Master 2 Droit rural à Mâcon
« Penser à se marier pour mourir »

Cédric MICHELIN
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Vendredi 8 octobre à Mâcon, la Chaire de droit rural et droit de l’environnement a profité de la cérémonie de remise des diplômes du Master 2 droit rural pour inviter Raymond Le Guidec, professeur émérite de l’Université de Nantes. Ce dernier a fait un exposé sur le droit du "couple en agriculture". Mariage, Pacs, concubinage… les options sont aussi nombreuses qu’il existe de couple au final. Mais une chose est sûre, mieux vaut se poser les bonnes questions.

« Penser à se marier pour mourir »
François Robbe (à gauche), Avocat, Maître de conférences, Université Jean Moulin-Lyon 3, président de l’AFDR et co-directeurs du Master 2 Droit rural et Hubert Bosse-Platière, directeur de la Chaire de droit rural et droit de l’environnement, Université de Bourgogne, entourant Raymond le Guidec.

Codirecteur scientifique de la Revue de Droit rural avec lui, Hubert Bosse-Platière, directeur de la Chaire de droit rural et droit de l’environnement à Mâcon, dépendant de l’Université de Bourgogne, remerciait Raymond Le Guidec pour avoir accepté d’être le parrain de la promotion 2020-2021. Pour cette rentrée solennelle de la promo 2021-2022, ce spécialiste des « libéralités » faisait un très bel exposé sur les "couples en agriculture". Un thème qui lui est cher, puisque sa thèse traitait déjà en 1973 de "l’intérêt de l’enfant". Ce Breton originaire du Morbihan est un « éminent » auteur en droit rural, « qui inspire demain et après-demain », dit de lui Hubert Bosse-Platière.

Car le droit rural n’est pas figé et est même en perpétuel mouvement et se doit d’être le plus en phase possible avec son époque. « On s’aperçoit depuis quelques années un désir vif et profond de jeunes qui souhaitent revenir à la terre, soit en reprenant l’exploitation agricole familiale soit en entreprenant alors qu’ils ne sont pas issus du monde paysan », débutait Raymond le Guidec, rajoutant que « c’est réconfortant car la société entière y gagnera. C’est aussi une leçon de la pandémie que nous venons de traverser, période où la vie a été ballottée, des jeunes viennent à l’agriculture alors qu’avant, l’agriculture était bien méconnue voire méprisée pour son travail difficile ». Il mettait cependant en garde de ne pas laisser seuls ces jeunes face à ce travail « dur » qu’est l’agriculture, au risque de voir encore de nombreux « drames » se (re) produire. Ce qui implique le droit rural.

Mariages, Pacs, concubinages

Le droit rural est justement riche, et s’enrichit, d’articles de loi et de jurisprudence pour tenter de s’adapter aux « différentes formes de conjugalités » car « les couples ne sont plus les mêmes ». La société évolue rapidement et à côté des mariages (240.000/an), les juristes voient des « nouveaux » : avec les « nombreux » Pacs (Pacte civil de solidarité) qui ont depuis 20 ans « un droit inachevé mais connaissent un essor certain » (quatre Pacs pour cinq mariages en moyenne) ou aussi les « nombreuses » unions libres. Ces concubinages sont plus difficiles à dénombrer « mais 56 % des enfants sont nés hors mariages », selon les déclarations faites à l’état civil.
Si Raymond le Guidec respecte le choix de chacun, « il ne faut pas se méprendre sur la réalité et le droit juridique de ces couples, admis par la loi, ils ne sont pas à égalité en termes d’organisation juridique et patrimoniale. Il faut avoir conscience qu’il y a beaucoup de différences » entre ces formes. Il se gardait bien de trancher si le droit actuel « marche vers l’égalité » ou fait en sorte de conserver de « profondes distorsions ».

Des séparations rendant « instables » le droit

C’est plus un point de situation, de l’état de l’art, qu’il faisait en détaillant le droit des couples autour de quatre périodes de la vie de toute exploitation : l’installation, la vie de l’exploitation, l’incidence d’une rupture du couple et enfin la transmission de la ferme. Il insistait sur la « rupture » puisqu’aujourd’hui, « on observe un mariage sur deux finir en divorce » rendant de fait ces situations tout aussi « fragiles » que les « Pacs, dissous facilement » par nature ou « les unions libres signifiant aussi désunions libres » en droit.
Après quoi, Raymond le Guidec développait nombre de spécificités et de questions à chaque étape : l’installation se fait-elle en propriété ou en location ? L’exploitation est-elle propre ou commune ? Qui dirige l’exploitation ? Comment « interpréter les résultats » financiers ? En cas de bénéfices ou de pertes et de dettes ? Quelles conséquences ?…

Pas d’égalité mais une loi prudente

« Il n’y a pas encore d’égalité de traitement » et en fonction du régime choisi initialement ou au cours de la vie, les réponses sont différentes. Et même dans le cas le moins contractuel d’une union libre, l’interprétation des lois peut-être floue : « en cas de dissolution d’un concubinage, la jurisprudence est réticente à reconnaître et rechercher les créances entre concubins : par exemple, si un concubin a payé à l’époque un bien, c’est qu’il avait les moyens de le faire et en a profité, donc il n’y a pas de créance envers son concubin. Mais en même temps, si ce dernier ne demande rien, il est sûr de ne rien avoir », plaidait-il déjà pour que chacun se renseigne bien et prenne conseil. En cas de transmission ou de décès, les inégalités de ces formes juridiques sont là encore grandes avec « la redoutable fiscalité » s’ajoutant (jusqu’à 60 % du total).

Regarder loin et anticiper

En guise de conclusion, Raymond le Guidec ne pouvait donc qu’appeler les couples à se rapprocher des professionnels du droit rural en particulier dans le cadre d’une exploitation agricole. « Les différences sont importantes entre le mariage, le Pacs et a fortiori le concubinage. Il reste beaucoup à construire pour tendre vers l’égalité et ce n’est pourtant pas un thème de réforme », en ces temps de promesses électorales en vue des présidentielles 2022. « La préférence reste aux mariages et aux Pacs, le concubinage restera à la traîne ; donc, pour les intéressés, il faut regarder loin jusqu’à la transmission. On vit comme on veut, en toute liberté », concluait-il, « mais il faut penser à se marier pour mourir », serein pour voir ses dernières volontés respectées au mieux, ne plaisantait-il qu’à moitié.