Le stockage, maître-mot de l’adaptation avec un autre élément essentiel dans les enjeux climatiques : le CO2 et le rôle majeur que peut jouer l’agriculture dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.


Valoriser ses crédits carbones

Représentant de l’Afdi (Agriculteurs français et développement international), Thierry Desvaux pratique depuis 14 ans une agriculture de conservation. En assolement commun dans l’Yonne, au sein de la Société en participation (Sep) de Bord, il voit aujourd’hui les bénéfices de cette culture agroécologique. « En semis direct, nous ne travaillons pas les sols, que nous couvrons en permanence, et valorisons les effluents d’élevage ». Thierry Desvaux insiste sur la complémentarité de l’élevage et des grandes cultures. « Nous avons, jusqu’ici, cherché à spécialiser les régions, mais demain, nous aurons besoin de complémentarité avec les élevages, les légumineuses dans les rotations et les intercultures, et ne plus travailler le sol pour utiliser moins d’engrais ». Résultat, la Sep émet moins de gaz à effet de serre et stocke du carbone en augmentant le taux de matière organique. Capable de générer plus de 1.000 crédits carbones, elle espère obtenir des paiements pour services environnementaux, grâce notamment au label bas carbone. Leur système de culture, qui permet de stocker plus d’une tonne de carbone par hectare et par an, a été audité par l’Association pour une agriculture durable (Apad) mais n’a pas suffisamment de financeurs pour valoriser ses crédits. Pour aider les exploitants à trouver des partenaires dans la valorisation de leur crédit, la FNSEA a créé une SAS, France Carbone Agri, avec l’ensemble des associations spécialisées. L’objectif est de travailler avec les entreprises, dans le cadre de leur démarche RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. « Aujourd’hui, on peut travailler avec une multitude de sociétés, dont Air France, qui pourrait rémunérer les agriculteurs pour services rendus en raison de leur capacité à piéger les GES, augmenter la matière organique dans les sols et stocker le carbone dans les sols », insiste le secrétaire général de la FNSEA. Actuellement, ce service est rétribué en moyenne 35 € la tonne et l’objectif est d’attribuer 80 % de cette somme à un agriculteur, les 20 % restants devant être dédiés aux diagnostics à faire dans les exploitations. D’autant plus que la transition coûte cher, en témoignent les exploitants qui se sont lancés dans les énergies renouvelables, avec plus ou moins de succès.


L’avènement des énergies renouvelables ?

L’un des objectifs des énergies renouvelables est de se passer des énergies fossiles, en partie responsable du réchauffement climatique. La méthanisation se développe, lentement, dans les régions qui respectent l’élevage et les grandes cultures. Le bois énergie fait des heureux, à l’instar de Joffrey Beaudot, qui en produit depuis 2016 à Saint-Romain-sous-Gourdon. « Nous valorisons nos haies dans un secteur d‘élevage assez morcelé, avec beaucoup de haies hautes ou de bords de bois. Grâce à la Cuma compost, nous mécanisons l’abattage du bois et la transformation en plaquettes ». Ce bois était utilisé, dans un premier temps, en litière. Il a ensuite été vendu à la commune qui s’est dotée d’une chaudière biomasse, en respectant les normes de granulométrie ou de séchage. Quant au photovoltaïque, Joffrey Beaudot a installé des panneaux sur les bâtiments existants et revend l’électricité puisque son exploitation en élevage allaitant consomme peu. À l’inverse, l’exploitation de Christophe Chaumont, éleveur laitier à Saint-Germain-du-Plain au sein du Gaec du Progrès, consomme plus d’électricité. Doté de quatre robots de traite et de deux robots d’alimentation, son compteur dépasse les 54 KvA. En 2021, lors du projet d’installation photovoltaïque, il achetait l’électricité 10 cts et la revendait 12 cts. Il a donc privilégié le choix de la revente. Mais en novembre 2022, son nouveau contrat pour 2023 affichait 57 cts à l’achat. « Aujourd’hui, on a au-dessus de notre tête un bâtiment qui va produire deux fois les besoins de notre exploitation, à 12 cts, et on va la racheter à 57 cts. Je ne comprends pas comment on peut dire qu’il y a un bouclier tarifaire sur une couleur donnée, mais pas sur une profession. Ce contrat, nous l’avons signé pour 20 ans… », se désole aujourd'hui l’éleveur. Hervé Lapie, qui rappelle que la FNSEA a porté le système de contractualisation au ministère, estime effectivement qu'il faut mettre en place des contrats avec des tarifs adaptés et que cette production devrait être injectée directement dans les exploitations pour qu’elles soient moins dépendantes et plus résilientes. « Les agriculteurs auront sans doute la capacité de fournir demain de l’énergie aux citoyens. On a de beaux exemples en méthanisation, avec des maisons chauffées dans des communes. Mais pour cela, il ne faut pas non plus envoyer la méthanisation à 4 km du village. Les agriculteurs doivent être remis au cœur du village. L’autonomie énergétique interpelle aussi nos concitoyens. Ce sont des projets de territoire pour répondre à des demandes sociétales ».


*Le Green deal, ou Pacte vert, est un ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but primordial de rendre l’UE climatiquement neutre en 2050.

**Les New breeding techniques, ou nouvelles techniques de sélection génomique, permettent de créer de nouvelles variétés, de plantes, d'animaux... Ils permettent d’activer, d'inactiver, de modifier ou d’insérer un ou plusieurs gènes. Contrairement aux OGM, les NBT n’implantent pas d’ADN étranger lors de la transformation.

Ce programme était une initiative pour la COP 25, avec l’appui du ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, et l’Inraé, partant du principe qu’il serait possible de compenser les émissions de gaz à effet de serre en augmentant le stockage de carbone dans les sols. Il y a, en effet, du stockage naturel dans le végétal et les océans. La différence entre émission de GES et l’actuelle capacité de stockage est évaluée à 3,5 gigatonnes chaque année, Ce qui correspond à 4/1000eme (ou 4 %) des émissions. Sachant que le Sep de Bord, dont fait partie Thierry Desvaux, est capable d’en absorber, à son échelle, plus du double selon l’audit. Un système transposable réalisable dans plusieurs parties du monde. « Le nombre de pays qui s’impliquent dans cette démarche ne cesse de croître, selon le représentant de l’Afdi. Des capteurs devraient être disposés à l’avenir pour évaluer le stockage des sols et donc la rémunération des agriculteurs ».