Gestion des fonds Feader par la Région BFC
Des milliers d’agriculteurs plombés pour vingt ans !

Cédric Michelin
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Le 6 novembre dernier à Saint-Julien-de-Civry, la profession avait invité tous les conseillers régionaux de Saône-et-Loire pour leur lancer un ultimatum afin de trouver des solutions à des milliers de dossiers en souffrance. En effet, la Région ne répond plus de rien sur les fonds Feader dont elle a la gestion. Les porteurs de projets et cédants ont dû abandonner leurs projets ou voir les coûts s’envoler avec l’inflation et la remontée des taux bancaires. De quoi être « plombé » pendant des années à l’aune de leur entrée ou sortie du métier.

Des milliers d’agriculteurs plombés pour vingt ans !

Il y avait tellement à dire qu’une journée entière n’aurait pas suffi (lire nos éditions précédentes). Pendant trois heures, les témoignages poignants se sont succédé. Les conseillers régionaux ont ainsi touché du doigt le drame qui se joue actuellement dans les fermes autour de « l’incapacité » de la Région Bourgogne-Franche-Comté à gérer les fonds Feader. Pourtant, la profession avait alerté de longue date. Rien n’a marché, beaucoup déplorant même « l’arrogance » de l’administration régionale depuis des mois. Même le Ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau avait dit à Jalogny vouloir « convoquer, pardon inviter » - dans un lapsus révélateur - la présidente de Région, Marie-Guite Dufay pour trouver des solutions à l’échelle des services de l’État et de la Région. La profession a fait également des propositions à d’autres échelles mais le mal est fait et le retard ne sera pas rattrapé, craignent la plupart des acteurs de ce dossier.

Pour le président de la FDSEA et du Conseil de l’Agriculture de Saône-et-Loire à l’origine de cette réunion, Christian Bajard appelait les élus régionaux à un sursaut. « Je pense que vos collaborateurs n’ont pas compris », la détresse dans laquelle sont plongés les porteurs de projet actuellement. « Quand on compare avec les autres régions, ça va plutôt, voire beaucoup mieux ailleurs », taclait-il. Christian Bajard estime que la direction régionale « a peur de l’Europe et veut ouvrir le parapluie. L’Europe, elle n’a rien demandé », fermait-il la porte à cette fausse excuse sortie durant les innombrables réunions à Dijon et Besançon. « L’argent de l’Europe doit arriver chez les agriculteurs dans un pas de temps adapté. Pas dans cinq ans », insistait-il pour que les élus régionaux reprennent en main leur politique et administration. Représentant le président du Département Accary, Michel Duvernois voyait là « le paroxysme de la complexité administrative devenue folle », jugeait-il. Les agriculteurs en étant les premières victimes.

Une année sans investissement

L’incertitude ne frappe malheureusement pas que les paysans ayant des projets. Après les DDT qui avaient proposé de l’aide lors de la passation des dossiers, les chambres d’agriculture ont proposé la leur début d’été, malgré s’être vu éconduites par le passé. « On ne va pas attendre de voir l’agriculture péricliter sans rien faire », faisait-il la double allusion syndicale. Pour le secrétaire-général des JA de Saône-et-Loire, Thibault Renaud, 2023 s’apparente à une « année blanche grisâtre » dans le mauvais sens du terme, « sans investissement de fait ». Il n’hésitait pas à comparer cette non-gestion des fonds Européens par la Région, « comme une prise d’otages » des paysans ne pouvant pas s’installer ou prendre leurs retraites. « On prend du retard et cela va faire très mal à l’agriculture », craint-il aussi du côté des modernisations.

Espérons que cela ne démotivera pas trop de jeunes voulant reprendre des fermes ? La Saône-et-Loire ayant une centaine d’installations aidées en moyenne chaque année. Un chiffre encore insuffisant à l’heure d’un historique besoin de renouvellement des générations. Un vrai enjeu intergénérationnel. Pour un jeune, voulant s’installer, encore plus hors-cadre, « avoir ou ne pas avoir une subvention, cela n’est pas du tout pareil », auprès des banques, insistait Christian Bajard qui redoute que des installations ne se fassent pas faute de réponse. Il demandait donc que ces dossiers soient mis en haut de la pile. « Il y a 3.000 dossiers urgents et seuls 300 ont été traités », déplore-t-il. Le directeur de CERFrance71, Pierre Thorel alertait sur le fait que des jeunes « abandonnent des projets », mettant dans la même panade le cédant qui pensait avoir trouvé un repreneur. « Un signal faible qui pourrait devenir une tendance forte si les problématiques Feader ne sont pas résolus ». Une subvention qui arrive dans une cour d’exploitation « repart » chez les artisans, le constructeur de bâtiment, les vendeurs d’aliments, le tissu rural… rappelaient tous les présents.

Mais, il ne faut jamais oublier qu’avec des taux d’emprunt passés de 2 à 5 % en l’espace d’un an et des prix des matériaux faisant enfler les factures, « les agriculteurs en ont pris pour vingt ans » de surplus de remboursement, de perte de compétitivité et de perte de rentabilité des projets. Des milliers d’agriculteurs marqués au fer rouge juste sur 2022/2023.

Paroxysme de la bureaucratie

Début d’été 2023, les chambres d’agricultures avaient pourtant tendu la main pour venir en aide du Conseil régional qui a refusé. Se rendant compte maintenant de l’immobilité de son administration, Christian Morel veut maintenant « signer des contrats public-public » avec les chambres d’agriculture pour que ces dernières viennent finalement « faire la complétude des dossiers PCAE déposés ». Un contrat Chambre-Région pas forcément « le même » dans chaque département. Ce qui faisait bondir à nouveau les responsables. « Ne jouez pas à aller dans les départements un par un », prévenait Bernard Lacour, président de la chambre, voulant que le contrat soit « identique » dans tous. Il réclamait également « que les techniciens de la Région descendent à Mâcon pour comprendre les dossiers complexes d’installations et de financement ».

Une victoire « grippée » en défaite

Dans un exercice pédagogique d’expliquer les « rouages », Christian Decerle n’avait pas de mots assez durs pour qualifier le gâchis actuel. « Nous nous sommes battus pour des politiques publiques régionales. Ces fonds ne sont pas le joujou du conseil Régional. Vous avez une obligation de résultat pour emmener jusqu’au plus reculé corps de ferme ces moyens Européens pour accompagner le développement des territoires ruraux ». Il ne décolère pas : « J’entends ici de la politique à la petite semelle. Quelle est donc votre ambition pour notre agriculture ? Trois ans avant, les organisations professionnelles agricoles - au coude à coude - s’étaient mobilisées, montées à Bruxelles, rencontrées le Ministre pour négocier une enveloppe en hausse d’un tiers - de +28 % - par rapport à la précédente programmation. Et aujourd’hui, on se désespère parce que votre machinerie a tout grippé. C’est consternant qu’elle est transformée en défaite, ce qui était une véritable victoire collective du monde professionnel agricole ».

La "défense" du conseil régional

La "défense" du conseil régional

Pour éviter toute polémique politicienne, la parole était donnée en premier à Valérie Deloge du Rassemblement national et conseillère régionale de Saône-et-Loire. L’éleveuse intervient en assemblée « pour la DJA, le loup, le salaire… à chaque fois, nos demandes ne sont pas écoutées et nos propositions sont rejetées ». La Bressane ne donnait cependant pas de solutions concrètes sur les débats du jour.

Place ensuite à Christian Morel, le vice-président en charge de l’Agriculture. Bien qu’ayant ressenti la dignité, le désarroi, la peur, la colère… dans les témoignages, l’ex-éleveur du Doubs partait sur des réponses techniques et rappelait les actions mises en place par le conseil régional. « Vous avez l’impression que cela ne va pas vite, mais on a un travail d’enfer à faire et la première chose, c’est qu’on a ouvert tous les appels à projet », rappelait-il. « Avec la possibilité de commencer les travaux dès la lettre d’accord ». Il annonçait une commission fin décembre pour que les dossiers « complets » DJA soient « tous classés subventionnables ». Sera pris en compte pour les travaux, la date du premier courrier d’accord. Sur les « 3-4.000 » dossiers PCAE, se trouvent « 600 demandes de paiement », dont 300 ont été réglées. La Région a conclu avec les principales banques pour « prendre en charge les intérêts court terme », sur un fonds de solidarité spécial. Christian Morel faisait ainsi son mea culpa pour la Région : « on ne veut pas que les difficultés, dues à notre administration, soient payées par les agriculteurs ». Tous les « reliquats » des budgets de la programmation 2014-2022, consommée à « 99,9 % », ont été mis sur une aide au maintien en Bio en 2023 et sur la DJA pour « les installations jusqu’au 15 mai 2024 ». Il affirmait que la Région n’a « pas de retard sur les acomptes de DJA mais sur les soldes de 20 % ». Des agriculteurs contestaient cette affirmation. Après avoir envisagé une forte baisse de la DJA en 2022 (autour de 30.000 euros), la DJA « moyenne » devrait s’établir à 36.500 €, sous la pression des JA, de Saône-et-Loire notamment. Ces derniers déplorent néanmoins toujours une baisse puisqu’auparavant cette dotation avoisinait 38.000 €. Ce qui reste préjudiciable pour les installations en élevage allaitant principalement. Christian Morel annonçait également que la Région va prendre sur ses propres budgets, 10 millions d'€ pour sortir du Feader des « petites mesures », notamment les dossiers « de moins de 5.000 € ».