Journée alimentation santé environnement
Nourrir son esprit et son corps : Tout est dans la variété des aliments

Cédric Michelin
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Dans le cadre de son plan Environnement 2020-2030, le Département de Saône-et-Loire a consacré une journée entière à l’alimentation et à la santé. Une première qui a réuni plus d’une centaine de professionnels de la santé, l’alimentation, petite enfance ou aidants les personnages âgés. Selon les âges, l’alimentation doit s’adapter, tout comme son activité physique.

Nourrir son esprit et son corps : Tout est dans la variété des aliments

Elle ne le formulait pas ainsi mais ses études et sa profession de vétérinaire lui donne une forme d’expertise et de savoir pour parler nutrition animale. Et pas que du côté élevage. Vice-présidente chargée du plan Environnement au Département, plan qui englobe moult problématiques transversales liées ensemble, Catherine Amiot lançait ce 10 octobre à Branges la première journée « Alimentation, santé, environnement ».

Au pays de Rabelais et de sa gastronomie hissée au patrimoine mondial de l’humanité, le Français ne fait pas que parler de nourriture, il le fait également en mangeant. Une véritable culture nationale. « C’est plus que vital. C’est convivial » et à hauteur de 2 heures par jour consacré à cela, soit quatre ans dans une vie de Français, c’est un « art de vivre », bien éloigné des Anglo-Saxons. Pour autant les modes de vie ont changé et « on se laisse tenter par la malbouffe, faute de temps ou de volonté », concédait Catherine Amiot, réaliste. Un fait qui se traduit par des chiffres inquiétants. Près d’un Français sur deux est en surpoids, dont 17 % en obésité, selon l’Inserm. La Bourgogne-Franche-Comté est même au-dessus de cette moyenne, avec près de 19 % d’obèses. Et depuis plus de 20 ans, les plans nationaux nutrition santé (PNSS), chargés de « parler d’équilibre des rations » (5 fruits/jour, manger/bouger, Nutriscore…) ne semblent pas enrayer le phénomène. Le vieillissement de la population, la sédentarité de toutes les classes d’âge, l’effet des « molécules chimiques (PFAS, pesticides…) mauvaises pour la santé »… sont les principaux suspects. Mais loin de juger à la va-vite, Catherine Amiot donnait le ton des réflexions de la journée : être « ni pessimiste, ni stigmatisant, ni punitif mais enthousiaste ». Prendre le taureau pas les cornes comme le fait le Département face aux déserts médicaux par exemple avec ses Centres de santé ou dans le cadre de sa politique agricole territoriale. Car tout est lié et cette journée était placée sous le signe de « l’interconnaissance, du partage d’expériences autour de l’alimentation ».

Bannir les régimes

De Promotion santé BFC, Stéphanie Limbach insistait : parler d’alimentation peut se faire via « plusieurs portes d’entrée : aliments, nutriments, déterminants de la prise alimentaire ou sensoriels et cognitifs, sans oublier le volet activité physique ». Idem pour les résultats obtenus qui peuvent protéger de nombre de pathologies : obésité, diabète, ostéoporose, certains cancers, maladies cardio-vasculaires… C’est un enjeu qui dépasse donc le défi du maintien de l’autonomie des séniors qui souhaitent rester le plus longtemps possible dans leur logement. « Tout n’est pas lié aux pratiques alimentaires mais les études indiquent qu’en adoptant des comportements sains sur alimentation/activité physique, on peut gagner 14 années de vie en bonne santé ».

Elle insistait sur le couple alimentation-activité physique car cette dernière tend à décroître et la sédentarité est en forte augmentation. Si les messages simplistes incriminent gras-salé-sucré, tout est dans le juste équilibre et la modération. « Il faut bannir la notion de régime. Tout est dans la variété, la diversité des familles d’aliments », charge alors de « moduler leur fréquence », selon son âge et son activité physique. Pour elle, le Nutriscore est une « indication » mais « il n’est pas parfait ». « Il n’y a pas de bon ou de mauvais produits ». Il a néanmoins permis d’améliorer des recettes industrielles. Pour autant, a-t-il permis de contrebalancer « les accroches marketing, couleurs, formes… » des produits industriels ? Sigolène Murat, diététicienne au Grand Chalon, sait aussi que chacun doit lutter contre ses Madeleines de Proust. « Enfant, le plaisir est souvent associé au sucré et au gras », elle qui propose aux enfants de manger des légumes sous la forme de frites. Il faut savoir ruser.

Nourritures pour bébés, adultes, seniors

Du côté des adultes, c’est plus dur. Même pour ceux qui connaissent les repères nutritionnels bons pour la santé comme le fait de manger au moins deux fois par semaine des légumineuses comme auparavant où la viande fraiche était un plat de jour de fête. Stéphanie Limbach rappelait donc les grandes étapes alimentaires dans une vie. La période des « 1.000 premiers jours » de l’enfant qui pose les bases des comportements alimentaires "à vie" et donc ouvre aussi une « fenêtre de vulnérabilité » aux polluants, contaminants, au stress, à la sédentarité… Les aliments solides peuvent être introduits dès les quatre mois, toujours de manière diversifiée car jusqu’à l’âge de 24 mois, l’enfant va ainsi « se prémunir des allergies ». Vient ensuite la période jusqu’à 10 ans, où les parents doivent convaincre l’enfant face à sa « néophobie alimentaire ». Passé ce cap (normalement), l’adulte doit se rapprocher des recommandations du PNSS, en variant les recettes, quitte à se rapprocher de diététiciens. À partir de 75 ans, les « mécanismes d’assimilation font que les besoins sont plus importants car il y a un risque accru de dénutrition, d’ostéoporose et de sarcopénie » (perte de sa masse musculaire), toujours avec une activité physique adaptée donc. Les plats riches en protéines, comme les viandes, légumineuses et céréales, ou les produits laitiers, sont donc conseillés. Les « capteurs » de nos corps peuvent également devenir défaillants et il faut bien s’hydrater, alors que la sensation de soif n’apparaît plus, même en pleine canicule.

Le changement, c’est comment ?

Mais l’alimentation est aussi culturelle et il faut donc prendre en compte son éducation, sa religion, son milieu social, son cercle familial et amical… Par exemple, « devenir vegan peut modifier nos relations sociales » dans le sens positif comme négatif. Et d’autres facteurs, collectifs, jouent également sur le côté activités physiques : l’éclairage public, la sécurisation des piétons/vélos, la présence de bancs pour se reposer…

Le changement est donc un mélange de choix individuels et collectifs pour rendre les conditions propices. C’est en quelque sorte le métier de Charlotte Caron, « accompagnatrice en changements », non pas pour des entreprises technologiques mais pour les comportements des mécaniques humaines. Être exposé à des messages de santé ne suffit pas. « On sait que c’est bon de donner son sang mais peu le font », prenait-elle en exemple. Nos habitudes alimentaires sont basées sur nos habitudes « déclinées en habitudes culturelles, psychologiques et affectives »… Entrée, plat, dessert est une habitude culturelle tout comme l’image de la « Femme dans la cuisine qui peut se voir comme un endroit de pouvoir ou de soumission, et à l’inverse, remettre en cause l’identité pour les Hommes », ne faisait-elle ni stéréotype, ni féminisme, ni "déconstruction". Finalement, c’est peut-être l’expérience de psychologie visant à « manger des abats » qui l’explique le mieux. « Dans le groupe A, les scientifiques ont dit « c’est aussi bon qu’un steak, mangez en ». Et dans le groupe B, ils ont dit « discutez entre-vous sur les intérêts, freins… ». Résultat, après 6 mois, 3 % du groupe A mangeaient des « bas-morceaux », tandis que dans le groupe B, 33 % en consommaient. Mais même pour cette pro du changement, le plus dur est la « cohérence » en soi ou tout du moins arriver à un nouvel équilibre en soi en vu de réduire « sa dissonance cognitive, la différence entre ce que je pense, je promeus et ce que je fais ». Elle prenait son exemple : « J’ai des valeurs écologiques mais j’avais dans mon placard un pot de Nutella (huile de palme…). Cette douceur sucrée qui me rappelait des goûtés heureux d’enfant (vu à la TV en plus). Derrière, c’était mon identité donc, avec mes peurs. Comme j’avais des noisettes dans le jardin alors j’ai fait ma pâte à tartiner avec mon fils. Ce qui m’était plus acceptable », sans enlever encore toute notion de culpabilité, comme l’illustrait fort habilement le dessinateur Clé D’12 en la mettant en position de se confesser, en la caricaturant en "chocoholic" anonyme. « Il faut déjà avoir l’envie de changer comme première condition », c’est toute l’importance du libre arbitre où l’être humain n’aime pas être forcé où subir. Mieux vaut choisir et « parfois, on réussit, parfois non et ce n’est pas grave », concluait-elle.

 

 

Des chèques alimentaires sur les marchés locaux

Animatrice des actions locales engagées en Bresse Bourguignonne, Charlotte Cordelier a fait un « focus » sur une expérimentation qui vient juste d’être lancée sur l’alimentation. 45 familles en situation « de précarité » vont recevoir des chèques alimentaires « durables » d’un montant de 30 €/mois. Le test va durer deux ans sur les secteurs de Louhans et de Cuisery. Dans ce territoire rural, le CCAS a conventionné avec des producteurs locaux qui viennent sur les marchés de villages, pour permettre de faire les courses sans avoir à prendre la voiture. Volaillers, fromagers, maraîchers… bio ou non, les familles pourront « manger local et voir que ce n’est pas forcément plus cher qu’en GMS ». Pour cela, ils seront accompagnés : visites de fermes et astuces de cuisines. « On essaye d’apprendre les bonnes pratiques, à manger local, à cuisiner sain ». Des études sont en cours sur un PAT et sur le développement des circuits courts avec « la formation des gestionnaires de cantines » qui se heurtent parfois à des budgets serrés. « Ce n’est pas toujours simple, mais on a tous des enfants qui mangent à la cantine ou des parents qui vieillissent ».

Le poids de l’environnement

Médecin généraliste, Juliette Fernoux revenait sur le « poids de l’environnement ». Comprendre là, « les polluants environnementaux présents partout dans notre quotidien ». Si évidemment en agriculture et en viticulture, on associe immédiatement l’idée aux pesticides, Juliette Fernoux élargissait le spectre aux polluants ménagers, urbains, industriels… Ceux l’inquiétant le plus restent les perturbateurs endocriniens. « Ce sont des substances extérieures qui viennent modifier notre métabolisme intérieur. Même longtemps après. Il y a des fenêtres de vulnérabilité, notamment chez les femmes qui désirent être enceintes et aussi pour les hommes. Idem dès dix jours de la vie utérine. Cela majore les risques de maladies chroniques, d’obésité ou de fertilité ».