Changement climatique
Les forestiers en quête d’adaptations face au changement climatique

Marc Labille
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Le changement climatique a été l’un des sujets de fond du dernier salon Euroforest à Saint-Bonnet-de-Joux. Une conférence était consacrée à ce thème sensible en présence d’experts du climat et de la forêt. 

Les forestiers en quête d’adaptations face au changement climatique
A cause du manque d’eau, la forêt capterait aujourd’hui deux fois moins de carbone qu’il y a dix ans.

« L’année 2022 très chaude et très sèche est symptomatique de ce qui nous attend », introduisait Alexandre Martel, ingénieur à Météo-France lors d’une conférence organisée le 23 juin dernier à Euroforest. Les incendies qui ont touché la région sont les effets « que nous attendions », poursuivait-il alors qu’en 2023, les sinistres ont d’ores et déjà démarré plus tôt dans la saison. « Les dix années les plus chaudes de l’histoire sont toutes après l’an 2000 » et la hausse de + 1,1 °C des températures moyennes relevée par le Giec (Groupement International des Experts du Climat) n’est pas une vue de l’esprit. « La responsabilité de l’activité humaine est incontestable », confirmait Alexandre Martel et la concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère est à des niveaux jamais atteints depuis 850.000 ans ! Tout l’enjeu aujourd’hui est de savoir quelles seront les émissions à venir. D’où les hypothèses déclinées en quelque 300 simulations par les experts mondiaux du climat. Le champ de tous les scenarii possibles selon les choix politiques, les prises de conscience sociétales, l’évolution démographique, etc.

Des canicules à plus de 50 °C ?

Selon les projections du Giec, les changements ne seraient pas encore énormes en 2050, mais à l’horizon 2100, la hausse de température pourrait atteindre + 5,7 °C et même jusqu’à + 7 °C dans le scénario le plus pessimiste… Une hypothèse scientifique qui signifierait des canicules à plus de 50 °C !, illustrait le climatologue. Compte tenu de toutes les politiques mondiales, le Giec envisage un scénario intermédiaire avec un réchauffement global de + 3 °C. Mais la situation géographique de la France lui vaudrait une augmentation des températures supérieure à cette moyenne, soit + 4 °C… Quoi qu’il en soit, ce changement climatique promet des conséquences en termes de coûts des catastrophes naturelles, sur le cycle de l’eau, sur les rendements agricoles, sur la santé, énumère Alexandre Martel.

Forte augmentation de l’évapotranspiration

Climatologue à l’Institut Agro Dijon et l’UMR Biogéoscience, Thierry Castel fait part d’un phénomène de rupture dans l’évolution des températures qui n’est pas linéaire et présente des accélérations, voire des emballements… En termes de pluviométrie, la quantité d’eau tombée est stable globalement, voire même supérieure sur l’année, mais avec une forte variabilité interannuelle, indique l’expert. Et la grosse différence, c’est que l’évapotranspiration augmente fortement, d’où des sols qui s’assèchent avec « un bilan hydrique assez négatif », explique Thierry Castel. Rien de bon pour la santé des forêts, à l’instar du Morvan frappé par des dépérissements d’épicéas et de hêtres…

Jusque dans les années 1980-1990-90, les arbres poussaient de plus en plus grâce à l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère. Mais le manque d’eau a mis un terme à cette croissance et la forêt capterait aujourd’hui deux fois moins de carbone qu’il y a dix ans, estime-t-on. Si elle continue d’absorber plus de carbone qu’elle n’en émet, la forêt voit son impact diminuer avec le changement climatique. D’ailleurs, les essences méridionales poussent moins fort que les essences septentrionales, soulignent les experts.

Mortalité d’arbres en hausse

La mortalité dans les plantations est un effet direct du réchauffement climatique, explique Bernard Boutte, expert national DSF-Changement climatique. Mais le phénomène a aussi des effets indirects comme la prolifération d’insectes et de champignons ravageurs : scolytes, processionnaires… et des organismes invasifs apparaissent comme la chalarose du frêne, l’encre du châtaignier…, énumère Bernard Boutte. 2003 constitue un palier dans la mortalité des arbres à l’instar de 2018, 2019, 2020 et 2022. « Il n’y a plus d’essence indemne », révèle l’expert.

Face à ce constat, il faut agir vite. Mais adapter la forêt à une telle instabilité est un véritable défi. Il va falloir trouver les bonnes essences « dans une gamme qui n’est pas si grande que cela », font remarquer les intéressés. Et il faut disposer des moyens pour le faire à une époque où la main-d’œuvre est difficile à trouver. À cela s’ajoutent les quantités de bois qui affluent sur le marché provenant de tous les arbres dépérissants. De 5 %, ils sont passés à plus de 50 % de la récolte aujourd’hui, signale-t-on en prenant l’exemple de l’épicéa qui a envahi les scieries des massifs de l’est de la France.

« La résilience avant la productivité »

L’adaptation au changement climatique impose une évolution du mode de sylviculture. Cela implique de rompre avec les habitudes et cela nécessitera de plus en plus de compétences, préviennent les experts. Ainsi, faut-il se faire à l’idée que désormais « la résilience passe avant la productivité », avertissait Erwin Ulrich, spécialiste de l’adaptation des forêts au changement climatique à l’ONF. En effet, après analyse de la situation, le forestier doit déterminer « le niveau de risque qu’il est prêt à accepter ». Car il faudra désormais faire avec cette incertitude. Les plantations futures mélangeront davantage les essences, quitte à introduire des essences nouvelles connues pour leur résistance à la sécheresse. On se dirige vers un modèle de « forêt mosaïque », rompant avec un schéma unique. Parce que « la recherche et l’innovation avancent dans l’ombre », les forestiers ont malgré tout bon espoir dans leur capacité d’adaptation au changement climatique.

« Eco-reboisement », abattage-écorçage : la sylviculture s’adapte

Pour illustrer l’évolution des techniques de sylviculture, Michel Moulin, directeur technique à la CFBL présentait le concept « d’éco-reboisement » mis au point par sa coopérative. C’est une technique qui rend les plantations plus résilientes, introduisait-il. La principale différence avec les méthodes de plantations traditionnelles, c’est que le sol est préservé grâce à un travail du sol minimisé. Les rémanents (branchages issus de la récolte précédente) ne sont pas enlevés ni mis en andain. Les souches ne sont pas arrachées. Le travail du sol est réalisé localement, à l’emplacement même du futur plan, à l’aide d’une pelle mécanique légère de seulement 5 tonnes. « La capacité productive naturelle du sol est ainsi préservée ; il n’y a pas d’exportation de matière organique ; la présence des rémanents fournit des minéraux et protège les jeunes plants en empêchant le redémarrage de la végétation… », fait valoir Michel Moulin. Par son impact limité, la micromécanisation favorise la biodiversité, préserve le paysage tout en créant « une ambiance forestière favorable à la reprise de la plantation ». Grâce à cette technique, la CFBL peut s’engager sur un taux de reprise d’au moins 85 %. 1.600 hectares de forêt ont ainsi été replantés sur le territoire de la Coopérative Forestière Bourgogne-Limousin en 2022.

Côté récolte, l’ONF et différents partenaires de la filière ont voulu tester la technique de l’abattage-écorçage ou « TAE, Tête d’Abattage Écorceuse ». Grâce à l’ajout d’un kit d’écorçage sur les têtes d’abattage utilisées en forêt, il est possible de récolter des bois entièrement écorcés. Utilisée en Allemagne depuis 2014, cette méthode permet de lutter contre la propagation des insectes sous-corticaux (scolytes notamment) tout en permettant un retour d’éléments nutritifs au sol.

 

Un projet de loi contre les incendies

En forêt, le changement climatique se traduit aussi par la recrudescence d’incendies. Les sinistres survenus l’année dernière dans le Jura et le Morvan ont marqué les esprits. La vulnérabilité de la forêt est devenue une préoccupation majeure et dès le mois de mars 2022, un rapport était établi sur le sujet qui a débouché sur un projet de loi. Il prône la mobilisation de tous les acteurs pour une meilleure capacité de lutte contre les incendies. Outre la sensibilisation du public et la coordination des acteurs de la lutte, la création de larges pistes qui feront office de coupe-feu est à prévoir.