Histoire des vins
Normes de production et de commercialisation : quel rôle le mouillage a-t-il joué ?

Florence Bouville
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Lors des journées dédiées à la biodiversité et au patrimoine viticole, le 8 et 9 juin derniers au château Pontus de Tyard, Olivier Jacquet, ingénieur de recherche à l’université de Bourgogne, est revenu sur l’histoire du mouillage et l’évolution des normes de production et de commercialisation. Il a livré un récit passionnant, pleinement inscrit dans le thème de l’édition 2023 : "De l’eau dans mon vin ?".

Normes de production et de commercialisation : quel rôle le mouillage a-t-il joué ?
Le 8 juin, à Bissy-sur-Fley, Olivier Jacquet, historien, a livré un récit passionnant sur l'histoire et le rôle du mouillage aux XIXe et XXe siècles.

Olivier Jacquet mène ses recherches au sein de la Chaire Unesco culture et traditions du vin. Pour retracer l’histoire du mouillage aux XIXe et XXe siècles, il a croisé de nombreuses archives. Traditionnellement, cette pratique consistant à adjoindre de l’eau au vin, peut intervenir à deux stades. Au moment de la production, pour augmenter les volumes et abaisser le degré alcoolique. Acte aujourd’hui reconnu comme fraude. Mais aussi lors de sa consommation, en rajoutant de l’eau dans son verre avant de boire, habitude très courante aux siècles derniers. Par ailleurs, les normes et critères de dégustation, ainsi que le métier d’œnologue, ont également fortement évolué.

Fraudes et évolutions réglementaires

À la fin du XIXe siècle, l’utilisation généralisée des porte-greffes américains a permis de contrer le phylloxéra en France, ayant décimé des millions d’hectares. Seulement, cette crise en a fait naître une autre, qui a perduré : la fraude. À cette époque, à Paris, un sixième de la consommation est dû au mouillage. On distingue alors les "vins naturels" des vins frauduleux, désignant les bouteilles auxquelles on ne rajoute aucun élément. Pour répondre à la demande des consommateurs, des volumes sont, en parallèle, produits à partir de raisins secs fermentés importés, en grande partie, de Grèce et de Turquie. Moult extraits de recettes ont d’ailleurs été retrouvés et archivés. L’importation de vins étrangers connaît, elle aussi, une croissance exponentielle. Plusieurs bouteilles sont ainsi présentées avec un étiquetage usurpé. Finalement, malgré la remise en état du vignoble français, le consommateur lambda ne sait plus véritablement différencier un vin issu des vendanges d’une contrefaçon. En plus de fournir un vin de moindre qualité, la fraude pose également des problèmes sanitaires (ajout de faux ingrédients tels que du plâtre).

Il faut donc attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître les premières lois interdisant le mouillage ainsi que le vinage (ajout d’alcool). La concurrence étant devenue telle, au sein de la profession, entre les jeunes vignes productives et les vins frauduleux. En 1899, le vin est légalement et simplement défini comme "la fermentation du raisin frais". On imagine bien que dans ce contexte-là, l’approche du métier d’œnologue demeure assez réduite. « Les œnologues étaient avant tout là pour analyser les vins, non pour les améliorer », explique Olivier Jacquet.

Avancée majeure : la loi du 29 juin 1907, qui protège officiellement le vin naturel contre les vins trafiqués. La déclaration de récolte est, elle aussi, instaurée. La même année, un décret instaure le service de la répression des fraudes et institue le métier d’œnologue. Autre mesure mise en place, celle du degré juste d’alcool. À partir de 1932, la méthode officielle de mesure ne se base plus que sur la distillation et la densitométrie. La consommation devient ainsi de plus en plus raisonnée et encadrée. Le décret du 19 août 1921 exige que les vins soient mis en vente, dans les commerces de détail, avec l’indication de leur degré alcoolique (mais ne concerne pas encore les appellations d’origine). Plus connu donc, le décret de 1935, portant exclusivement sur les AOC, rendant obligatoire la mention du degré d’alcool pour toutes les appellations. Degré qui va ensuite progressivement augmenter.

Le vin : une "boisson alimentaire"

Dans les années 1950, le vin constitue une "boisson alimentaire". En général consommé plusieurs fois par jour, il est véritablement décrit comme un aliment. À cette époque, certaines publicités inscrivent même une "valeur alimentaire" (ou valeur énergétique comme nous dirions aujourd’hui) équivalente. Par exemple, on peut lire une correspondance avec 900 grammes de lait ou 370 grammes de pain, pour un litre de vin de 10°. En parallèle, le commerce des eaux minérales, provenant des stations thermales, se développe. L’eau en tant que boisson se confronte au vin. La relation entre les deux liquides est alors concurrentielle ; « une ambiguïté s’installe », affirme Olivier Jacquet. Pourtant, certains acteurs de la filière vin montrent que l’eau minérale peut très bien être couplée à la consommation de vin. Exemple frappant : l’intégration de plus en plus fréquente d’encarts publicitaires autour de l’eau au sein de la revue du sommelier. Néanmoins, les recommandations restent très ciblées. Comme le prouvent celles faites par le Comité de propagande des vins de France à la fin de cette période : « Pas de vin, mais de l’eau avec la salade, les vinaigrettes, les oranges […] N’abîmez pas votre palais en goûtant au début du repas certaines boissons fortes ». On voit ensuite apparaître, lors des dégustations officielles, un verre d’eau placé à côté du vin. Finalement, petit à petit, on arrive à un point où sont communiquées autant de recommandations pour l’eau que pour le vin.

Vers une « réhydratation du vin » ?

Aujourd’hui, à l’heure où la grande majorité des consommateurs ne mouillent plus leur vin, certains négociants tels que Michel Chapoutier (dans la vallée du Rhône), proposent une « réhydratation du vin ». Afin de pallier les conséquences du changement climatique. L’objectif étant ainsi de diminuer les degrés d’alcool et fournir un équilibre plus digeste. Enfin, on n’oublie pas la fameuse tendance du rosé piscine, dont la consommation (et les photos postées sur les réseaux sociaux) explose en période estivale. Et pour ceux qui n’ont jamais été tentés par l’alcool et ne le seront jamais, rassurez-vous car, « si les méchants, au dire du proverbe, sont buveurs d’eau, les buveurs d’eau ne sont pas tous méchants », écrivait Camille Rodier en 1937, dans son ouvrage Le vin de Bourgogne.